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M. Daviel s'est attaché aussi à réfuter les arguments que M. Proudhon a puisés dans les ordon. de 1669 et 1672; mais, en admettant la justesse des observations de M. Daviel à cet égard, on ne peut s'empêcher de reconnaître que des ordonnances qui datent de 1669 et de 1672, et qui, à cette époque déjà, consacraient comme une nécessité le flottage à bûches perdues pour la haute et basse Seine, prêtent une grande force au système de ceux qui viennent aujourd'hui soutenir que la liberté des eaux est un principe incontestable aussi bien que l'égalité des droits et l'uniformité de législation pour tous les Français, et que ce serait singulièrement rétrograder que de soutenir et de faire admettre que le flottage à bûches perdues sera légal sur la haute et la basse Seine, à Paris et à Rouen, et ne le sera pas sur la haute et la basse Loire, à Nevers et à Orléans. La loi, objecte M. Daviel, le veut ainsi; mais n'a-t-il pas oublié la loi des 25-28 août 1792, art. 9, qui après avoir supprimé tous les droits exclusifs sur les eaux, ajoute ces mots de manière qu'il sera libre à tout citoyen de tenir sur les rivières et canaux des bacs, coches ou voitures d'eau, etc.?— Ainsi le législateur proclame la liberté des eaux en 1792, comme en 1791 il avait proclamé la liberté du sol et de l'agriculture, et il étend cette liberté même aux canaux; à plus forte raison doit-on l'étendre, par anaJogie et dans le silence de la loi, aux eaux qui ont un cours naturel. D'ailleurs les termes qu'emploie le législateur ne suffisent-ils pas pour apprécier quelle a été sa pensée de liberté pour le sol comme pour l'industrie? Voitures d'eau, dit l'art. 9. Or le flottage à bûches perdues est certainement un voiturage par eau,

(1) Espèce:- (Marchal et consorts C. Michel Champy et veuve Champy.) Un cours d'eau appelé la Schirgoute prend sa source dans la propriété de la veuve Champy. Ce ruisseau, depuis une époque bien antérieure à 1616, a servi au flottage à bûches perdues des bois coupés dans les forêts voisines. La famille Champy propriétaire depuis 1816 d'une grande partie de ces forêts, faisait flotter ses bois sur la Schirgoute. Pour faciliter l'opération du flottage, la veuve Champy, qui avait réuni sur sa tête les biens de la famille, fait construire un barrage sur le ruisseau de la Schirgoute, dans un endroit de son cours où les deux rives lui appartiennent, et, en amont de ce barrage, elle fait creuser un bassin destiné à contenir un volume d'eau considérable. Au moment du flottage, les eaux retenues dans ce bassin s'échappaient avec violence au moyen d'écluses levées, et le bois se trouvait ainsi entraîné sur le cours de la Schirgoute. Le flottage ainsi exercé par la dame Champy causait annuellement des dommages aux propriétés riveraines, et l'indemnité due en raison de ces dommages était réglée de gré à gré entre les parties.

En 1837, le sieur Marchal et d'autres propriétaires riverains, voulant faire cesser les dégradations annuelles de leurs propriétés, action nèrent le sieur Champy, qu'ils croyaient propriétaire de la forêt, pour qu'il ait à cesser d'exercer sur le cours de la Schirgoute le flottage de ses bois, et à détruire le barrage établi sur ce cours d'eau. Le 22 sept. 1837, le sieur Champy déclare aux demandeurs que la propriété de la forêt appartient à la dame veuve Champy, sa mère. Sur cette notification, Marchal et autres forment leur demande contre la veuve Champy, et persistent néanmoins dans celle qu'ils ont formée contre Champy.

28 août 1838, jugement du tribunal de Schlestadt qui déclare les demandeurs non recevables à l'égard de Champy, et les déboute de leur demande envers la dame veuve Champy.-Le jugement est ainsi motivé: Considérant qu'il ne s'agit point dans la cause de la question de savoir à qui appartient le lit du ruisseau non navigable ni flottable appelé Schirgoute; que la discussion qui s'est élevée sur cette question et les doctrines contradictoires des auteurs pour déterminer à qui, des riverains ou de l'État, appartient cette propriété, est entièrement étrangère au procès; que la véritable question est de savoir si la dame Champy, propriétaire du sol qui donne naissance à ce cours d'eau, et riveraine de ses bords sur une partie de son cours, a le droit de se servir de cette voie pour y flotter à bûches perdues le bois provenant de l'exploitation de ses forêts, et le transporter même au delà des limites de sa propriété ; Que l'eau afluant dans un courant ou canal naturel est independant du fonds de ce canal, et, par sa nature et sa mobilité même, échappe à toute espèce de mainmise et de propriété qui en résulte; que, de même que l'air, elle se soustrait à toute idée de possession et d'occupation actuelle, et doit être rangée au nombre de ces choses qui n'appartiennent à personne, res nullius, que le législateur, pénétré lui-même de l'incompatibilité d'un droit de propriété avec une pareille nature d'objets, s'est borné à en régler l'usage dans l'intérêt général; que les art. 642, 643, 644, 645 et suiv. c. civ. n'ont point d'autre but que cet usage, et se refusent même à toute idée d'une propriété reconnue aux riverains, puisque, s'ils étaient propriétaires, il eût été inutile de les autoriser à se servir de leur propre chose, ce droit étant inséparable de celui de propriétaire; que ces choses, considérées comme agents de l'industrie, peuvent être appliquées au besoin TOME XIX,

et le plus simple qu'on puisse imaginer. Enfin, M. Daviel remarque que le flottage à bûches perdues aggrave singulièrement la condition des riverains, en raison des marchepieds nécessaires pour le service des flotteurs. Mais il a oublié que les riverains jouissent dans ces rivières du droit de pêche, et que c'est en raison de cet avantage que la loi du 15 avril 1829 leur a imposé l'entretien des petits cours d'eaux, c'est-à-dire le curage; donc, s'ils ont les avantages de la pêche, c'est-à-dire le produit d'une chose dont cependant ils ne sont pas propriétaires, il est juste qu'ils en supportent les charges, et une de ces charges consiste à se soumettre aux inconvénients du flottage. En résumé, pour qu'on puisse exercer le flottage à bûches perdues sur une rivière ou un ruisseau, il n'est pas nécessaire que le cours d'eau ait été reconnu ou déclaré par l'autorité fublique asservi à ce genre de flottabilité. L'eau courante, en effet, n'est dans le domaine de personne d'où il résulte que l'usage doit en appartenir à tous. Or, c'est cette qualité d'eau courante qui constitue précisément le moyen de transport.

