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gage est le plus imparfait et le moins susceptible de culture, telles que les loups, les castors, les singes, les éléphans, etc.

M. Le Roi a donc mal posé sa question lorsqu'il a dit : Les bêtes parlent-elles ou non? Il devait dire : Les bétes ont-elles un langage ou non? L'affirmative n'est pas douteuse, et les faits le prouvent.

Mais ce qui établit évidemment la différence et la supériorité de la parole sur le langage, c'est que la parole est de convention, qu'elle doit être conséquemment aussi différente de nation à nation que ces nations le sont entre elles; que la parole articulée est le seul moyen que Dieu ait donné à l'homme pour abstraire et généraliser ses idées, en former des raisonnemens, et qu'il est par conséquent littéralement vrai qu'elle est un avantage particulier et l'expression privilégiée de la raison humaine. Sans y penser, et comme entraîné par la force de la vérité, l'auteur y souscrit luimême lorsqu'il dit en terminant, que, sans l'écriture, qui appartient à l'homme seul, chaque individu serait forcé de recommencer la carrière de connaissances que son devancier aurait parcourue; ce qui ne mettrait

pas entre la brute et lui une grande différence. Je n'ai pas besoin de remarquer que l'écriture n'est autre chose que la parole fixée par des signes convenus, et que l'impossibilité où sont les bêtes d'arriver même à la première idée de cet art, doit faire sentir mieux encore l'énorme différence qu'il y a entre la parole et le langage.

Le célèbre naturaliste de Genève est peutêtre celui qui a répandu le plus de clarté dans l'analyse de cette différence (19), à laquelle un membre distingué de l'Institut de France paraît n'avoir pas fait beaucoup d'attention en composant les mémoires qu'il a lus en 1806 dans une des séances de cette savante société. M. Dupont de Nemours assure, dans ces mémoires, qu'il est parvenu à très-bien entendre le langage des corbeaux et des rossignols. Il a composé une grammaire et même un vocabulaire de la langue des premiers, et s'est trouvé tellement avancé dans l'étude à laquelle il s'est livré pendant plusieurs années, qu'il a pu mettre en vers les pensées amoureuses du rossignol pour sa femelle, et en composer une chanson avec un air imitant, autant qu'il a été possible, les accens mélodieux du chantre ailé de nos

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forêts. Ce qu'il peut y avoir de plaisant dans la manière dont l'auteur a rendu compte de ses observations ne doit pas empêcher qu'on lui sache gré de ses recherches, puisqu'elles ont pour objet un point d'histoire naturelle et même de métaphysique sur lequel les auteurs les plus éclairés ne sont point encore entièrement d'accord. Ces mémoires sont écrits avec beaucoup d'esprit et une sorte d'originalité piquante qui leur a donné quelque célébrité on voudrait seulement qu'il eût mis un peu plus de sagesse dans ses aperçus, plus de liaison dans ses idées, et qu'il eût préféré de faire l'histoire de cette partie intéressante de la nature au lieu d'en faire le roman. Séduit par une imagination vive et par le desir que ce qu'il imagine soit vrai, il voit l'intelligence des animaux comme il la fait, et non comme elle est effectivement; il envie plaisamment leur organisation et beaucoup de leurs jouissances; il leur donne la réflexion pour acquérir des connaissances, une langue pour les communiquer; enfin, il en fait des savans, et peu s'en faut qu'il n'en fasse des philosophes.

En comparant d'ailleurs ce qu'il dit dans ces mémoires avec ce qu'il écrivait dans un

autre de ses ouvrages, de la nature de l'ame en général (a), on voit que son opinion est que l'ame n'est qu'une force active qui a la puissance d'animer la matière organisée, et qui peut même résider dans la matière qui ne l'est pas; que cette puissance reçoit sa plus ou moins grande perfection, produit plus ou moins d'intelligence selon qu'elle se trouve unie à des organes plus ou moins parfaits; qu'étant essentiellement active, elle donne l'animation et la vie aux corps qui peuvent la recevoir, et reste dans un état de mort et d'engourdissement dans ceux qui sont trop bruts, jusqu'à ce que la volonté divine les tire de cette espèce d'exil pour animer des substances végétales ou animales. Il suivrait de lå que l'ame des animaux est absolument de la même nature que celle des hommes, et qu'en supposant que l'ame d'une brute passe dans un foetus humain, elle y pourrait devenir celle d'un Newton ou d'un Voltaire, ce qui est inadmissible. Je peux bien croire que si l'ame d'un homme d'esprit, en sortant de son corps, allait animer celui d'un cerf ou d'un brochet, cet homme d'esprit n'y

(a) Philosophie de l'univers, page 178.

serait jamais qu'une brute; mais je suis persuadé que l'ame d'une tortue qui passerait dans le corps d'un individu destiné à être une belle femme, n'en ferait jamais une femme aimable. L'ame d'un colimaçon dans Homère n'eût jamais fait l'Iliade; et si celle de M. Dupont se trouve un jour dans le corps d'un loup, dont il fait un si bel éloge, je doute qu'il trouve cette habitation bien proportionnée au genre de son esprit.

La puissance divine, infiniment variée dans ses productions, a créé des ames angéliques, humaines et sensitives, comme elle a créé des roses, des tulipes et des violettes. La culture peut les rendre plus belles, mais elle ne change jamais leur nature. Rien ne s'accorde mieux avec la raison et avec l'idée que nous pouvons concevoir de l'ordonnance générale des êtres, que cette classification des espèces qui doit avoir lieu dans la création des substances intelligentes comme dans celle des êtres visibles que le spectacle de la nature présente à nos yeux. Si M. Dupont eût adopté ce principe, s'il eût réglé ses idées sur une méthode un peu plus sévère, s'il eût pensé qu'en sage observateur, l'exac

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