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CHAPITRE V.

De l'ame des bêtes et de leur langage.

est peu d'objets de méditation et d'étude en histoire naturelle, en philosophie et même en métaphysique, qui aient, autant que celuici, attiré l'attention des écrivains célèbres en ces trois genres. La nature semble, pour ainsi dire, se jouer continuellement de l'orgueil de l'esprit humain en renouvelant chaque jour sous les yeux de l'observateur le plus vulgaire un problême dont la solution l'embarrasse, et sur lequel on a long-temps disputé sans obtenir un résultat certain.

Parmi les savans, les uns ont traité la question de l'ame des bêtes avec un sérieux très-philosophique, les autres y ont trouvé matière à exercer les ressources d'un esprit enjoué ou d'une imagination brillante; plusieurs y ont cherché des argumens en faveur du matérialisme, tandis que leurs adversaires en les réfutant, y trouvaient des principes de théologie et même de morale.

Depuis Aristote jusqu'à M. de Buffon, et depuis Descartes jusqu'à M. Le Roi, capitaine des chasses, on pourrait former une liste assez longue et fort curieuse des ouvrages ou des dissertations qui ont été imprimées sur ce sujet, sans compter tout ce qu'on trouve épars dans les livres de métaphysique ou d'histoire naturelle qui en ont parlé.

Le motif qui a déterminé tant d'hommes d'esprit à s'occuper de l'intelligence des bêtes ne saurait être un motif de simple curiosité, et il n'est pas difficile, ce me semble, d'en donner un autre à l'importance qu'on y a mis.

Voici tout simplement comment on peut le concevoir.

Il est un fait certain, évident, et dont tout le monde convient, c'est que dans le nombre des animaux que nous connaissons, il en est beaucoup qui ont des idées, des desirs, une volonté, des passions, une industrie qui semble raisonnée; en un mot, une intelligence, un principe d'action, dont la nature reste à déterminer.

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Ce principe est matériel ou immatériel.

S'il est matériel, ou bien si tout est ma

tière dans l'animal, alors il faut admettre que la matière organisée peut avoir des sensations, des idées, une volonté, etc., ce que les métaphysiciens les plus distingués rejettent absolument.

S'il est immatériel, comme il n'est pas douteux que la mort de l'animal le détruit entièrement, il s'ensuivrait que ce qui est immatériel n'est pas pour cela naturellement impérissable, et de là on en pourrait tirer une conséquence très-dangereuse contre l'immortalité de l'ame humaine, que l'on établit communément sur son immatérialité.

L'examen de cette difficulté n'est donc pas, comme on le voit, aussi indifférent qu'il le paraît au premier coup d'oeil; il peut même présenter à l'esprit des observations très-intéressantes, et peut-être trouverons-nous parmi les idées que nous avons recueillies dans les chapitres précédens quelques principes propres à nous donner le résultat que nous cherchons dans celui-ci.

On a sans doute multiplié à l'infini les raisonnemens sur cette matière; mais comme ils ne peuvent être concluans et solides qu'autant qu'ils sont fondés sur des faits bien constans et bien observés, il est essentiel de com

mencer par là, et de les regarder comme la base de l'opinion qu'on doit préférer à cet égard.

Si l'on examine avec une attention philosophique les actions de certains animaux, tels que l'éléphant, le singe, le loup, le chien, et celles de quelques espèces parmi les oiseaux et les insectes; si l'on considère sans prévention ce que présentent de merveilleux leur industrie, leur instinct, et même les progrès de l'éducation domestique qu'ils peuvent recevoir; enfin, si l'on réunit mille et mille traits de leur part qui supposent de la mémoire et du calcul, de l'attachement ou de l'aversion, du plaisir ou de la colère, ce que nous appelons, en un mot, des sentimens et des passions, il sera bien difficile de ne pas reconnaître qu'il est en eux quelque chose de très-différent de la matière organisée telle qu'elle se montre à nos yeux. Cette matière peut bien nous offrir la composition du mécanisme organique propre à transmettre au cerveau de l'animal une sensation ou une idée, mais elle ne peut être à elle seule le principe qui la reçoit et en prend connaissance : il y a certainement une différence entre l'une et l'autre, et c'est à

bien saisir cette différence que consiste toute la difficulté. Ce principe affaibli, atténué ou entièrement annullé dans l'animal, celui-ci doit se dégrader dans la même proportion, et montrer moins de sensibilité, d'instinct et d'intelligence à mesure que le mécanisme a moins de perfection et d'action sur lui : ét telle est peut-être la seule manière de bien expliquer la prodigieuse distance qui se trouve entre l'intelligence d'un castor et celle d'une huître.

Avec le secours de la physiologie, et par l'examen de ce mécanisme organique, on peut bien rendre raison de ce qu'on appelle instinct dans les animaux, de leur industrie, de leur perfectibilité supposée, même de leurs goûts, de leurs desirs, et de toutes les passions qui tiennent à leur conservation et à leur reproduction; mais il est mille circonstances où leurs actions semblent être l'effet d'une volonté qui choisit, et que précèdent une combinaison d'idées comparées et une sorte de jugement. Cette combinaison est une opé ration intellectuelle dont la matière la mieux organisée n'est pas susceptible. Cette matière, comme nous l'avons vu, est douée de l'irritabilité, et peut recevoir du mouvement qui

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