63. Cependant nous devons dire que la jurisprudence tend à adopter l'opinion de M. Daviel.-C'est ainsi qu'il a été jugé: 1° que la faculté du flottage à bûches perdues ne peut s'exercer sur les cours d'eau non dépendant du domaine public, qu'autant que l'autorité administrative a concédé le droit et en a réglé les conditions le flottage n'est pas de droit commun, et ne peut être exercé sur un ruisseau, par cela seul que ce cours d'eau est susceptible d'y être assujetti (Colmar, 6 fév. 1839) (1); — 2o Que la faculté de flottage à bûches perdues ne peut s'acquérir par

de tous ceux auxquels elles peuvent être utiles, et sous la réserve et prohibition expresse de la loi et des droits des tiers; · Considérant que le droit d'appliquer à son usage et à son utilité les choses de cette nature ne saurait surtout être contesté à celui dans la propriété duquel elles pren nent leur origine; Considérant que c'est dans ce sens que l'art. 538 déclare dépendance du domaine public les fleuves et rivières navigables ou flottables, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions de territoire non susceptibles d'une propriété privée; que ces objets, quoique réunis au domaine public, n'en peuvent pas moins être appliqués au besoin de tous et chacun, sous la seule modification de l'observation des lois de police et de surveillance indispensables à l'intérêt général ;

>> Considérant qu'il n'est point contesté que le ruisseau de la Schirgoute est un cours d'eau continu et non purement accidentel; que, dès lors, et d'après ce qui précède, les riverains Champy ont pu avec droit se servir de cet agent pour la vidange de leurs coupes, comme les demandeurs riverains pourraient le faire eux-mêmes; Que les demandeurs se plaignent de ce que, par le procédé mis en usage par la dame Champy, pour favoriser le flottage, ils éprouvent un dommage par les détériorations que l'emploi de ce procédé entraîne pour leurs propriétés riveraines; >> Considérant que le principe du droit étant reconnu, il faut nécessairement admettre que la défenderesse a pu, au moyen d'appareils mécaniques ou de constructions d'art, communiquer à l'agent qu'elle avait sous sa main une plus grande énergie; que les bassins ou retenues d'eau sont au nombre des combinaisons les plus usuelles pour obtenir soit un volume, soit une force motrice plus considerable; que l'emploi d'un pareil procédé, loin de dénaturer le droit, ne fait au contraire que l'exercer dans tout son développement; Qu'aucune loi ne prohibe le flottage à bûches perdues, ni ne le soumet à une autorisation préalable de la part de l'administration; Considérant, néanmoins, que les droits des tiers doivent toujours être saufs, dans l'exercice même du droit le plus incontestable; qu'au cas particulier, le droit de flotter à bûches perdues sur la Schirgoute ne peut et ne pourra jamais engendrer pour la dame Champy le droit de causer du dommage aux propriétés riveraines, soit que ce dommage provienne de l'emploi du mode ordinaire de flottage, soit qu'il découle de l'emploi des procédés d'art pour augmenter le volume de l'eau ou la force du courant; Que la dame Champy sera toujours et nécessairement tenue de le réparer, en vertu de l'obligation que l'art. 1832 impose à l'au teur de tout fait dommageable; que la dame Champy, loin de décliner cette obligation, la reconnaît en fait et en droit, puisque les demandeurs out formellement avoué avoir chacun individuellement reçu et accepté pour les derniers flottages une indemnité réglée de gré à gré avec elle;

Que de ce qui précède il résulte, d'une part, que les demandeurs ne peuvent contester à la défenderesse le fond du droit de flottage à bûches perdues sur la Schirgoute; que, d'une autre part, ils sont payés de l'indemnité à eux due de tous les préjudices qu'a entraînés pour eux jusqu'à ce jour l'exercice de ce droit. »

Appel par Marchal et autres. Plusieurs autres propriétaires riverains interviennent et adbèrent à leurs conclusions. Les appelants offrent de prouver le fait qu'ils ont articulé en première instance, savoir: les dégradations annuelles que causent à leurs propriétés l'irruption des eaux du

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prescription, quel que soit le laps de temps pendant lequel on Pait exercé, et lors même que, depuis un temps très-long, des

bassin et les inconvénients du flottage et du repêchage des bois.-De leur côté, les intimés demandaient a prouver: 1o que, depuis plus de trente années avant la demande, les anciens propriétaires des forêts dont s'agit avaient Qotté leur bois à bûches perdues sur la Schirgoute, et qu'il existe encore des vestiges d'anciens étangs dans lesquels on amassait l'eau pour faciliter le flottage; 2° que le sieur Champy avait fait établir, il y a environ vingt ans, sur une prairie à lui appartenant, un réservoir nouveau qui servait depuis au même usage que les anciens étangs; 3o que, depuis, la famille Champy avait fait flotter du bois toutes les années, et que chaque fois l'indemnité pour le dommage que le flottage avait pu occasionner avait été réglée de gré à gré avec les propriétaires riverains...; 4° que le flottage à buches perdues était possible sur la Schirgoute naturellement el sans l'emploi d'aucun moyen d'art; 5° que les étangs et bassins de retenue n'avaient été établis que dans le double intérêt des riverains et du flotteur, pour activer la chasse des eaux, empêcher ainsi les arrêts de bois et son amoncellement dans la rivière, et rendre moins longue la durée du Boltage.-Arrét.

