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prouve évidemment la convention arbitraire qui l'a formée.

M. Le Roi me paraît ne pas s'être expliqué d'une manière assez exacte sur cet article.

Peut-être que, séduit par une illusion trèsfacile à concevoir, il aurait eu du regret de penser qu'il avait passé tant d'années de sa vie avec des êtres qui ne parlaient pas quand il lui paraissait si naturel de leur laisser cet avantage. L'examen de son opinion d'ailleurs ne peut que fixer mieux encore celle qui paraît la plus probable à cet égard. Il faut beaucoup de savoir pour affirmer toujours; et l'on ne parvient à s'éclairer qu'en discutant.

« Nous ne remarquons, dit-il, dans les bêtes que des cris qui nous paraissent inarticulés : nous n'entendons que la répétition assez constante des mêmes sons. D'ailleurs nous avons quelques peines à nous représenter une convention suivie entre des êtres qui ont un museau alongé ou un bec. De ces préjugés on conclut assez généralement

que les bêtes n'ont point de langage proprement dit, que la parole est un avantage qui nous est particulier, et que c'est l'expression privilégiée de la raison humaine......

la

Les bêtes parlent-elles ou non? C'est une question qui doit se résoudre par solution de deux autres. Ont-elles ce qui est nécessaire pour parler? Peuvent-elles sans parler exécuter ce qu'elles exécutent? Le langage ne suppose qu'une suite d'idées et la faculté d'articuler. Nous avons reconnu, sans pouvoir en douter, que les bêtes sentent, comparent, jugent, réfléchissent concluent, etc. Elles ont donc, en fait des idées suivies, tout ce dont on a besoin pour parler. A l'égard de la faculté d'articuler la plupart n'ont rien dans leur organisation qui paraisse devoir les en priver. Nous voyons même des oiseaux, d'ailleurs si différens de nous, parvenir à former des sons articulés entièrement semblables aux nôtres. Les bêtes ont donc toutes les conditions nécessaires au langage. Mais si nous suivons de près le détail de leurs actions, nous voyons de plus qu'il est impossible qu'elles ne se communiquent pas une partie de leurs idées, et qu'elles ne le fassent par le secours des mots. Nous sommes assurés qu'elles ne confondent pas entre elles le cri de la frayeur avec le cri qui exprime l'amour. Leurs diverses agitations ont des intonations différentes

qui les caractérisent..... Il est vrai que le langage d'action est d'un très-grand usage parmi les bêtes, et qu'il est suffisant pour qu'elles se communiquent la plus grande partie de leurs émotions. Ce langage, familier à ceux qui sentent plus qu'ils ne pensent, fait une impression très-prompte et produit presque dans l'instant la communication des sentimens qu'il exprime mais il ne peut pas suffire dans toutes les actions combinées des bêtes, qui supposent concert, convention, désignation de lieux, etc. Deux loups qui, pour chasser plus facilement ensemble, se sont partagé leurs rôles, dont l'un est allé attaquer la proie, pendant que l'autre s'est chargé de l'attendre à un lieu donné, pour la pousser avec des forces fraîches, n'ont pas pu agir ensemble avec tant de concert sans se communiquer leur projet ; et il est impossible qu'ils l'aient fait sans le secours d'un langage articulé.....

« La monotonie nous trompe, faute d'habitude et de réflexion. Lorsque nous entendons des hommes parler ensmble une langue qui nous est étrangère, nous ne sommes point frappés d'une articulation sensible, nous croyons entendre la répétition conti

nuelle des mêmes sons. Le langage des bêtes, quelque varié qu'il puisse être, doit nous paraître encore mille fois plus monotone, parce qu'il nous est infiniment plus étranger: máis, quel que soit le langage des bêtes, il ne peut pas aider beaucoup la perfectibilité dont elles sont douées. La tradition ne sert presque point aux progrès des connaissances. Sans l'écriture, qui appartient à l'homme seul, chaque individu, concentré dans sa propre expérience, serait forcé de recommencer la carrière que son devancier aurait parcourue; et l'histoiré des connaissances d'un homme serait presque celle de la science de l'humanité. »

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Tout ce plaidoyer en faveur des bêtes, fait d'ailleurs avec beaucoup d'adresse, ne me paraît qu'un sophisme, parce qu'il n'est appuyé que sur une confusion de termes qu'il fallait définir avant de raisonner. L'auteur confond sans cesse le langage avec la parole, et ce sont deux choses très-différentes. Dans la conversation, on peut prendre indistinctement l'un pour l'autre; mais en métaphysique il faut plus de précision pour éviter l'erreur dans les (conséquences.

La parole est le produit ou le résultat de

la faculté qu'a l'homme, et l'homme seul, d'exprimer ses idées par des signes, des sons ou des mots articulés, arbitrairement con

venus.

La différence entre la parole et le langage des bêtes, c'est que celui-ci est essentiellement uniforme pour chaque espèce, et ne peut être changé arbitrairement. Voilà pourquoi, depuis le commencement du monde, le chant du coq ou le cri de la poule est lé même et semblable par-tout. L'auteur ne doit donc pas dire, en confondant le langage avec la parole, que les bêtes ont des mots articulés : elles n'ont que des sons, des cris, des actions, des mouvemens, mais point de véri tables mots articulés que ceux que l'imitation leur apprend, et qui ne signifient rien', ni pour elle, ni pour toute leur espèce. Il paraît en convenir lui-même, en disant que leur langage d'action est suffisant pour qu'elles se communiquent la plus grande partie de leurs émotions. Et ce qui pourrait donner lieu de croire que ce langage des bêtes ne leur a pas été donné par l'Auteur de la nature pour perfectionner leur intelligence, c'est que les bêtes qui paraissent les plus intelligentes sont celles dont le lan

t

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