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la tâche à laquelle ils sont soumis. Elle en instruit régulièrement l'administration suprême (1). 1

Mais le comité insurrecteur ne s'était pas borné à tracer des règles générales. Il était entré dans les détails; il avait adopté une foule de mesures qui prouvent qu'il voulait se mettre en position de pouvoir appliquer le système égalitaire, dès le lendemain de la victoire.

Deux décrets, trouvés parmi les papiers de Babœuf, font connaître le sort qu'on avait réservé aux riches. Aux termes de l'un de ces décrets, a tous ceux qui ne servent » point la patrie par un travail utile sont des ÉTRANGERS > auxquels la république accorde l'hospitalité. » Or, cette hospitalité n'était pas brillante; voici les avantages qu'elle procurait à ceux qui en étaient l'objet : « Les étrangers » sont sous la surveillance directe de l'administration su>prême, qui peut les reléguer hors de leur domicile et les > envoyer dans des lieux de correction. Ils déposeront, » sous peine de mort, les armes dont ils sont possesseurs, » entre les mains des comités révolutionnaires. L'admi>nistration suprême astreint à des travaux forcés les in>>dividus des deux sexes dont l'incivisme, l'oisiveté, le » luxe et les déréglements donnent à la société des exem› ples pernicieux. Leurs biens sont acquis à la commu> nauté nationale. Les îles Marguerite et Honoré, d'Hyè» res, d'Oléron et de Rhé, seront converties en lieux de > correction où seront envoyés, pour être astreints à des > travaux communs, les étrangers suspects et les individus » arrêtés. Ces îles seront rendues inaccessibles. »

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(1) Les produits de l'agriculture et de l'industrie devaient être déposés dans de vastes magasins, où des magistrats spéciaux en auraient opéré la distribution selon les besoins de chacun. Tous les citoyens se seraient assis à la même table, comme à Sparte et en Crète, etc.

L'autre décret n'était pas moins impitoyable : « Le Di> rectoire insurrecteur, considérant que le peuple a été > bercé de vaines promesses et qu'il est temps de pourvoir » à son bonheur, arrête ce qui suit: Art. 1er. A la fin de > l'insurrection, les citoyens pauvres qui sont actuellement » mal logés ne rentreront pas dans leurs demeures ordi> naires; ils seront immédiatement installés dans les mai> sons des conspirateurs. Art. 2. On prendra chez les > riches les meubles nécessaires pour meubler avec aisance > les sans-culottes. Et ces spoliations, ces relégations dans des îles inaccessibles, ces menaces de mort, ces ordres d'extermination, tout cela était proposé au nom... de la liberté, de l'égalité et de la fraternité!

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Toutes les mesures étant ainsi prises, les armes prêtes et les proclamations imprimées, le jour du combat fut définitivement fixé. Chose inouïe! malgré le nombre des conjurés, le secret fut si bien gardé que, la veille du jour où le complot devait éclater, le Directoire ne soupçonnait pas même l'existence du danger formidable dont l'État et la société se trouvaient menacés! Ce ne fut que le 21 floréal an v, quelques heures avant l'explosion, que le complot fut dénoncé par l'un des conjurés, le capitaine Grisel.

Malgré la stupeur où cette révélation jeta les membres du Directoire, ils agirent avec une promptitude merveilleuse. Une heure après la dénonciation, Babœuf et les autres membres du comité insurrecteur, saisis dans leur conciliabule, se trouvaient sous la garde d'une force imposante. En même temps, tous les lieux désignés comme point de rassemblement étaient occupés par les troupes demeurées fidèles. Des visites domiciliaires, pratiquées avec rapidité, amenèrent la saisie des armes destinées à la masse des complices. Toutes les tentatives de résistance furent comprimées par la force légale. Le Directoire obtint une victoire complète.

Traduit devant la haute cour de justice rassemblée à Vendôme, Babœuf fut condamné à mort le 5 prairial an v. Pendant la lecture de l'arrêt, il se frappa d'un coup de poignard, dans la salle même des séances; mais il échoua dans cette tentative de suicide, et le lendemain, 6 prairial an v (24 février 1797), vivant encore, il fut porté sur l'échafaud. Il conserva son fanatisme révolutionnaire jusqu'au moment suprême. Quelques heures avant sa mort, il dit à sa femme les paroles suivantes, qui dénotent une exaltation extraordinaire, en même temps qu'une conviction fermement arrêtée « J'ignore comment ma mémoire » sera appréciée, quoique je croie m'être conduit de la » manière la plus irréprochable... Mais ne croyez pas que » j'éprouve du regret de m'être sacrifié pour la plus belle » des causes... Il appartient à la famille d'un martyr de » donner l'exemple de toutes les vertus... - Je ne conce> vais pas d'autre moyen de te rendre heureuse que par le > bonheur commun... Conserve ma défense; elle sera tou» jours chère aux cœurs vertueux et aux amis de leur » pays. Le seul bien qui te restera de moi, ce sera ma › réputation et je suis sûr que toi et tes enfants vous » vous consolerez beaucoup en en jouissant. Vous aime» rez à entendre tous les cœurs sensibles et droits dire en > parlant de votre époux et de votre père: Il fut parfai

» tement vertueux. »

Le parti de Babœuf ne mourut pas tout entier avec son chef. Nous prouverons que ses disciples conservèrent sa doctrine, au milieu des guerres de l'Empire et des luttes parlementaires de la Restauration (1). Nous verrons que, six ans avant la révolution de février, ils avaient acquis assez d'influence pour fonder un journal politique,

(1) Voir le ch. IX.

T. I.

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l'Humanitaire, destiné à neutraliser les effets de la propagande du communisme icarien. Heureusement, les Babouvistes contemporains sont loin de disposer des forces imposantes que le premier apôtre de la secte avait réussi à faire entrer dans la formidable organisation dont nous avons esquissé les traits principaux (1).

(1) Pour l'histoire de la conspiration de Babœuf, on peut consulter : Ph. Buonarotti, Conspiration de l'Égalité, dite de Babœuf, suivie du procès auquel elle donna lieu, et des pièces à l'appui, Brux., 2 vol. in-8°; MM. Thiers et Mignet, Histoire de la Révolution française ; M. Sudre, Histoire du communisme, et tous les recueils biographiques modernes.

APPENDICE (1).

A.

UNE DÉCISION DU CONCILE DE CONSTANCE.

(V. p. 157.)

Il n'est pas une erreur économique qui ne se soit produite au moyen âge sous les apparences d'une doctrine religieuse. En voici un nouvel exemple.

A la fin du quatorzième siècle, on vit surgir dans le vaste diocèse d'Utrecht (Hollande) plusieurs communautés de chrétiens laïcs. C'étaient des associations agricoles et industrielles, avec une organisation intérieure modelée sur le régime des monastères de l'époque. Les biens étaient mis en commun, et l'association subsistait du travail de ses membres. En cas de disette, les supérieurs allaient quêter dans les communes voisines.

(1) Afin de ne pas nuire à la clarté et à la rapidité du récit, j'ai réuni, sous le titre d'Appendice, les épisodes et les documents qui, quoique présentant un intérêt réel, pouvaient sans inconvénient être écartés du cadre de l'ouvrage.

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