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DE PARALYSIE DES MUSCLES EXTENSEURS DES MEMBRES

SUPÉRIEURS ET INFÉRIEURS,

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Survenue à la suite de la colique dite de Cayenne;

PAR M. TANQUEREL DES PLANCHES.

(Mémoire lu à la Société de médecine de Paris, et imprimé par décision de la Société.)

Les climats n'impriment pas seulement aux hommes des modifications anatomiques, physiologiques et morales; ils suscitent encore en eux des maladies particulières, spécifiques. La fièvre typhoïde règne en Europe, la peste en Égypte,, la fièvre jaune à la Nouvelle-Orléans, le typhus en Amérique, et, dit-on, la colique végétale à Cayenne. Vous vous rappelez que naguère encore une discussion longue et intéressante s'éleva au sein de la Société au sujet de cette dernière affection. Le climat de Cayenne et de Madrid produit-il une maladie toute particulière appelée colique végétale, en opposition avec des maladies occasionnées par des métaux et appelées pour cela coliques métalliques? Telle est

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la question qui a été le plus vivement agitée dans le sein de notre compagnie. Au milieu des opinions divergentes émises à ce sujet, nous sommes cependant arrivés à peu près à cette conclusion:

Des travaux récents nous portent à admettre que le climat de Cayenne a la propriété de produire du côté du ventre, ainsi que vers le centre nerveux cérébro-spiñal, une série d'accidents tout particuliers, ne ressemblant d'une manière complète à aucune autre affection du cadre nosologique.

Mais quels sont ces accidents? Quelles sont leurs ressemblances et leurs dissemblances avec les autres maladies connues?

C'est ici, Messieurs, que les opinions peuvent être en juste et légitime opposition; car il n'existe pas de cette maladie une description nette, précise, basée uniquement sur un grand nombre de faits recueillis avec tout le soin que comportent les investigations cliniques contemporaines. Quoique des travaux remarquables, par exemple celui de M. Segond, aient été publiés sur la matière, ils n'ont pas cependant encore jeté la conviction dans les esprits. Aussi existe-t-il aujourd'hui dans la science une grande incertitude sur l'existence de la colique de Cayenne, ainsi que sur ses caractères physiologiques et anatomiques.

C'est au milieu de ces incertitudes touchant l'histoire de la colique de Cayenne que s'est présentée une circonstance qui nous permettra peut-être d'obtenir quelques renseigne+ ments sur cette affection.

Notre savant et laborieux collègue, M. Bouvier, toujours désireux d'éclairer quelque point obscur de la science, a fait venir au milieu de vous un sous-officier d'un régiment autrefois en garnison à Cayenne. Cet homme a été atteint

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de la colique endémique, dit-on, à cette contrée; en ce moment il existe encore des symptômes de cette maladie; enfin, son observation a été consignée dans la dissertation de M. Segond. Toutes ces circonstances donnaient un grand intérêt à cette observation; vous avez chargé MM. Bouvier, Prus et moi de vous faire un rapport sur ce cas de maladie de Cayenne. Nous venons aujourd'hui vous soumettre le résultat de nos investigations, qui, ajoutées à la suite de celles consignées dans le travail fort remarquable de M. Hysern, concernant la colique de Madrid, pourront peut-être n'être pas inutiles pour éclairer l'histoire d'une maladie fort intéressante à bien connaître.

Coudray, ex-sergent d'infanterie de la marine, actuellement à l'hôtel des Invalides, âgé de trente-sept ans, d'une stature élevée, avait toujours joui d'une bonne santé, lorsqu'il se rendit en 1832 avec son régiment à Cayenne.

Le vin que buvait ce militaire était celui fourni par le gouvernement; jamais on n'a ouï dire qu'il fut frelaté. On ne parle point à Cayenne d'empoisonnement par les vins falsifiés. On renferme dans des bouteilles de grès le tafia, boisson ordinaire du pays. Coudray n'avait fait usage d'aucun médicament jusqu'à l'arrivée des accidents dont il porte encore aujourd'hui des traces, et il n'avait ni couché ni séjourné dans des appartements nouvellement peints. Enfin, les marmites dont se servent les militaires de la colonie sont soudées, il est vrai, avec une préparation où entre du plomb, mais de la même manière que celles en usage dans les régiments qui ne quittent pas la France.

