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connaître. Il sera facile d'apercevoir par voie de déduction logique les applications qu'il a cru pouvoir en faire à la pathologie et à la thérapeutique.

I.-M. Pidoux a été frappé, comme le sont tous les bons esprits, de la confusion qui règne dans l'interprétation des phénomènes généraux de la vie. Il y a trouvé la raison de celle qui règne dans les doctrines pathologiques. Il en a tiré cette conclusion que, pour réformer celles-ci, il faut commencer par donner à la physiologie une base large et solide. La santé et la maladie sont des aspects de la vie, qui est la même dans l'une et dans l'autre; elles ne sauraient être régies par des lois auxquelles celle-ci serait soustraite. Qua faciunt in sano actiones sanas, eadem in ægro morbosas; voilà l'axiome.

On se demande pourquoi notre auteur dépense tant d'éloquence, en présence d'une vérité si simple, si vulgaire, si ancienne, si universellement proclamée. La réponse est facile. Il est quelques hommes, en possession de l'enseignement, qui ont la prétention de détrôner le sens commun et de faire dater du jour de leur apparition sur la terre l'ère de la véritable médecine. Ces hommes font du bruit, assez de bruit, du moins, pour que les oreilles de M. Pidoux en soient fatiguées. Ardent à la polémique, il aime à les saisir, à les attaquer, à leur montrer leur néant, à humilier leur ridicule orgueil. C'est tout simple. Voilà pourquoi il défend avec force et chaleur une cause gagnée depuis plusieurs siècles.

Dans les considérations générales qui devaient servir de base à une théorie de la médication anti-phlogistique, soit qu'il s'agisse d'étudier la fièvre, soit qu'il s'agisse d'étudier

l'inflammation, il fallait s'arrêter à l'examen du phénomène de la chaleur vitale. La chaleur vitale est pour M. Pidoux le phénomène physiologique par excellence, celui qui donne raison du phénomène le plus général de la maladie La chaleur est en quelque sorte le signe extérieur de la vie ; elle s'appelle fièvre et inflammation sous l'influence d'un stimulus morbifique. Chaleur, fièvre, inflammation, ce sont trois modes de la force vitale, exprimés dès la plus haute antiquité par un langage qui en marque l'analogie fonctionnelle. C'est donc par l'examen du phénomène physiologique de la chaleur qu'il débute dans la vaste carrière qu'il s'est ouverte. Nous ne tarderons pas à nous apercevoir que le disciple naïf de l'hippocratisme aime à faire son chemin tout seul, tout en s'imaginant qu'il voyage en compagnie de ses maîtres.

Le fait qui, dans l'examen de la fièvre, semble avoir frappé le plus vivement les anciens observateurs, c'est la lésion de la calorification qui en est l'expression extérieure la plus sensible (1). M. Pidoux saisit ce fait et le nom donné à la fièvre par l'illustre médecin de Cos, comme une occasion de planter son drapeau dans l'hippocratisme. Or, ce fait, qui est réel, avait été observé antérieurement à Hippocrate, et ce nom, qui est resté dans la tradition médicale comme un témoignage de cette observation, n'a point été créé par ce maître qui n'avait fait que le recevoir de ses prédécesseurs. D'ailleurs, il y a loin de ce point de départ si modeste, et disons le franchement, d'un dogmatisme fort équivoque, à cet immense horizon que notre auteur y

(1) Hippocrates quidem febrem appellat ignem, et febricitantes igne correptos. RIOLAN.

aperçoit; il y a loin de là à trouver, à l'aide d'une théorie de la calorification animale, la solution des plus difficiles problèmes de la pathologie et de la thérapeutique générale. Voyez avec quelle hardiesse d'esprit il mesure cet espace qui nous semble si vaste, je dirai presque immense : « Si la » considération de la chaleur animale intéresse si éminem» ment la clinique en général, et si, dans l'étude de la fièvre >> et des fièvres en particulier, la connaissance du mode de >> production de ce grand phénomène occupe la plus grande place, comment s'expliquer le silence des pathologistes et » spécialement des pyrétologistes à ce sujet? Il est en effet » remarquable, que, avant de se demander ce que c'est que » la fièvre, son mécanisme physiologique, son mode de production, ses lois, sa nature accessible, en un mot, on >> ne se soit jamais préalablement fait les mêmes questions au » sujet de la chaleur animale. Nul doute cependant que la » solution du dernier de ces problèmes physiologiques n'eût » renfermé celle du premier, et réciproquement. Une théorie » de la calorification organique d'où ne découlerait pas né>> cessairement, et de soi-même, une bonne théorie de la » fièvre et des fièvres, devrait être, sans plus d'examen >> rejetée comme erronnée et incomplète; et on pourrait en » dire exactement autant d'une théorie de la fièvre dans la » quelle on ne retrouverait pas une bonne théorie de la » calorification. »