LA COUR ; — Attendu que, par leurs conclusions principales, les appelants et les intervenants, parties de Pennarun et d'Ernst, demandent, à l'encontre des intimés représentés par Comerson, qu'il soit déclaré par la cour qu'il ne leur compète pas le droit de flotter à bûches perdues dans le ruisseau dit Schirgoute, en tant qu'il borde les propriétés desdits appelants et intervenants, et au moyen d'un barrage créé par eux; qu'en conséquence, ce barrage soit supprimé et lesdits intimés condamnés à 2,000 fr. de dommages-intérêts ;;- Que, pour justifier ces conclusions, ils ont présenté et discuté deux propositions principales: par la première, ils ont cherché à établir que le flottage sur un cours d'eau naturel qui ne fait pas partie du domaine public, emportant avec lui des conséquences attentatoires aux droits de propriété des riverains, ceux-ci ne peuvent être contraints à en faire le sacrifice, à moins que, dans un but et par des motifs d'utilité publique, l'autorité compétente ne l'ait ordonné, en autorisant et en régularisant l'exercice de ce flottage; La seconde propo sition tend à démontrer qu'étant, eux appelants et intervenants, propriétaires, chacun en droit soi, du lit de la petite rivière ou ruisseau dit Schirgoute, pour autant qu'il longe, dans une partie de son cours, leurs héritages respectifs, les intimés ne peuvent aucunement, même en admettant qu'il y ait en leur faveur parité de position, donner à ce cours d'eau, au moyen de travaux artificiels, une destination incompatible avec le maintien et l'exercice des droits de propriété qui leur appartiennent sur icelui; Attendu qu'avant de se livrer à l'examen et à l'appréciation de ces deux propositions, ainsi que des autres moyens qui ont été présentés. il importe de déterminer d'une manière précise la position des parties en cause, contre lesquelles elles sont dirigées; - Attendu qu'il résulte des pièces produites au procès que le sieur Bernard-Michel Champy, l'un des intimés, a transmis, dès le mois de sept. 1839, à la dame sa mère, aussi intimée, tous les droits de propriété qui lui appartiennent dans la forêt dont l'exploitation par la voie du flottage a donné lieu au litige actuel; d'où la conséquence qu'il est sans intérêt et sans droit dans la contestation; Attendu, néanmoins, que ce n'est qu'à la date du 6 fév. 1838, et seulement après que l'instance se trouvait liée devant les premiers juges, que le sieur Champy a fait connaître régulièrement sa position aux appelants; Qu'il n'a pas non plus offert de payer les dépens faits à son encontre jusque-là, lesquels, au contraire, ont été mis à leur charge;-Que ces derniers, dès lors, ont été fondés à émettre un appel vis-à-vis de lui;

Attendu que, si le flottage à búches perdues, considéré sous le rapport de l'utilité et des avantages qu'il peut présenter, mérite de fixer l'attention et la sollicitude de l'autorité, il faut reconnaitre aussi que ce mode de transport du bois, imposant aux personnes qui possèdent des propriétés riveraines des cours d'eau sur lesquels il doit s'exercer le sacrifice de droits qui leur appartiennent, on ne saurait admettre qu'il puisse avoir lieu de plano et pour la convenance et le profit du premier venu; - Que, ces personnes se trouvant en effet astreintes à laisser aux ouvriers chargés de la direction et de la conduite de la flotte un passage libre d'une largeur plus ou moins grande sur leurs terrains, il en résulte d'abord pour elles une sorte d'interdiction du droit de se clore, indépendamment des autres préjudices que leur occasionnent ces passages réitérés, toujours précédés, accompagnés ou suivis de circonstances plus ou moins dommageables, telles que la dégradation ou la destruction des bords de leurs propriétés, la perte ou l'enlèvement des arbres qui y sont plantés, le gisement et le séjour sur les rives des bois repêchés ou déposés par les eaux, sans parler des avaries que peuvent éprouver les établissements existant sur ce cours d'eau; - Attendu que consacrer en faveur de tout propriétaire de forêts avoisinant un ruisseau ou une petite rivière non dépendant du domaine public, le droit de l'employer pour le flottage de ses bois sans rontrôle ni surveillance, ce serait donner naissance à des conflits d'intérêts, à des collisions qui pourraient amener les conséquences les plus fàcheuses pour le maintien de l'ordre et de l'harmonie sociale; Que ces considérations reçoivent une nouvelle force du fait, acquis au procès el non contesté, que, depuis 1815 ou 1816, l'intimée, soit pour rendre le

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flottage possible, soit seulement pour le faciliter, a établi sur le ruisseau dit Schirgoute, à une assez grande distance de l'endroit où il prend sa source, un barrage qui en occupe toute la largeur, et dont l'effet est de retenir les eaux en les réunissant en un volume assez considérable dans un vaste bassin creusé en amont dudit barrage; - Que ces eaux, auxquelles, au moment du flot, on donne issue par une vanne pratiquée ad hoc, s'échappent alors avec violence, en entraînant, avec une force irrésistible les bois amoncelés dans le bassin, inondent à une assez grande distanc les propriétés, et occasionnent, dans leur cours prolongé, les autres dé gâts dont se plaignent les parties de Pennarun et d'Ernst;

Attendu que ces conséquences, inséparables du flottage tel qu'il est exercé sur le ruisseau dit Schirgoute, constituent autant d'attaques directes contre les droits des tiers, faites par celui qui, de sa seule autorité, s'en attribue l'exercice, et ne peuvent être tolérées sans méconnaitre et fouler aux pieds le principe de notre pacte constitutionnel, qui proclame l'égalité de tous les Français devant la loi; - Que ce principe ne saurait recevoir d'atteinte que dans les seuls cas où l'autorité supérieure, reconnaissant que des motifs graves, puissants, fondés sur l'intérêt et l'utilité publics, l'exigent, le prescrit pour l'avantage du plus grand nombre;

Attendu que, d'après ce qui vient d'être dit, il est impossible d'admet tre cette proposition articulée par la dame intimée, à savoir que la faculté de flotter à bûches perdues est de droit commun et peut s'exercer sur toutes les petites rivières ou ruisseaux qui en sont susceptibles; Qu'il faut, au contraire, reconnaître et tenir pour certain, et c'est ce que de nombreux documents législatifs attestent, qu'à l'exception des fleuves ou des grandes rivières dont les propriétaires riverains de leurs cours sont assujettis par la loi à subir la servitude qu'entraîne l'exercice du flottage, ce droit ne peut appartenir qu'a ceux-là seuls en faveur desquels l'autorité compétente, après vérification préalable, l'a autorisé, à charge toutefois de se conformer strictement aux clauses et conditions qu'elle juge convenable de leur imposer; — Attendu que l'intimée, qui ne peut produire aucune autorisation de ce genre, essaye vainement, pour y suppléer, de se prévaloir de divers moyens de droit dont elle induit des conséquences erronées; c'est ainsi qu'en argumentant de ce principe incontestable que l'eau des rivières, aqua profluens, étant commune, res nullius, ou res communis, comme le dit la loi romaine, n'appartenant dès lors privativement à personne, chacun a le droit d'en jouir; - Que le flottage n'étant qu'un mode de jouir de cette chose commune, il est permis à chacun de l'employer; Qu'il est facile de reconnaître que ce principe, que notre code civil a rappelé d'une manière générale par son art. 714, be comporte pas, dans son application, l'extension que l'intimée lui prête; mais est, au contraire, inséparable de certaines restrictions consacrées par les notions les plus élémentaires du droit et de la raison: ainsi, l'esage d'une chose laissée dans le domaine de tous, ou, pour parler plus énergiquement, dans la communauté négative de la grande association humaine, ne peut avoir lieu qu'à la condition impérative de ne porter aucune atteinte au droit d'autrui;

