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pas davantage une histoire des idées sociales qui se sont successivement produites sur la scène du monde, un itinéraire des douloureuses pérégrinations de l'humanité à travers les âges. Sur le terrain de l'économie politique, notre rôle se réduit à prouver que l'application de ces doctrines que, par une étrange aberration de langage, on est convenu d'appeler sociales, aurait pour conséquence immédiate et fatale un résultat dont personne ne veut le despotisme, la barbarie, la misère universelle. Dans le cercle des études historiques, nous n'avons d'autre ambition que d'exposer sommairement, mais sous leur véritable jour, les faits invoqués par les défenseurs du socialisme. Réduite à ces proportions modestes, la tâche est encore bien au-dessus de nos forces.

T. I.

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Traditions primitives. — Institutions communistes. — Droit d'insur

rection. Gouvernement crétois. misère, l'esclavage et l'anarchie. attribuées à Minos.

- Le communisme produit la Impuissance des institutions

L'histoire primitive de l'île de Crète se compose de vagues traditions. Là, comme dans le reste de la Grèce, les héros et les sages avaient été placés au rang des dieux. Les exploits des ancêtres avaient pris cette teinte de poésie et de mystère que le génie riant du peuple aimait à imprimer aux actes des divinités de l'Olympe.

Cependant, au milieu des fictions mythologiques, l'histoire de ces siècles reculés rapporte une foule d'événements et de faits que la critique la plus sévère ne saurait révoquer en doute. Dès le XIVe siècle avant l'ère chrétienne, l'île de Crète

(1) Deux États grecs, Crète et Sparte, ont mérité les suffrages des communistes modernes ; ils ne se sont pas spécialement occupés des autres.

possédait des cités populeuses, où le communisme était pratiqué sur une vaste échelle. Dès les temps les plus reculés, la constitution du pays admettait ce droit sacré de l'insurrection, que quelques publicistes de notre temps croient avoir vu naître en 1792.

A qui revient l'honneur de ces institutions égalitaires? Sont-elles la manifestation naturelle de l'instinct et des coutumes de la race dorienne? Faut-il, avec les savants du dernier siècle, les attribuer au roi Minos, que Fénelon appelle le plus sage et le meilleur de tous les rois (1)? Cette question est ici secondaire. Il suffit que l'histoire, en attestant l'existence de ces coutumes, nous fournisse le moyen de les étudier dans leur nature et dans leurs conséquences.

Disons d'abord un mot du droit d'insurrection, admis dans l'ile.

Au commencement du XIIIe siècle avant Jésus-Christ, le gouvernement monarchique, qui avait jusque-là prévalu en

(1) Télémaque, L. V.-L'existence de Minos est aujourd'hui révoquée en doute. D'un côté, les traditions qui le concernent sont entremêlées de fables; de l'autre, son nom offre un rapport étrange avec ceux des législateurs primitifs de l'Inde, de l'Égypte et de la Lydie (Manou, Menès, Méon ). Je n'entends pas m'immiscer dans ce débat. Je me contenterai de rappeler que l'antiquité n'avait pas hésité à reconnaître l'existence de Minos et à lui attribuer la législation crétoise (V., entre autres, Homère, II., N, 450, ≈, 321; Od., T, 179 et s.; Platon, Lois, I, T. 1, p. 18 et s., trad. de M. Cousin; Aristote, Pol., L. II, ch. VII; Apollodore, II, 2, T. 1, p. 253, trad. de Clavier, éd. de Paris, 1805; Plutarque, V. Thes., 16, 19; Strabon, Liv. X; Polybe, Liv. VI; Tacite, Ann. L. III, c. 26. Diodore de Sicile parle de deux Minos; mais il n'en attribue pas moins à l'un d'eux les institutions de l'île de Crète (V. I, 61 et 94, IV, 62; éd. Charpentier). - Je m'abstiendrai, à plus forte raison, de discuter la part attribuée, dans les lois de Minos, soit à son frère Rbadamanthe, soit à un législateur plus ancien.

Crète, fut remplacé par des institutions républicaines. La fédération des villes principales fut substituée à l'unité politique qui avait existé sous les rois. Chaque localité importante devint le centre d'une petite république, ayant ses comices et son sénat, sous la direction de dix magistrats suprêmes élus par le peuple (1). Ces derniers, qui portaient le titre de Cosmes (xéopa), occupaient le sommet de la hiérarchie administrative, dirigeaient le sénat, convoquaient les assemblées populaires et commandaient les armées. Ils étaient choisis parmi les membres de quelques familles privilégiées (2).

Les Cosmes jugeaient souverainement les procès importants, et cette prérogative, jointe à l'influence qu'ils puisaient dans leurs autres attributions, était d'autant plus dangereuse

-

(1) Cette forme de gouvernement avait en général prévalu; mais quelques cités y avaient introduit des changements assez considérables. La fédération n'était, du reste, pas universelle. Les villes principales concluaient des alliances particulières, et les divers groupes se faisaient souvent une guerre acharnée (V. Les auteurs cités par Sainte-Croix, Législ. de Crète, p. 370 et s., 357 et s.).

(2) Il existe des doutes sérieux sur les attributions des Cosmes. J'ai suivi les indications fournies par Aristote (Pol. L. II). A la vérité, des auteurs modernes soutiennent que le philosophe grec attribue aux Cosmes des pouvoirs trop étendus (V. O. Müller, Die Dorier, T. II, p. 125, éd. Schneidewin, 1844; Sainte-Croix, Législ. de Crète, p. 361 ). Sainte-Croix avoue cependant que les Cosmes constituaient la principale autorité de la ville, qu'ils avaient le commandement des armées, qu'on les chargeait de toutes les ambassades, qu'ils avaient le droit de saisir les biens et les personnes (p. 362 et 363). Il ajoute qu'ils jouissaient du droit de préséance sur les sénateurs, et que, quand une ville écrivait à une autre, on employait la formule: Les Cosmes et la cité de ... aux Cosmes et à la cité de ... (p. 361 et 368). » Aristote n'a pas été beaucoup plus loin. En tous cas, il fallait que leur pouvoir fût exorbitant, puisqu'il nécessitait la reconnaissance d'un droit d'insurrection.

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