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eux et lui. Une grande correspondance existe entre tous les êtres moraux et physiques. Il n'y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer, n'ait éprouvé une sorte d'émotion qu'il lui était impossible d'analyser ou de définir. On dirait que des voix descendent du haut des cieux, s'élancent de la cime des montagnes, retentissent dans les torrens ou dans les forêts agitées, sortent du profond des abymes........ Tout ce qui n'est pas civilisé, tout ce qui n'est pas soumis à la domination artificielle de l'homme, répond à son cœur. Il n'y a que les choses qu'il a façonnées à son usage qui soient muettes, parce qu'elles sont mortes. Mais ces choses mêmes, lorsque le temps a anéanti leur utilité, reprennent une vie mystique; la destruction les remet, en passant sur elles, en rapport avec la nature. Les édifices modernes se taisent, mais les ruines parlent. Tout l'univers s'adresse à l'homme dans un langage ineffable qui se fait entendre dans l'intérieur de son ame, dans une partie de son être inconnue à lui-même, et qui tient à la fois des sens et de la pensée. »

Ce double effet est bien plus sensible encore

pour ceux qui parcourent les hautes mon tagnes et que tourmente le desir de s'élever jusqu'à leurs sommets. La sensation physique et' morale que cette tentative fait éprouver dans les Alpes est inexprimable. Il semble qu'à ces hauteurs, la pression de nos organes corporels sur notre ame soit moins forte, comme celle de l'air sur nos poumons; quel que chose de spirituel semble se dégager de nous, et donner plus d'exaltation à nos idées et à nos sentimens. Le souffle divin qui nous anime serait-il une substance qui trouve alors moins d'entraves pour s'unir à sa source ou à son premier élément ?

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Un auteur, qui a voyagé en Suisse, appelle ce changement qui se fait alors en nous une révolution morale et physique de nos facultés. La fatigue la plus extrême s'évanouit; il semble qu'on ait déposé aux pieds des monts ses soins, sa faiblesse, ses inquiétudes et ses passions. (8) Et ce sont précisément ces passions, ces inquiétudes, ces desirs vagues d'une félicité que notre cœur ne saurait trouver sur la terre, qui sont les indices certains de ces rapports si clairement établis entre la constitution morale de l'homme et l'ordre de ces choses surnaturelles qui ne correspon

dent qu'avec lui. Si nous voulons nous en convaincre d'une manière plus positive encore, jetons les yeux sur la destination de tous les êtres qui respirent et sur la différence bien prononcée par la nature entre l'homme et les animaux, même ceux auxquels on ne peut refuser la prérogative de l'intelligence.

Dieu, en créant tous les êtres qu'il a doués de la vie, a voulu les rendre tous heureux; c'est-à-dire, qu'il a voulu que tous pussent jouir, d'après leur organisation particulière plus ou moins parfaite, de tous les plaisirs qui peuvent être attachés au sentiment de l'existence; et conséquemment à ce dessein, il les a placés dans les lieux où ce sentiment devait se développer avec l'énergie relative à leur condition.

La contemplation suivie de la nature offre de toutes parts la preuve de cette intention. constante d'une sagesse et d'une bonté suprême, qui semble avoir préordonné cette terre que nous habitons momentanément pour y fixer et y terminer la destinée des êtres sensibles, et pour y préparer seulement celle de l'homme que sa raison et sa moralité mettent dans une classe si élevée et si éloignée de la leur.

On ne saurait étudier cette nature si féconde, si abondante, si variée, sans admirer les consonnances qui se trouvent constamment entre ses productions de tout genre et l'organisation des êtres animés qui en peuplent les élémens. Quelle bienfaisance! quelle profusion! quelle prévoyance même dans les moyens qu'elle emploie pour conserver, garantir, propager leur existence, et leur procurer les douces jouissances que leur sensibilité peut atteindre! Heureux Bernardin! vous sûtes les saisir ces rapports, et en former pour l'auteur de tant de merveilles un trophée de reconnaissance et d'amour, dont les charmes de votre style éterniseront la durée.

Parcourez tous les climats, observez toutes les saisons, laissez de côté cette humeur philosophique qui ne s'attache à observer que ce qu'elle croit le mal, quand, dans le systême entier, ce mal est peut-être un bien, et voyez que de soins la Providence accumule pour mettre ces êtres de toute espèce, dont l'existence physique, mais heureuse est le seul but, à l'abri des dangers qui pourraient menacer leur conservation individuelle. Voyez comme elle a pourvu à leurs

différens besoins; comme elle a su les garantir de l'influence des températures qui pourraient leur nuire; comme elle a répandu autour d'eux les alimens les plus analogues à leurs desirs et les plus convenables à leur nourriture; comme elle a su tempérer la force par la générosité, dédommager la faiblesse par la ruse, donner à tous l'instinct qui les conduit et les préserve, et ne laisser à aucun, dans toutes les jouissances de la vie, la triste certitude de la perdre. Mais si les précautions d'une continuelle bienveillance se font remarquer dans les autres saisons, c'est surtout dans celle du printemps qu'il en faut admirer la munificence. Ce sublime réveil, cette grande, solennité de la nature, est le renouvellement de tous ses bienfaits. Qui pourrait mieux qu'elle-même parer son temple? La fraîcheur de la verdure, le coloris des fleurs naissantes, la pureté balsamique de l'air, tout annonce le retour de cette chaleur douce et vivifiante qui vient ranimer tous les êtres organisés, et les soumettre au pouvoir de l'amour. Pouvoir plein de douceurs et de charmes émanation presque divine d'une bonté suprême qui a voulu, puisque

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