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Attendu, en ce qui concerne les cours d'eau naturels, particulièrement ceux qui ne font pas partie du domaine public ou n'appartiennent pas privativement à quelques individus, qu'il est certain qu'a lexception des droits d'usage concédés aux riverains par les articles du code civil, au titre des Servitudes, personne n'a le pouvoir de s'en arroger la disposi tion, l'eau courante etant essentiellement une de ces choses communes à tous, desquelles l'art. 714 précité dit que les lois de police règlent la manière d'en jouir; or ces lois existent depuis longtemps; l'application s'en fait journellement; elles étaient nécessaires pour arrêter les prétentions de quelques-uns et régler les droits de tous; les principales sont, entre autres, celle sous forme d'instruction du 24 août 1770, celle du 6 oct. 1791 et celle du 14 flor. an 11; toutes ont mis à la charge de l'adminis tration l'obligation de rechercher et d'indiquer les moyens de procurer le libre cours des eaux, d'empêcher que les prairies ne soient submergées par la trop grande élévation des écluses des moulins et par les autres ouvrages établis sur les rivières, de diriger enfin, autant qu'il est possible, toutes les eaux de chaque territoire vers un but d'utilité générale, d'après les principes de l'irrigation; de déterminer en conséquence la bauteur des déversoirs des moulins et autres semblables établissements, de manière que les caux ne nuisent à personne; en un mot, de prendre toutes les mesures réglementaires pour que l'exercice de la liberté naturelle, quant à l'usage de l'eau, ne s'étende pas jusqu'à l'abus, jusqu'an droit de causer un dommage réel à autrui; Attendu que la veuve Champy n'est pas mieux fondée à prétendre que le ruisseau dont s'agit ayant sa source dans ses forêts, c'est à elle qu'il doit appartenir exclusivement, si la propriété en peut être attribuée à quelqu'un, et non aux appelants et aux intervenants, qui la revendiquent sans aucune espèce de titre ni de droit; - Que cette prétention ne saurait être accueillie au regard d'aucune des parties plaidantes; relativement à l'intimée, le fait que la source du ruisseau dit Schirgoute surgit uniquement dans son fonds, en en admettant l'exactitude, ne peut avoir d'autres conséquences légales pour ello que de l'autoriser à retenir les eaux de cetto source dans sa

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3o Que le droit de déterminer, par un barrage, la hauteur de Jeau sur une rivière navigable et flottable ou non, est placé par la loi dans les attributions de l'administration, et ne peut dès lors s'acquérir par une possession, quelque longue qu'elle puisse être (même arrêt).

64. Police du flotlage. Diverses obligations sont imposées aux marchands qui veulent livrer leur bois au flottage. La première est d'annoncer aux propriétaires intéressés l'époque où Le flot doit partir, au moyen des publications que l'autorité municipale avertie par eux doit faire dix jours au moins avant le jour d'ouverture. C'est la disposition de l'art. 6, chap. 2 de l'ord. de 1672.-Comme la réunion considérable de morceaux de bois qui descendent le courant en toute liberté, pourrait occasionner des accidents, l'ord. de 1672 pour les prévenir, autant que possible, a exigé des marchands qu'avant de jeter leur flot ils fissent dresser contradictoirement avec les propriétaires d'usines et d'écluses, ou eux dûment appelés, procès-verbal de l'état extérieur de ces usines et écluses, et après le flot passé, d'en faire faire le

propriété, si bon lui semble, et si des tiers n'ont pas acquis, à titre de prescription ou autrement, le droit d'exiger que le cours qu'elles ont soit maintenu; mais il est incontestable que du moment que ces eaux sortent de cette propriété et coulent sur un sol étranger, elles cessent de lui appartenir, et dès lors ladite intimée n'y peut pas plus prétendre que toute autre personne à laquelle elles pourraient devenir utiles: de tout quoi il suit que le moyen invoqué par la dame Champy ne peut être accueilli; Attendu que les parties de Pennarun et d'Ernst, en l'absence d'aucun texte de loi qui attribue la propriété du lit des petites rivières aux riverains, ont inutilement recours à l'interprétation de quelques articles du code pour faire résoudre cette question en leur faveur; Que ceux invoqués par eux, sainement entendus, ne permettent pas d'en tirer une telle conclusion; - Qu'en effet, de ce que l'art. 538 ne comprend au nombre des propriétés qui composent le domaine public, en fait de cours d'eau, que les fleuves, rivières navigables ou flottables, et en exclut, par conséquent, les petites rivières ou ruisseaux, il ne s'ensuit pas que ceux-ci appartiennent à la propriété privée, et l'argument fondé sur ce que ce même article dit que tout ce qui n'est pas susceptible d'une propriété privée fait partie du domaine public n'est pas concluant : car il ne peut tre révoqué en doute qu'il est des espèces de biens qui ne sauraient être classées ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux catégories; l'art. 714 du même code le prouve jusqu'à l'évidence, et il est manifeste que c'est dans le nombre de ces derniers biens qu'il faut ranger les petites rivières ou cours d'eau naturels, puisque, d'une part, l'État se les est attribués, et que, de l'autre, rien ne prouve qu'il ait voulu en gratifier les propriétaires de leurs rives; - Attendu que si, par l'art. 561, le code décide que la propriété des fles qui se forment dans le lit des petites rivières advient aux propriétaires riverains, les discussions qui ont eu lieu dans le sein du conseil d État sur cette partie du code, et les discours des orateurs du gouvernement enseignent que le seul et unique motif qui a déterminé cette disposition a été que cet objet présentait trop peu d'importance pour que l'État le dispute aux particuliers; — Qu'il est très-remarquable que, lors de ces discussions, pas un mot n'a été prononcé duquel on puisse conclure que cette attribution en faveur des riverains avait son origine et trouvait sa justification dans le droit de propriété des bords du lit de ces rivières ou ruisseaux, ce qui prouve suffisamment que les conséquences que les appelants et intervenants veulent induire de cet art. 571 sont juridiquement inadmissibles;

