Page images
PDF
EPUB

de pratique, je l'ai vu sortir en vie et en une seule pièce : je vidai le vase où il fut rendu, dans cinq ou six seaux d'eau. Le ver étant vivant, s'y déploya et y nagea comme un poisson; je pus l'examiner à ma fantaisie, voir son long col et sa petite tête; il faisait trois tours entiers dans le grand bassin, et je pus évaluer sa longueur à cinq ou six mètres: il cessa de vivre après cinq ou six minutes. La femme qui le portait, mariée et mère de plusieurs enfants, était devenue épileptique et passait dans sa commune pour être atteinte du hautmal. Elle fut délivrée de ses attaques peu de temps après le traitement. Elle vit encore et se porte bien.

J'administre la fougère mâle sans aucune préparation, et j'ai l'habitude de faire arriver les malades chez moi la veille, afin de donner le remède moi-même le lendemain de grand matin, et de m'assurer de la sortie du ver en délayant les matières rendues, après le purgatif, dans quelques seaux d'eau que l'on décante doucement : le ver se trouve au fond du bassin, tout en débris, d'une, de deux, de trois ou d'un grand nombre d'articulations. Il vient presque toujours dans la matinée, tantôt dans la première selle, tantôt dans la seconde, tantôt dans la troisième; quelquefois, mais très-rarement, dans l'après-dîner. Il sort presque toujours en masse dans une des premières selles ; on n'en trouve presque plus ou seulement de petits débris dans les subséquentes. Il serait difficile d'expliquer comment le tœnia vient ainsi en débris ou lambeaux, peu d'heures après l'administration du spécifique : nul doute que, soit la fougère mâle, soit l'écorce de la racine de grenadier sauvage ne soit son véritable poison et que le purgatif que l'on donne, après l'administration de la fougère mâle, n'agisse ici que comme simple évacuant; mais la désarticulation n'est pas aussi concevable.

[ocr errors]

Je n'ai jamais choisi d'époque, ni du mois, ni de la lune, pour administrer la fougère mâle à laquelle j'ai dû donner la préférence, parce qu'elle m'a toujours réussi. J'ai toujours. eu soin de la faire préparer sous mes yeux, de la faire monder exactement, de faire retrancher l'extrémité sèche de chaque gousse, de la faire sécher doucement au four et de renfermer la poudre dans un bocal bien bouché peutêtre dois-je mes succès constants à toutes ces précautions.

Quoi qu'il en soit, le traitement du ver solitaire n'est plus un problème depuis long-temps la méthode de inadame de Nouffer eut une grande vogue pendant bien des années; mais, comme toutes les bonnes méthodes, elle eut ses détracteurs. On se récria contre le purgatif drastique qui suivait l'administration de la fougère mâle; en effet, le purgatif n'était pas admissible dans tous les cas chez les personnes débiles d'une constitution nerveuse, chez çelles surtout qui ont le tube intestinal agacé, irrité, on modifia le purgatif et le remède sans y renoncer..

M. Bourdier, médecin de la Faculté de Paris, prescrivit une forte décoction de la racine de fougère mâle avec un gros (4 grammes) d'éther, à prendre par verrées le matin à jeun. Il donnait un lavement avec la même décoction et deux gros d'éther lorsque le ver était présumé dans les intestins. Il donnait deux onces d'huile de ricin une heure après la dernière prise de la décoction.

Le remède eut de grands succès; mais le plus souvent il fallait le donner deux et trois jours de suite pour faire sortir le ver. J'ai employé cette méthode dès les premières années de ma pratique, et elle m'a réussi; mais la durée du traitement! me déconcerta, et elle déplaisait aux malades: je me suis

t

[ocr errors]

convaincu depuis que la poudre est plus efficace, et j'y ai toujours recours.

!. MM. Vieusseux, Odier et les autres médecins de Genève,

eurent recours à l'huile de ricin, ainsi que M. Bourdier; mais ils administrèrent la fougère mâle en poudre : ils faisaient prendre trois ou quatre gros de cette poudre, selon -Page et la force du tempérament, le matin à jeun en une seule dose, après l'avoir réduite en bols. Ainsi que M. Bour dier, ils faisaient prendre, deux heures après, deux onces d'huile de ricin en deux ou trois prises dans du bouillon de bœuf : quelques heures après le ver était rendu presque toujours désorganisé.