Cet homme, avant d'embrasser la profession militaire, exerçait celle d'employé à la presse de caractères d'imprimerie. Uniquement occupé à ce genre de travail, il maniait

rarement les caractères d'imprimerie. Jusqu'en 1825, époque à laquelle il entra au service, il n'avait été atteint d'aucune maladie saturnine jusqu'à son arrivée à Cayenne.

Cet homme nous a dit qu'à Cayenne il menait une vie fort régulière; buvant une bouteille de vin par jour, il ne faisait que rarement usage du tafia, et évitait aussi les excès vénériens.

En 1834, étant dans un fort bon état de santé, détaché pour aller à la poursuite des nègres marrons, dans un pays marécageux, humide, les Scarannes de la Gabrielle, il était souvent exposé à la pluie, et à séjourner des heures, des journées entières, les pieds, les jambes et les cuisses plongés dans des eaux bourbeuses. Son alimentation se composait de viandes salées renfermées dans des barils de bois, non revêtus de plomb, et de biscuits de mauvaise qualité; enfin, un peu de tafia composait sa boisson habituelle.

A la suite de fatigues excessives, de ce séjour et de l'usage de cette alimentation, un mois après son retour en ville, il commença à se sentir fatigué, à perdre en partie l'appétit, et à éprouver des pesanteurs à l'estomac et des nausées. Quelques jours après, il avale une tasse de café préparée par des négresses. (On prétend dans le pays que les négresses empoisonnent souvent les blancs.) Un quart d'heure après, des douleurs atroces surviennent, des vomissements opiniâtres se déclarent, alors on l'emporte à l'hôpital. Un camarade de Coudray prend en même temps que lui une tasse de café préparée aussi par des négresses (on ne sait si elle fut puisée dans la même cafetière), ce militaire ne ressentit aucun accident. Notre malade, du reste, n'avait eu aucune relation avec les négresses qui pût inspirer à l'une d'elles le désir de commettre un empoisonnement.

A son entrée à l'hôpital, Coudray présentait l'état suivant :

Douleurs dans tout le ventre, violentes, dilacerantės, tortillantes, diminuées, mais momentanément, par la pression; les exacerbations de douleur étaient si vives, qu'il se couchait à plat ventre, se tordait, s'agitait, poussait des cris, etc. Le ventre était un peu plus gros et plus dur que dans l'état de santé. Une grande quantité de gaz sortait par la bouche; il y avait des vomissements, du ténesme au rectum, de l'anorexie et une soif vive. Les fonctions tirînaires se trouvaient en bon état. Enfin, le malade ne ressentit aucune douleur le long du rachis..

A la suite de nombreuses et variées médications, le 10 décembre 1834, Coudray sortit guéri de l'hôpital. Le 15 décembre, sans cause connue, il fut presque subitement atteint de douleurs lancinantes dans les membres, accompagnées de crampes; alors il rentra à l'hôpital. Huit jours après, à ces douleurs s'ajoutèrent des lassitudes, un sentiment de pesanteur et d'engourdissement qui dégénérérent bientôt en paralysie; l'abolition du mouvement commença par les membres supérieurs; en même temps un peu de bégaiement et d'aphonie se déclara. Enfin, la colique révint de nouveau : cette derniere disparut encore, et cela après trois semaines de traitement, tandis que les douleurs ét la paralysie continuèrent jusqu'au retour en France, qui eut lieu au mois de mai suivant.

A cette époque, la paralysie était tellement étendue que Coudray ne pouvait se servir de ses membres pour se tenir debout, s'habiller, manger, etc.

Depuis son arrivée sur le continent, les douleurs dés membres se dissiperent insensiblement; mais la colique re

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