Attendu que, s'il était vrai que ce droit de propriété du lit des petites rivières a été reconnu, consacré en faveur des propriétaires de leurs bords, on ne saurait comprendre comment le législateur, après une telle reconnaissance, aurait pu disposer de cette même propriété, ainsi qu'il l'a fait par l'art. 563, en décidant que si un fleuve, une rivière navigable. flottable ou non, se forme un nouveau cours, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d'indemnité, l'ancien lit abandonné, l'autant taoins qu'il venait de consacrer, par son art. 545, le principe Jacramentel que nul ne peut être contraint de faire le sacrifice de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste ndemnité; Qu'il est donc rationnel de conclure de ces observations que la propriété du lit des petites rivières, si l'État ne se l'est pas réservée, n'a pas non plus été départie aux riverains, mais qu'elle est demeurée dans la communauté négative, sauf le droit appartenant toujours au gouvernement d'en disposer, le cas échéant, pour le bien et l'avantage du public, comme, par exemple, alors qu'il juge utile de consacrer ces • cours d'eau à la navigation, au flottage ou à tout autre emploi profitable à la navigation; — Qu'il ne faut d'ailleurs pas oublier que les auteurs du code civil, en s'occupant de cette partie de notre législation moderne, ont apporté de notables changements aux règles établies par le droit romain: ainsi, au lieu d'attribuer aux riverains des fleuves, rivières navigables ou fottables, ou non, car tous appartenaient au domaine public,

récolement également contradictoire. Lorsqu'au moment de la visite il apparaît qu'il existe des réparations à faire aux pertuis, on doit y procéder immédiatement, sinon les agents du commerce des bois, après mise en demeure des propriétaires, peuvent y faire procéder aux frais de ceux-ci (ord. 1672, chap. 17, art. 11 et 12).- Si les marchands de bois ne remplissent pas ces formalités préalables, les propriétaires peuvent refuser le passage, ou bien s'ils croient devoir laisser passer le flot pour ne pas entraver les opérations du commerce, les marchands sont alors tenus de payer toutes les réparations, et ne sont point admis à soutenir que les dégradations existaient avant le passage du flot (lettre du directeur général des ponts et chaussées au préfet de la Nièvre, du 29 oct. 1807).—V. M. Dupin, Code des bois et charbons, p. 758.

65. Il n'est dû aucune indemnité aux propriétaires riverains d'un cours d'eau pour le fait du flottage, considéré en lui-même, c'est une charge qu'ils doivent supporter, comme celle des chemins de halage, servitudes qui trouvent leur compensation dans

alors la propriété des fles qui naissent dans leurs lits, comme le déci daient les lois 7 et 29 au Digeste De acquirendo rerum dominio, ces auteurs se sont bornés à leur concéder, à raison de leur peu d'importance, celles qui se forment dans le lit des petites rivières seulement; ainsi encore, contrairement à ce que prescrivait le § 23 aux Institutes, au même titre De acquirendo rerum dominio, le lit délaissé par un fleuve ou une rivière navigable, flottable ou non, qui, s'il se crée un nouveau cours, devait advenir aux propriétaires riverains de ce lit abandonné, a été attribué par le législateur moderne, à titre d'indemnité, à ceux-là dont la propriété a été envahie par le fleuve; - Qu'il faut induire de là que, sous l'empire de l'ancien comme du nouveau droit, ces répartitions ont été faites arbitrairement et par des motifs que l'équité, dont les règles se modifient et changent même quelquefois selon les temps et les lieux, peut sanctionner sans doute, mais qui n'en sont pas moins entièrement étran gers et ne se rattachent aucunement à des droits de propriété préexistants, que l'on voudrait faire résulter du fait unique de la détention, à titre de propriétaire, des bords des petites rivières, et comme conséquences légales et nécessaires de ces mêmes droits;

En ce qui touche l'exception de prescription invoquée par la dame intimée: Attendu qu'il est constant, en fait, que ladite dame intimée a fait établir sur le ruisseau dit Schirgoute, sans en avoir obtenu l'autorisation de qui de droit, le barrage dont la suppression est demandée, et que ce barrage, dont l'effet est de retenir et d'elever les eaux à une certaine bauteur, détermine aux époques de flottage des inondations dommageables aux propriétés des appelants et intervenants; Attendu que l'on ne peut acquérir par la prescription que les choses qui sont dans le commerce;→ Que le droit de déterminer la hauteur de l'eau sur un fleuve, rivière navigable et flottable ou non, est placé par la loi exclusivement dans les attributions de l'administration, et ne peut dès lors s'acquérir par une possession quelque longue qu'elle puisse être ;-Attendu qu'on ne peut également prescrire contre les lois répressives le droit de commettre des délits ou des contraventions;

Attendu qu'il est reconnu

En ce qui touche les dommages-intérêts: par les demandeurs que ceux de ces dommages-intérêts qui pouvaient être dus à raison du préjudice occasionné par les flottages antérieurs au mois de novembre 1838, ont été réglés à l'amiable entre les parties;-Attenda qu'il est suffisamment justifié par les procès-verbaux dressés par les autorités compétentes que, lors du dernier flottage, opéré en novembre 1838, les demandeurs ont essuyé des préjudices dans leurs propriétés par l'effet d'icelui; mais que la cour manque de renseignements suffisants pour déterminer dès à présent l'importance et le taux des indemnités qui doivent être allouées à titre de réparations civiles; Attendu enfin que, d'après tout ce qui précède, il serait superflu de s'occuper de l'appréciation de faits articulés et offerts en preuve de la part de chacune des parties plaidantes;

Par ces motifs, reçoit les parties d'Ernst intervenantes dans la cause; ayant égard à leur instance, et y faisant droit, leur donne acte de ce qu'elles déclarent adhérer aux conclusions des appelants, parties de Pennarun; ce faisant, et sans s'arrêter aux faits passés par lesdites parties d'Ernst et de Pennarun et celles de Commerson, non plus qu'aux offres d'en faire la preuve, prononçant sur l'appel du jugement rendu entre les parties au tribunal de première instance de Schelestadt, le 23 août 1838; Met l'appellation et ce dont est appel au néant; Émendant, dit qu'il ne compète pas à la dame Champy le droit de flotter à bûches perdues sur le ruisseau dit Schirgoute, et ce au moyen d'un barrage créó sans en avoir obtenu l'autorisation; - Qu'en conséquence ledit barrage sera supprimé par elle ou à ses frais dans le mois à partir de la signification du présent arrêt; — Condamne ladite intimée aux dommages-interêts à donner par déclaration, etc.

