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prit de quelques-uns de ses auditeurs, tâchait de concilier ainsi les opinions.

« Vous devez vous rappeler, leur disaitil, ce qui a été disputé au professeur de l'entendement humain; que l'homme ne pense que parce qu'il parle, de même qu'il ne parle aussi que parce qu'il pense; ce qui ne veut dire autre chose, sinon qu'il a heureusement imaginé des moyens pour combiner ses idées, et par conséquent pour les réduire en pensées, et pour les exprimer par des propositions. Et comme souvent les mots sont mal entendus, si je dis avec le professeur de l'entendement, l'homme ne pense que parce qu'il parle, comme il ne parle aussi que parce qu'il pense, je dois m'expliquer en ajoutant que j'entends par le mot parole, ce que nous faisons quand nous exprimons, de quelque manière que ce soit, les idées, les pensées et les opérations de notre esprit.

<«< Ainsi je prends dans ce cas la parole dans sa plus grande généralité et dans sa signification la plus étendue; c'est-à-dire, que je la regarde comme l'expressión de la pensée de quelque manière qu'elle soit exprimée, soit par écrit, soit par la voix, soit

par le geste, soit par les signes de la physionomie, soit par des signes peints, soit des sons articulés. » (a)

par

Personne assurément n'était en état de résoudre la question mieux que l'abbé Sicard. L'homme qui depuis plus de vingt ans a pu observer que les sourds-muets qu'il a instruits n'ont commencé à penser qu'à mesure qu'il leur communiquait la parole quelconque; qui a vu, pour ainsi dire, la pensée naître et se développer à chaque leçon; qui a pu se convaincre, par le témoignage même de ses élèves, qu'ils étaient semblables à des animaux avant de l'avoir connu, aurait pu, ce me semble, dire nettement (15): L'homme ne pense que parce qu'il parle. Au lieu de cette assertion qu'il devait à la vérité et à son propre sentiment, il ajoute: de même qu'il ne parle aussi que parce qu'il pense: addition superflue et contradictoire, quand elle reste sans aucune explication. La logique du professeur de l'art de la parole doit être trop exercée et trop sûre pour qu'il n'ait pas senti que c'est nécessairement l'un ou

(a) Suite des séances des écoles normales, t. III, page 164..

l'autre, et que si l'homme ne pense que parce qu'il parle, on ne peut plus dire qu'il ne parle que parce qu'il pense. Le professeur d'entendement n'avait point ajouté cette seconde phrase, dont il sentait probablement l'inconséquence. N'est-ce pas en effet comme si on disait : L'homme ne se promène que parce qu'il marche; comme aussi il ne marche que parce qu'il se promène. L'homme ne se promène que parce qu'il marche, et il ne marche que parce qu'il a la faculté de marcher. L'homme ne pense que parce qu'il parle, et il ne parle que parce qu'il a la faculté de parler.

Sans doute on peut dire aussi que l'homme parle, parce qu'il pense; mais c'est que l'on. considère alors l'homme dans l'état de société, l'homme fait, pensant avant de parler, et se servant de la parole pour exprimer sa pensée, sans qu'il réfléchisse alors que c'est primitivement à la parole qu'il doit la pensée. Il est même impossible de penser sans parler intérieurement; et si l'on y veut faire attention, on sentira bien qu'avant d'exprimer sa pensée, elle est toute formée dans l'esprit par la parole.

La question ici n'est donc pas de savoir

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si, dans l'usage ordinaire de la vie, l'homme qui sait parler pense avant d'exprimer par des sons articulés, mais si primitivement l'homme a pu penser avant de pouvoir parler; ou, en d'autres termes, si l'homme de la nature, le sourd-muet, l'enfant à la mamelle, ont, je ne ne dis pas des idées, mais des pensées, avant qu'on leur ait appris à parler.

J'ai de la peine à deviner le motif qui a pu déterminer M. Sicard à cette interprétation louche, et qui s'accorde si peu avec tant d'autres endroits de ses leçons. Peut-être at-il craint qu'on ne l'accusât, comme le professeur G***, de favoriser le matérialisme; mais c'est une absurdité que cette accusation car que l'homme pense parce qu'il parle, ou qu'il parle parce qu'il pense, il n'en est pas moins vrai que c'est le seul être dans la nature visible auquel Dieu ait. accordé une ame ayant la faculté de penser, de le connaître et de l'adorer. On peut donc indifféremment adopter l'une ou l'autre de ces opinions, et loin qu'on puisse rien conclure de la première contre la spiritualité de l'ame, je suis au contraire convaincu, comme je l'ai dit, qu'on y trouve la preuve la plus positive et la plus claire en sa faveur.

Un élève de ces écoles fit, quelque temps après, à l'abbé Sicard des observations qui méritaient d'être appréciées, et auxquelles il fit des réponses plus satisfaisantes, mais toujours sans s'expliquer sur la question principale qu'il s'agissait de résoudre.

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On lit dans une de vos leçons, lui dit-il, n° 123: « La parole est-elle si naturelle à « l'homme, qu'il n'ait besoin, pour exprimer «< ses idées par des sons articulés, ni du se«cours de l'instruction, ni de celui de l'ex«<périence? Non, sans doute. Un enfant << séquestré de la société, et privé en nais<< sant de toute communication avec `ses « semblables, n'exprimerait ses sensations et << ses idées que par des cris, comme les ani<«< maux.... » Une pareille idée m'a pénétré. Regardant l'homme comme le chef-d'œuvre de l'être qui a tout fait, j'ai cherché à prouver que non seulement il diffère des animaux par la raison, mais encore par la faculté de pouvoir exprimer ses idées par des sons articulés, sans le secours de l'instruction et de l'expérience.

« J'ai cru en trouver une preuve dans les langages divers de tous les peuples de la terre, etc. En voici une qui paraît convain

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