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mortels ouvrages. Animé de cette passion sublime, l'homme avec joie cèderait sa vie pour l'hommage tardif de la postérité; il renoncerait à vivre en échangeant contre l'avenir le plus beau don de la nature.

Doit-on s'étonner après cela que les plus sages législateurs et les moralistes les plus éclairés aient employé ce ressort si puissant de l'avenir, pour en faire la sanction de tous les devoirs et de toutes les lois religieuses? Nul mobile plus propre à réprimer le vice et à fortifier la vertu ne pouvait être mieux établi que sur l'imagination qui présente sans cesse des récompenses pour celle-ci et des punitions pour l'autre. Ce qu'il faut déplorer seulement, c'est que le malheureux penchant de l'homme à surcharger tout ce qui est bien et à déparer tout ce qui est utile, ait dénaturé, par des fables ridicules et des accessoires révoltans, ce que la sagesse humaine avait établi de plus noble et de plus digne de la majesté divine, en conciliant avec sa suprême bonté les lois de son éternelle justice. La vraie philosophie a fait, sous ce rapport, ce qu'elle devait faire; elle consacrait un principe dont le développement était réservé à l'étude plus approfondie de la

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nature des êtres vivans. Mais en tirant parti pour la morale d'un penchant si naturel à l'esprit humain, elle lui a laissé cette curiosité qui le tourmente, ce desir si souvent renouvelé, et quelquefois si malheureusement satisfait, de connaître le sort qui nous est personnellement réservé, ou d'entrevoir assez clairement ce que l'avenir cache encore à notre impatience. Y aurait-il donc quelque manière de soulever le voile mystérieux qui couvre cet avenir, et d'en acquérir une sorte de certitude? Cette recherche nous engagera dans quelques détails qui se lient d'euxmêmes à notre sujet, et qui, pour une certaine classe de lecteurs, ne resteront pas sans intérêt.

On peut distinguer trois manières de connaître l'avenir. La première qui tient à une cause surnaturelle et qui n'est point à la disposition de l'homme, à moins qu'il ne devienne l'organe inspiré par l'Étre suprême dont la prévoyance est indubitable; ou qui tient à une cause naturelle tellement cachée, qu'elle devient également mystérieuse et ne peut être par conséquent à l'abri d'un doute qui détruit toute démonstration. L'esprit humain ne peut alors que soupçonner, pré

sumer, conjecturer, mais ne peut rien affirmer.

La seconde tient à l'examen des faits physiques combinés avec les causes morales dont ils dépendent, et qui les dirigent de telle sorte que l'avenir alors semble écrit dans le passé, que les mêmes causes qui ont produit tels ou tels événemens doivent, par la combinaison des mêmes circonstances, en produire de semblables: telle est la base des prédictions en politiques et dans quelques sciences naturelles et mathématiques. Si la certitude qui en résulte n'équivaut pas à une démonstration, elle produit au moins une grande probabilité.

La troisième naît de l'observation des faits établis sur des expériences constantes, uniformes, et qui sont le résultat des lois invariables de la nature. Celle-ci produit une certitude physique déduite de l'essence même des choses que nous pouvons parfaitement connaître, et telle est celle sur laquelle est fondée la certitude positive d'un avenir pour l'homme.

Nous mettons au premier rang les prophéties ou les prédictions faites par certains personnages, ayant pour but de servir de

preuves à la vérité d'une mission ou d'une doctrine quelconque. Dieu seul connaît clairement l'avenir, soit qu'il se compose de faits purement physiques ou de faits contingens, ainsi nommés parce qu'ils dépendent des actions libres des hommes. Le passé, le présent et l'avenir, sont pour l'Être éternel

et immuable une seule et même chose. Dans cet immense tableau tout paraît sans confusion à sa place, et ce n'est point parce que Dieu a vu ces actions et ces faits qu'ils arrivent, mais c'est parce qu'ils devaient arriver que Dieu les a vus. Que, dans le plan mystérieux de son éternelle sagesse, il ait dévoilé à des êtres privilégiés quelques-uns de ces événemens avec l'ordre de les annoncer de sa part pour le bonheur ou l'instruction des hommes, rien en cela n'est impossible: mais alors la prophétie dépasse les limites. de l'ordre naturel; elle est une révélation à laquelle aucune étude, aucune combinaison ordinaire ne peut atteindre, et qui fait de l'intelligence humaine un instrument purement passif entre les mains d'un maître qui la fait servir à ses desseins. C'est donc une erreur grave d'avancer, comme l'a fait un auteur moderne, que, chez les prophètes sa

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crés, le don de prédire des événemens trèséloignés n'était que l'usage d'une faculté naturelle, ou, comme il dit, d'une clairvoyance instinctive qui, si elle existe pour d'autres objets, ne peut s'appliquer à celuici. S'il est quelques autres circonstances où les événemens bien détaillés, d'après les recherches les plus sévères, aient justifié de semblables prédictions, il en faut chercher la source ailleurs que dans une exception à la loi naturelle et commune que, sans doute, Dieu peut permettre quand il lui plaît. Pour peu qu'on y réfléchisse, et en bonne logique, on ne peut pas comparer les inspirations sublimes de Daniel ou d'Isaïe aux centuries de Nostradamus, et mettre en parallèle les touchantes expressions des premiers avec les calembourgs des oracles du paganisme et l'ambiguité grotesque d'un faiseur d'almanachs.

Les pressentimens, les pronostics, les avis en songe, qui, d'après la manière dont on en rend compte, semblent n'être past dans l'ordre naturel et tenir de l'inspiration, ne peuvent pas être exclusivement l'effet de la réflexion sur les causes et les principes des événemens; mais ils viennent probable

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