Du 6 fév. 1839.-C. de Colmar, 1′′ ch.-MM. Rossée, 1o pr.

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les avantages que le cours d'eau procure. Mais jusqu'où devront s'étendre les dommages-intérêts, lorsque le flot occasionne des dommages? M. Proudhon, nos 1221 et suiv., soutient que les marchands de bois ne doivent que l'indemnité des dommages provenant de la faute des flotteurs, et non l'indemnité des dommages causés par le choc des bois; que ces dommages sont le résultat d'une force majeure; que l'on n'en doit pas plus la réparation que de ceux qui sont causés par la seule force des eaux; que le flottage est le résultat d'un droit; que la nature n'a pas construit les usines, et que les propriétaires peuvent être considérés comme les « auteurs du mal dont ils se plaignent. » — Ces raisons, et d'autres que M. Proudhon ajoute, nous paraissent le résultat d'une distraction du célèbre professeur.—Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un préjudice oblige à le réparer (c. civ. art. 1382). Or si le bois que le marchand jette dans un cours d'eau brise mon moulin, le marchand doit réparer le tort qu'il m'occasionne; et cela est si vrai que la loi accorde une indemnité de chômage aux propriétaires d'usines (V. arr. du cons. 7 sept. 1694, M. Daviel, p. 274). — V. au surplus v° Bois et charbons, nos 151 et suiv.

66. Lorsqu'une crue subite entraîne les trains, les propriétaires peuvent reprendre leur bois partout où il se trouve, sans payer d'indemnité pour les dommages occasionnés par cet événement de force majeure. C'est la disposition de l'arrêté des consuls, du 7 flor. an 9, qui porte que les bois entraînés par une crue subite des eaux sur les rivières d'Yonne et affluents pourront être enlevés et repris par les marchands et propriétaires, commis ou préposés sur les fles, terres, prés, jardins, fossés el autres héritages, moulins, écluses, ponts, vannages, pertuis et lieux circonvoisins, francs et quittes de tous dommages-intérêts ou indemnités que pourraient prétendre les propriétaires, sous prétexte de dégâts, dommages et ruptures que pourraient avoir soufferts leurs possessions en raison de l'événement de force majeure. L'art. 5 de cet arrêté déclare qu'il sera applicable aux cas semblables par forme de règlements. Beaucoup d'anciens édits, rapportés par M. Dupin, Code des bois et charbons, avaient décidé la question dans le même sens (V. la sentence du 18 mars 1760, M. Dupin, p. 335). Comment et par qui se fait le repêchage des bois ? - V. Bois et charbons, n° 91, 111 et suiv., 118.

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67. Mais lorsque c'est sans nécessité ou sans y être forcé par un événement de force majeure, que des bois ont été débardés sur des terrains particuliers, il est dû une indemnité, et l'arrêté des consuls, du 7 flor. an 9, n'est pas alors applicable; c'est la disposition d'un décret du 29 déc. 1810 (V. eod., nos 74, 139 et suiv., 150 et suiv.). Il a été jugé que les marchands de bois ne sont pas seulement responsables des dommages causés aux usines, et que s'il résulte quelque inondation pour les propriétés riveraines de l'encombrement du flot contre un barrage par l'effet de la négligence des agents du flottage, ils en doivent la réparation (Paris, 5 mars 1829, cité par M. Daviel, t. 1, p. 277). Enfin, lorsque pour favoriser le passage du flot on est obligé d'arrêter le mouvement d'une usine, le propriétaire est en droit d'exiger une indemnité de chômage. Mais quel est le chiffre de cette indemnité? V. Bois et charbons, n° 151.-Il n'est pas dû non plus d'indemnités aux riverains par les marchands qui, durant les quarante jours après le passage du flot, font pêcher les bois canards (ord. 1672, ch. 17, art. 9).-V. eod., no 111 ets.

68. On sait qu'une indemnité est due aux riverains sur le terrain desquels les bois sont déposés (V. Bois et charbons, nos 120 et suiv.). Il a été décidé: 1° que ces riverains n'avaient, pour leur indemnité sur les bois de chauffage et autres, qu'un droit de rétention, lequel disparaît par l'enlèvement des bois et non un privilége (Req. 9 mai 1848, aff. Bonneau, D. P. 48. 1. 150); — 2o Que les propriétaires du canal de Fouchy qui, en vertu des lettres patentes de 1676 et de la sentence du bureau de la ville de Paris, de 1733, avaient droit à une rétribution pour le flottage des bois sur leur canal, ne peuvent aujourd'hui, à cause des changements survenus dans l'état des canaux, en réclamer l'exécution littérale; que, néanmoins, ils ont droit à une indemnité qui doit être fixée par le ministre de l'intérieur (ord. c. d'Ét. 25 oct. 1816, aff. Aviat C. Lafaulotte).

€9. Les frais de réparation des pertuis doivent être suppor

tés par les flotteurs et les usiniers, dans une proportion fixée soit par des règlements de l'autorité, soit par des conventions intervenues entre les agents du commerce de bois et les propriétaires (Rej. 18 nov. 1823, aff. Constantin, V. Action, no 276). Il ne s'agit ici que des réparations occasionnées par le passage du flot. Il a été décidé que lorsque, par application de décrets encore en vigueur, qui mettent les frais d'entretien des pertuis à la charge du commerce de bois flotté et des propriétaires riverains, un arrêté du conseil de préfecture a fixé au quart la part du propriétaire, celui-ci ne peut demander à être affranchi de tout payement, sous prétexte que la dépense n'est faite que dans l'intérêt du commerce du bois flotté (ord. cons. d'Ét. 2 août 1826, M. Tarbé, rap., aff. Bernard, aff. Coulon et aff. Bazin).

70. La réparation ou l'entretien des berges naturelles ou artificielles du cours de l'lton, canalisé pour le flottage, est-il à la charge des riverains? Oui (Cass. 25 nov. 1845, aff. Rohan, D. P. 48. 1. 72). Non; elle est à la charge des concessionnaires du flottage (Rej. ch. réun., 20 mars 1848, même affaire, eod.).