Gette méthode devint presque générale et obtint les plus grands succès; j'en fis usage, et depuis quarante ans je nly ai pas renoncé. Exerçant la médecine dans les campagnes el dans un grand nombre de communes où le lait fait une partie de la nourriture du cultivateur, j'ai eu à traiter souvent le ver solitaire chez l'adulte et dans l'adolescence; je 'ne l'ai pas encore rencontré dans les cinq ou six premières années de la vie, et bien rarement dans la classe élevée, qui suit un régime tonique et qui fait usage de substances auimales, ce qui semble accréditer l'idée généralement reçue que le lait engendre les vers et le tenia comme les autres.

La vraie fougère mâle (polypodium filix mas), bien préparée et bien conservéc, administrée selon la méthode des médecins de Genève, m'a constamment réussi; je dis constamment, puisque je n'ai pas eu un insuccès dans quarante ans de pratique, et je l'ai bien administrée plus de cent cinquante fois dans ce laps de temps.

J'ai toujours réduit la poudre en bols au moyen du sirop 'de fleurs de pêcher, et j'en ai fait tantôt plus, tantôt moins,

selon la dose de la poudre et la facilité qu'ont les malades à avaler les bols; j'en fais le plus souvent trente ou trente-six que je fais avaler dans l'espace d'un quart d'heure, ayant soin de les imbiber avec du sirop ci-dessus ou tout autre, pour faciliter la déglutition. Administré de cette manière, le remède ne répugne à personne et n'excite point de nausées; les malades n'éprouvent que de légères pesanteurs et le supportent aisément. Jamais je n'ai vu rendre les bols. Il n'est pas de toute rigueur, comme le prescrivent les médecins de Genève, de donner l'huile de ricin dans du bouillon de boeuf; je l'ai donnée dans du bouillon de volaille et de veau indifféremment. Il n'est pas non plus toujours nécessaire d'en donner deux onces certains malades sont purgés et rendent le ver à la seconde prise.

J'ai donné la fougère mâle à tous les tempéraments, depuis deux jusqu'à quatre gros, selon l'âge, la faiblesse ou la force du tempérament, et je l'ai toujours trouvée sans inconvénients; elle n'a jamais produit de mauvais effets entre mes mains, et les malades sont guéris dès le lendemain ou le surlendemain. Ce traitement est, sans contredit, le plus simple, le plus commode et le plus efficace; et, quoique j'aie toujours employé l'huile de ricin pour expulser le ver, j'ai la croyance que tout autre purgatif approprié produirait le même effet.

De nos jours et depuis bien des années l'écorce de la racine de grenadier sauvage a prévalu. Le remède a été prôné largement; tous les journaux scientifiques l'ont préconisé; la Revue médicale, toujours disposée à propager les bonnes méthodes, comme à combattre les mauvaises, a inséré dans ses feuilles diverses notes favorables à l'opinion générale.

Je suis loin de vouloir jeter de la défaveur sur un remède

connu des anciens, fortement employé par eux, et qui a presque toujours soutenu sa réputation; mais par quelle fatalité ce remède, employé même avant l'ère chrétienne et si préconisé depuis une vingtaine d'années, est-il resté dans l'oubli durant quatorze à quinze cents ans, tant en France qu'en Europe? Les Anglais l'ont signalé de nouveau à l'altention des praticiens depuis une trentaine d'années, et M. Gomes, médecin de Lisbonne, par son mémoire, traduit en français par M. Mérat, n'a pas peu contribué à lui donner de la faveur. Ce médecin a indiqué les véritables doses du remède, et sa méthode a été généralement suivie par ses contemporains comme par ses successeurs. Les médecins d'aujourd'hui l'ont presque exclusivement adoptée : elle consiste à faire bouillir deux onces d'écorce fraîche de la racine dans une livre et demie d'eau, réduite à une livre, que l'on donne le matin à jeun de demi-heure en demiheure. Il n'est fait mention d'aucun purgatif, ce qui peut être regardé comme un défaut de cette méthode.

Ce remède réussit généralement : ceux qui le préconisent assurent qu'il réussit deux fois sur trois; d'autres trois fois sur quatre; d'autres prétendent qu'il manque assez souvent son effet, que l'écorce s'altère facilement, qu'on ne peut pas la conserver long-temps, et que celle du commerce est généralement mauvaise; ensuite, cet arbrisseau, qui croît naturellement en Provence, est assez rare dans plusieurs contrées ses effets ne sont pas toujours innocents; les malades éprouvent souvent, après son ingestion, des vertiges, des étourdissements, une sorte d'ivresse, quelquefois de véritables mouvements convulsifs, plus souvent des syncopes, accidents passagers à la vérité, qui intimident les malades. et le médecin.

« PreviousContinue »