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Mais nous avons fait voir l'inconvénient de ce systême, malgré la préférence que semblent lui donner Mallebranche, Bonnet, Bourguer et plusieurs autres. La nature présente assez de mystères sans y ajouter encore celui qui effraie l'imagination la plus robuste.

Il est plus facile de concevoir que les générations se succèdent selon l'ordre des temps, et que la volonté du Créateur a été qu'une substance douée d'intelligence fût unie au germe humain dans l'instant où ce germe aurait l'animation nécessaire pour que chacune des deux substances pût agir sur l'autre et ne former qu'un seul individu. Ainsi la question semble se réduire à savoir quel est l'instant où le fœtus humain a l'animation suffisante pour cela, ou la vie qui lui est propre et personnelle.

Si l'on cherche une analogie dans les autres corps organisés qui s'engendrent ou se développent, on y trouve des rapprochemens dont il est possible de tirer quelques inductions.

Dans les graines le germe existe tout entier, et la plante existe dans ce germe qui peut s'y conserver des années entières, sans perdre la faculté de la reproduction que la nature attache à son organisation intérieure. Une douce chaleur, une humidité modérée, déterminent un développement nécessaire à la végétation qui peut être regardée comme la vie des plantes.

Dans le règne animal, l'œuf, ou le germe qui le remplace sous une autre forme, contient avant la fécondation, dans le sein de la mère, l'être qui doit en sortir, et dont l'entière conformation ne se développe que quand il a reçu le mouvement et la vie. Les mêmes observations ont été faites par le célèbre Spallanzani sur les embryons des amphibies, et l'on peut conjecturer qu'il en est ainsi de tous les êtres organisés vivans qui se propagent de la même manière.

Ces considérations peuvent conduire aux questions suivantes :

L'existence d'un être actif et destiné à la vie peut-elle être regardée comme réelle tant que le mouvement et la vie ne sont pas en lui? La plante est-elle réellement une plante avant qu'elle cominence à se nourrir et à végéter? Le poulet est-il un poulet avant que ses organes commencent à se développer par le mouvement et la nutrition? jusqu'à ce moment, il n'est pas même visible avec les meilleurs microscopes: il est pourtant dans l'œuf long-temps avant l'incubation, et ne commence à vivre que quelques heures après, ainsi que M. Haller l'a démontré.

:

Il en peut être de même de l'enfant dans le sein de la mère il n'a réellement la vie à lui que lorsqu'il a des sensations et des mouvemens personnels, et il est très-probable que l'ame ne commence à s'unir à lui que vers le temps où il se meut de

lui-même, c'est-à-dire vers le milieu de la gesta-
tion, à quatre mois et demi: encore, depuis cette
époque, l'ame reste-elle en lui sans aucune sorte
de fonction, comme le papillon, sous sa nymphe,
reste avec ses ailes, ayant la faculté de voltiger
quand il sera débarrassé des entraves qui l'assu-
jettissent. Lorsque l'enfant vient au monde, il
n'est pas beaucoup plus avancé, sous le rapport
des sensations raisonnées, que dans le sein de la
mère; et s'il vient à mourir avant d'avoir respiré
l'élément dans lequel il doit continuer de vivre,
que devient cette ame? il faut bien croire alors que
cette substance d'origine céleste s'unit à quelque
substance plus parfaite, ou qu'elle est destinée à
peupler des mondes dont celui-ci ne lui a servi
que de passage, puisqu'il ne devait
puisqu'il ne devait pas lui servir
d'épreuve.

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TROISIÈME PARTIE.

DE LA

DESTINÉE DE L'HOMME DANS L'AVENIR.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Avenir, et des différens moyens d'en acquérir la connaissance.

LA combinaison morale qui donne aux êtres humains, jouissant d'une pleine santé, la plus grande somme de bonheur, est celle de l'imagination avec l'avenir. Cette pensée, que je crois vraie, n'a de justesse cependant que lorsqu'on s'entend bien sur le vrai sens de ce mot de bonheur: souvent on le confond avec le plaisir, et l'un est bien différent de l'autre.

Le plaisir tient aux sens, le bonheur vient

de l'ame. L'un se combine avec le mouvement, l'agitation des organes, la rapidité du moment; il est tout effervescence. L'autre est un état de calme et de repos; sa jouissance est toute dans la pensée, et le temps, qui emporte si vivement le plaisir, semble donner au bonheur plus de consistance; il l'affermit au lieu de le détruire.

Les animaux sentent le plaisir; aucun d'eux n'éprouve le bonheur. L'imagination ne fait rien sur ces êtres purement sensitifs; et l'amour, que des êtres raisonnables regardent souvent comme la source de la félicité suprême, offre bien moins le dernier degré du bonheur dans une exaltation passagère, que dans les charmes de la constance qu'une douce illusion lui promet.

L'avenir n'est rien pour l'enfance; le plaisir présent est son hochet: ce qui l'amuse le matin elle le dédaigne le soir ; à peine a-t-elle l'idée du lendemain.

C'est l'âge de la raison qui présente le premier tableau de l'avenir, mais avec des couleurs si douces, qu'elles tiennent encore de l'innocence et de la candeur de cette première saison de la vie.

Lorsque le temps y fait succéder celle des

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