De ce double criterium affirmé par M. Pidoux, résulte pour lui la nécessité de nous donner une théorie générale de la calorification. Il n'a pas reculé devant cette tâche difficile. Battre en brèche la doctrine en honneur depuis près d'un demi-siècle, et élever sur ses ruines une doctrine nouvelle, sont pour notre auteur une affaire de quelques pages; il se

livre à cette double opération avec une égale ardeur. Voici sa déclaration de guerre aux pneumato-chimistes modernes : « Le goût des localisations a envahi jusqu'à la physiologie. » Chose à laquelle on ne se serait pas attendu, on a localisé » la puissance pyrétogénésique de l'organisme. Il a fallu lui » trouver un siége, un organe; c'était chercher le siége de » la vie : n'importe, on l'a découvert. Les poumons, l'ap>> pareil respiratoire, l'oxygénation du sang enfin, ont été » chargés du rôle de produire, d'entretenir la chaleur ani» male, et d'expliquer ses modifications et ses lois. >>

Nous ne pouvons point reproduire ici tous les arguments à l'aide desquels notre pyrétologiste combat cette théorie. Il la repousse parce qu'à ses yeux elle est insuffisante, incomplète et partant faussc. Elle ne rend compte que de quelques phénomènes physiologiques; elle est dans l'impossibilité d'embrasser ceux de la santé et ceux de la maladie. Il accuse les physiologistes pneumato-chimistes d'avoir négligé l'étude des manifestations pathologiqnes, d'avoir négligé surtout l'interprétation des phénomènes pyrétiques qui allestent une lésion profonde de la calorification indépendante de toute modification correspondante de la fonction respiratoire. Bien plus, il les accuse d'avoir oublié que la chaleur s'accroît, persiste brûlante pendant plusieurs jours, dans les cas où la respiration, loin de correspondre par une plus grande activité à ce surcroît de chaleur, se trouve elle-même lésée, amoindrie par l'hépatisation, par la dissémination tuberculeuse, par les cavernes, par le catarrhe bronchique, par la pneumonie diffuse, ainsi que cela a lieu dans les affections aiguës des organes thoraciques, dans la fièvre typhoïde, dans les fièvres éruptives, etc. L'objection est sérieuse; car dans ces cas la chaleur est, pour ainsi dire, en raison inverse de

l'intensité fonctionnelle de la respiration. Il faut donc admettre que la source véritable de la chaleur vitale n'est pas dans l'hématose pulmonaire.

Dans l'esprit de M. Pidoux, chaleur et vie se confondent comme les deux manifestations inséparables de la même force. Ainsi que nous le verrons plus tard, cette identification est portée excessivement loin par notre pathologiste. Toutefois, avoir une température propre, indépendante du milieu qui l'entoure, c'est bien le caractère propre d'un être vivant. Pour qu'il se maintienne dans cette température, il faut qu'une force soit présente, étrangère aux forces qui meuvent les corps bruts. Le degré de résistance que l'être vivant oppose à la température du milieu qui l'entoure donne en quelque sorte la mesure de la force qui le vivifie.

Ces principes posés, laissons un instant de côté l'homme et les animaux supérieurs doués d'un appareil respiratoire plus ou moins étendu; faisons abstraction des êtres vivants qui sont en possession d'appareils spéciaux, à l'action desquels on attribue la production de la chaleur vitale. Descendons l'échelle zoologique, et arrêtons-nous là où commence la série. Que voyons-nous? « Un tissu cellulaire plus ou > moins dense, doué d'une tonicité ou d'un orgasme vital » plus ou moins énergiques pour faire osciller ou circuler » dans ses aréoles un fluide nourricier formé de matériaux » puisés au dehors, puis éliminer les molécules usées par le » mouvement vital, de manière à s'entretenir dans cet état » pendant un temps déterminé. » Or, ces animaux ont une température propre; il y a donc chaleur vitale en même temps que vie, manifestées l'une et l'autre au moyen de l'appareil le plus rudimentaire, le tissu cellulaire. Le tissu

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