Enfin, il a été décidé que l'obligation imposée par l'art. 7, tit. 17, de l'ord. de 1672 et l'art. 3 de l'arrêté du 13 niv. an 5, aux propriétaires riverains des canaux de flottage, de fournir un marchepied pour le service du flottage, s'applique aussi bien aux canaux artificiels qu'aux canaux naturels; et que, dans le cas où le marchepied primitivement fourni a disparu par défaut d'entretien ou abus dans le flottage, les propriétaires riverains sont tenus d'en fournir un nouveau, sans indemnité..., sauf le droit de réclamer une indemnité contre les auteurs des dégradations commises aux berges du canal (ord. cons. d'Ét. 30 juin 1846, aff. Chezelles, D. P. 46. 3. 161).

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71. Les riverains ne peuvent établir sur les rivières navi gables ou flottables aucun barrage, aucune digue avancée, sous quelque dénomination que ce soit, sans l'expresse autorisation du gouvernement. Telle est la prescription de l'ordonnance de 1669, tit. 27, art. 42, ainsi conçu : « Nul, soit propriétaire, soit engagiste, ne pourra faire moulins, batardeaux, usines, gords, pertuis, murs, plants d'arbres, amas de pierre, de terres, de fascines, ni autres édifices ou empêchements nuisibles au cours de l'eau dans les fleuves navigables et flottables, ni même y jeter aucunes ordures, immondices, ou les amasser sur les quais et rivage, à peine d'amende arbitraire. Et si aucuns se trouvent subsister, il est enjoint qu'ils soient incessamment ôtés et levés aux frais et dépens de ceux qui les auront faits ou causés, sous peine de 500 livres d'amende, tant contre les particuliers que contre les fonctionnaires qui auront négligé de le faire. » — L'article suivant ajoute : - « Ceux qui ont fait bâtir des moulins, écluses, vannes, gords et autres édifices dans l'étendue des fleuves et rivières navigables et flottables sans en avoir obtenu la permission, seront tenus de les démolir, sinon le seront à leurs frais. » L'arrêté du directoire, du 19 ventôse an 6 (V. p. 322), dispose, conformément à l'ord. de 1669, à la loi du 12-20 août 1790 et au code rural de 1791, « qu'il ne doit être établi aucun pont, aucune chaussée permanente ou mobile, aucune écluse ou usine, aucun batardeau, moulin, digue ou autre obstacle quelconque au libre cours des eaux dans les rivières navigables et flottables, dans les canaux d'irrigation ou de desséchement généraux, sans permission préalable du préfet, lequel ne peut accorder cette permission que de l'autorisation expresse du gouvernement. » — Ainsi, on ne peut faire sur les rivières navigables aucun établissement, même compatible avec leur destination publique, sans l'autorisation du gouvernement, autorisation essentiellement subordonnée à l'intérêt public.

72. L'art. 44 du titre 27 de l'ord. de 1669 dispose en outre qu'il est défendu à toutes personnes de détourner l'eau des rivières navigables et flottables, ou d'en affaiblir le cours par tranchées, fossés ou canaux, à peine, contre les contrevenants, d'être punis comme usurpateurs et les choses réparées à leurs dépens. >> L'administration doit veiller à ce que nul ne détourne le cours des eaux sans y être autorisé par l'administration centrale, et

sans pouvoir excéder le niveau déterminé (arrêtés du direct. 13 niv. an 5 et 9 vent. an 6, V. suprà, p. 321 et 322; Garnier, t. 1, no 18 et 19; Favard, vo Canaux d'irrigation).

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73. Les autorisations ou concessions du gouvernement, quelque généraux que puissent être les termes dans lesquels elles sont conçues, que les cours d'eau soient ou non dans le domaine public, ne comportent ni cession de propriété ni constitution de servitude et ne doivent être réputées faites que conditionnellement (V. Concession, n° 46 et Motif, ord. cons. d'Ét. 23 oct. 1835, aff. Delorme, eod., no 16).- Les cours d'eau dont il s'agit étant hors du commerce, ce sont des dispositions purement gracieuses et essentiellement révocables ou modifiables (Vaslin, sur l'art. 11, tit. 3, liv. 1, de l'ordonnance de 1681; Pecquet, Lois forest., sur l'art. 22, tit. 27, de l'ord. de 1669; Pardessus, no 77; Daviel, t. 1, p. 297. V. sur ce point vis Concession, nos 41 et s.; Domaine de l'État, nos 143 et s.).—Les règles générales que nous exposons ici ont été reconnues de tous temps et sont même consacrées par toutes les législations. C'est, en effet, un principe qui tient essentiellement à la constitution de la société, que tout particulier a droit à l'usage des choses publiques dans tout ce qui n'est pas contraire à leur destination générale.-De là il résulte : 1o que nul n'a droit de faire, dans les rivières navigables et flottables, des travaux qui porteraient obstacle au service public (V. lois citées); 2° Que l'administration doit réprimer avec soin tout ce qui peut nuire à la destination des rivières, quand même les riverains invoqueraient le droit de veil. ler à la conservation de leurs héritages par des digues ou autrement (ord. 1669, tit. 27, art. 43; arrêté 19 vent. an 6, art. 9; L. 16 sept. 1807, art. 33; ord. cons. d'Ét. 23 janv. 1820, aff. Gendarme, V. no 335-11o).

74. L'autorisation du gouvernement est pareillement nécessaire pour toute plantation ou construction à faire sur les rives des cours d'eau navigables, dans l'étendue nécessaire pour le marchepied.

75. Au reste, il est de bonne administration que le gouvernement légalise l'existence d'un établissement construit sans autorisation, sur une rivière, si cet établissement n'apporte nul entrave à la navigation (circ. du 21 germ. an 6).

76. Toutefois, la prudence veut qu'avant de faire, dans un cours d'eau navigable, un ouvrage tant soit peu important, on en obtienne l'autorisation. L'administration, dans ce cas, en prescritla forme, les dimensions et les conditions. Cette autorisation est même indispensable (MM. Daviel, p. 140, et Proudhon, no 770, V. n°s 335 et s.). Une instruction ministérielle du 19 therm. an 6, et une circulaire du 16 nov. 1834, ont déterminé les formalités nécessaires pour obtenir ces permissions (V. n° 91). L'accomplissement de ces formalités n'est rigoureusement exigé que lorsqu'il s'agit des demandes en concession de prises d'eau, soit dans l'intérêt de

(1) (Petot.) LOUIS-PHILIPPE, etc.;- Vu l'ord. de 1669, art. 42 et 45, la loi du 29 flor. an 10, celle du 28 pluv. an 8; - Sur la compétence: Considérant que la rivière de Doubs est navigable à la hauteur du moulin de Crissey; que le bras de rivière dit la Raye de Montelles est une dépendance de la susdite rivière, et que, dès lors, le conseil de préfecture était compétent pour connaître des contraventions qui ont pu être commises sur son cours; - Au fond: - Considérant qu'il résulte de l'instruction que le barrage construit par le sieur Petot à l'origine du bras de la rivière du Doubs, dit la Raye de Montelles, a eu pour effet de modifier le régime des eaux de ladite riviere; que le sieur Petot n'a pas justifié d'une autorisation préalable et régulière émanée de l'autorité compétente, et que la longue possession dont il se prévaut ne saurait en tenir lieu; qu'ainsi c'est avec raison que le conseil de préfecture a ordonné la suppression dudit barrage; La requête du sieur Petot est rejetée.

