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temps en temps les plus vives atteintes de l'amour, il ne produit ni ne s'accouple dans l'état de domesticité. Sa passion contrainte dégénère en fureur; ne pouvant se satisfaire sans témoins, il s'indigne, il s'irrite, il devient insensé, violent, et l'on a besoin de chaînes les plus fortes et d'entraves de toutes espèces pour arrêter ses mouvemens et briser sa colère. Il diffère donc de tous les animaux domestiques que l'homme traite et manie comme des êtres sans volonté; il n'est pas du nombre de ces esclaves nés que nous propageons, mutilons ou multiplions pour notre utilité. Ici l'individu seul est esclave; l'espèce demeure indépendante et refuse constamment d'accroître au profit du tyran. Cela seul suppose dans l'éléphant des sentimens élevés au-dessus de la nature commune des bêtes: ressentir les ardeurs les plus vives, et refuser en même temps de les satisfaire, entrer en fureur d'amour et conserver la pudeur, sont peut-être le dernier effort des vertus humaines, et ne sont dans ce majestueux animal que des actes ordinaires auxquels il n'a jamais manqué....

« L'éléphant, une fois dompté, devient le plus doux, le plus obéissant de tous les

il

animaux; il s'attache à celui qui le soigne, il le caresse, le prévient et semble deviner tout ce qui peut lui plaire; en peu de temps vient à comprendre les signes et même à entendre l'expression des sons; il distingue leton impératif, celui de la colère ou de la satisfaction, et il agit en conséquence. Il ne se trompe point à la parole de son maître; il reçoit ses ordres avec attention, les exécute avec prudence, avec empressement, sans précipitation; car ses mouvemens sont toujours mesurés, et son caractère paraît tenir de la gravité de sa masse; on lui ap→ prend aisément à fléchir les genoux, pour donner plus de facilité à ceux qui veulent le monter il caresse ses amis avec sa trompe, ou salue les gens qu'on lui fait remarquer; il s'en sert pour enlever des fardeaux et aide lui-même à se charger; il se laisse vêtir et semble prendre plaisir à se voir couvert de harnoise dorés et de housses brillantes. On l'attèle, on l'attache par des traits à des charriots, des charrues, des navires, des cabestans; il tire également, continuement et sans se rebuter, pourvu qu'on ne l'insulte pas par des coups donnés mal à propos, et qu'on ait l'air de lui savoir gré de la bonne

volonté avec laquelle il emploie ses forces.... Souvent la parole suffit, sur-tout s'il a eu le temps de faire connaissance complète avec son: conducteur, et de prendre en lui une entière confiance. Son attachement devient quelquefois si fort, si durable, et son affection si profonde, qu'il refuse ordinairement de servir sous tout autre, et qu'on l'a quelquefois vu mourir de regret d'avoir, dans un accès de colère, tué son gouverneur. >>

M. de Buffon ajoute à l'intéressante description du caractére moral de l'éléphant, une quantité de traits les plus propres à constater la supériorité de son intelligence, et tous extraits des auteurs les plus véridiques. J'en choisis deux seulement qui peuvent servir à expliquer quelques-unes de leurs actions qui paraissent les plus extraordinaires, quoique cette explication ne soit pas celle qu'adopte M. de Buffon.

« J'ai plusieurs fois observé, dit Édouard Terry, dans ses Voyages aux Indes orientales, que l'éléphant fait plusieurs choses qui tiennent plus du raisonnement humain que due simple instinet naturel qu'on lui attribue. Il fait tout ce que son maître lui commande; s'il veut qu'il fasse peur à quel

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qu'un, il s'avance vers lui avec la même fureur que s'il voulait le mettre en pièces, et lorsqu'il en est tout proche, il s'arrête tout court sans lui faire aucun mal. Si le maître veut faire un affront à un autre, il parle à l'éléphant, qui prendra avec sa trompe de l'eau du ruisseau et de la boue, et la lui jettera au nez, etc. »

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« Les éléphans, dit le P. Philippe (Voy. de la Compagnie des Indes d'Hollande), approchent beaucoup du jugement et du raisonnement des hommes.... Lorsqu'on a pris un éléphant sauvage, et qu'on lui a lié les pieds, le chasseur l'aborde, le salue, lui fait des excuses de ce qu'il l'a lié, lui proteste que ce n'est pas pour lui faire injure; lui expose que la plupart du temps il avait faute de nourriture dans son premier état, au lieu que désormais il sera parfaitement bien traité, qu'il lui en fait la promesse. Le chasseur n'a pas plutôt achevé ce discours obligeant, que l'éléphant le suit comme ferait un très-doux agneau: il ne faut pas pourtant conclure de là que l'éléphant ait l'intelligence des langues, mais seulement qu'ayant une très-parfaite estimative, il connaît les divers mouvemens d'estime ou de

mépris, d'amitié ou de haine, et tous les autres dont les hommes sont agités envers lui, et, pour cette cause, il est plus aisé à dompter par les raisons que par les coups et par les verges, etc. >>

« Son conducteur, dit M. de Montmirail, veut-il lui faire faire quelque corvée pénible, il lui explique de quoi il est question, et lui détaille les raisons qui doivent l'engager à obéir. Si l'éléphant marque de la répugnance à ce qu'il exige de lui, le cornac promet de lui donner de l'arac ou quelque chose qu'il aime : alors l'animal se prête à tout, mais il est dangereux de lui manquer de parole; plus d'un cornac en a été la victime. Mais il n'est pas moins reconnaissant qu'il est vindicatif. >>

Tel est le portrait de la personne de l'éléphant on ne peut pas soupçonner de flatterie le peintre célèbre qui l'a tracé. Changez le nom de l'individu, et voyez si, dans l'espèce humaine, il n'en est pas un bon nombre qui, sous le rapport du moral, ne gagnerait pas à lui ressembler. C'est pourtant dès le début même de cet article que M. de Buffon dit: L'éléphant approche de l'homme, par l'intelligence, autant au moins que la ma

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