Du 11 fév. 1836.-Ord. cons. d'État.-M. de Luçay, rap.

(2) (Raousset-Boulbon C. d'Aramon.) - LOUIS-PHILIPPE, etc.; -Vu l'ordonnance des eaux et forêts du mois d'août 1669, et notamment les art. 42, 43 et 44; - Vu l'arrêt du conseil d'Etat du 24 juin 1777; Vu la loi des 12-20 août 1790 (chap. 6) et celle des 19-22 juill. 1791; - Vu l'arrêté du gouvernement du 19 vent. an 6; -Vu la loi du 29 flor. in 10; En ce qui concerne la démolition des deux épis construits par le sieur de Raousset-Boulbon :-Considérant que le procès-verbal dressé le 10 fév. 1834, ci-dessus visé, constate que lesdits épis ont été établis en saillie sur un bras du Rhône, sans autorisation, et qu'ainsi c'est avec raison que le conseil de préfecture, par des considérations d'intérêt public, en a ordonné la démolition; —Considérant d'ailleurs que le con

l'agriculture, soit dans celui de l'industrie. Dans ce cas, en effet, les barrages destinés à élever les eaux peuvent devenir une cause de préjudice pour les voisins, et il importe de mettre ceux. ci en demeure de s'opposer à leur établissement; mais les digues, lorsqu'elles ne sont destinées qu'à protéger les rives, n'offrent pas les mêmes inconvénients; aussi, dans la pratique, on simplifie beaucoup l'instruction de ces sortes de demandes.

77. La permission doit être demandée par ceux qui se proposent d'établir des digues contre les bras des fleuves et rivières qui dépendent du domaine public, bien que ses bras ne soient eux-mêmes ni navigables ni flottables, de même que s'il s'agissait de faire des travaux dans la rivière même.-V. n° 335.

78. Mais l'autorisation serait-elle nécessaire s'il ne s'agissait que de simples réparations? — Il a été jugé que les propriétaires riverains d'un cours d'eau dépendant du domaine public ne sont pas réputés commettre une entreprise sur ce cours d'eau, lorsque les travaux qu'ils ont fait aux berges sans autorisation préalable ne consistent que dans des réparations urgentes, telles que le clayonnage des berges, en un point creusé par des excavations, et déchiré par des crevasses, et que ces ouvrages n'ont porté aucun préjudice à l'État (ord. c. d'Ét. 26 juill. 1844, aff. Dauvet, D. P. 45. 3. 2). — L'urgence justifie à nos yeux cette décision, car la répression peut empêcher des dommages plus grands et des pertes déplorables; mais si l'urgence n'existe pas, la doctrine, émise dans l'espèce par le ministre, qu'une autorisation est nécessaire même pour de simples réparations, doit être suivie; c'est à l'autorité administrative, et non aux tribunaux qu'il appartient d'accorder l'autorisation de réparer (ord. cons. d'Ét. 16 mars 1836, aff. Gabillon,); c'est là éminemment un acte d'administration.-V. ord. 1669, tit. 27, art. 43; arr. 9 vent. an 6.

79. L'omission de se conformer à une telle prescription peut entraîner la suppression des travaux de construction ou de réparation et l'amende. Il a été décidé, en effet : 1° que la destruo tion d'un barrage construit sur le bras d'une rivière navigable et qui a pour effet de modifier le régime des eaux de cette rivière, a pu être ordonnée, quelle que fût la longue possession invoquée par le propriétaire de ce barrage, alors que celui-ci ne justifiait pas d'une autorisation préalable et régulière émanée de l'autorité compétente (ord. cons. d'Ét. 11 février 1836) (1);

2o Que lorsque deux épis ont été établis en saillie, sans autorisation, sur le bras d'un fleuve, leur démolition peut être ordonnée par les conseils de préfecture (ord. cons. d'Ét. 20 juill. 1836) (2); - 3° Qu'il suffit que des travaux exécutés sans autorisation au pertuis de la digue d'une usine nuisent à la navigation, pour que la suppression en doive être ordonnée et l'amende prononcée (ord. c. d'Ét. 26 mai 1837) (3); — 4° Que les plantations faites, sans autorisation, le long d'une rivière navi

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seil de préfecture s'est abstenu de statuer sur la question des dommages que lesdits épis auraient pu causer aux propriétaires de la rive opposée ;En ce qui concerne l'amende : Considérant que l'art. 29 de la loi des 19-22 juill. 1791 a maintenu les anciens règlements relatifs à la grande voirie ; Considerant que l'amende arbitraire prononcée par le premier paragraphe de l'art. 42, tit. 27, de l'ordonnance du mois d'août 1669, pour les travaux faits sans autorisation sur et au long des rivières et canaux navigables, a été fixée à la somme de 1,000 fr. par l'arrêt du conseil du 24 juin 1777, qui maintient les mêmes prohibitions; Considérant néanmoins qu'il résulte des circonstances de l'affaire qu'il y a lieu pour nous de modérer cette amende; - En ce qui concerne la condamnalion aux dépens envers le marquis d'Aramon: Considérant que la contravention a été réprimée par suite de la plainte dudit sieur d'Aramon, qui s'est constitué partie en l'instance;

Art. 1. L'arrêté du conseil de préfecture du département des Bouchesdu-Rhône du 31 mai 1834 attaqué est annulé dans la disposition qui condamne le sieur de Raousset Boulbon à une amende de 500 fr.;-- L'amende de 1,000 fr. encourue par ledit sieur de Raousset-Boulbon est réduite a la somme de 100 fr. ; Le surplus des conclusions des requérants est rejeté. Art. 2. Les sieurs et dame de Raousset-Boulbon sont condam nés aux dépens.

Du 20 juill. 1836.-Ord. cons. d'Ét.-M. Brière, rap.

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