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SONNET.

Beaux font ces bois épais, belle cette prairie, Belles ces vives fleurs, &beaux ces verds rameaux, Beau le crystal coulant de ces petits ruifleaux, Beau le riant émail de cette herbe fleurie.

Beaux les derniers accens qu'un doux écho marie Aux charmes amoureux de mes chants tout nou

veaux,

Beaux les riches épis de ces jaunes tuyaux,
'Beaur les airs qu'un Berger fur la flûte varie,

Beaux les feps amoureux où pendent ces rains,
Beaux les courbés vallons de ces côteaus võifins,
Beau cet antre où, par fois, avec toi je fommeille.

Mais toutes ces beautés, Aline, fur ma foi,
Cèdent à la beauté de ta bouche vermeille,
Lorfque l'Amour y place un fourire pour moi.

EPIGRAMME.

Vous êtes dans un grand abus
De prendre Bordier pour Phébus.
Il est trop mal dans la fortune
Pour fouffrir ces comparaiions;
Car Phébus a douze maisons
Et ce maraud n'en a pas une

Métamorphofe d'un évantail.

Ce léger évantail fut un jeune inconftant
Aslez favorisé de toutes les maîtresses,

Mais, parce que fon feu ne duroit qu'un inftant,
Il n'en eut que du vent après mille promefles.

Tantôt il fe reflerre, & tantôt il s'étend;
Il ufe de furprile, il fe fert de finefles;
Aufli-tôt que l'Amour veut le rendre content
Il devient infenfible à les douces carrefles.

Ennemi de lui-même, il détruit fon travail.
Enfin cet éventé le change en éventail,
Et fa légéreté paroît toujours extrême.

Chaque Dame a fur lui (on pouvoir eflayé ;
Mais il fait pour autrui ce qu'on fit pour lui-même,
Et paye avec du vent comme il en fut payé.

Sur un Glorieux qui mourut la veille de l'Afcenfion.

Mortels ne vous étonnez pas
Si, lorfqu'il étoit ici bas,
Ilofoit plus que vous paroître ;
Il fut fi fort ambitieux

Qu'il a voulu monter aux cieux
Un jour auparavant fon maître.

DIALOGUE

Entre ALCIBIADE & TYMON le

Mifantrope.

ALCIBIAD E.

HE BIEN! vieux frondeur! la mort a

donc délivré Athènes de tes déclamations, & l'humanité de ta haine?

TY MON.

La mort ne m'a rien ravi: je déclame ici comme je déclamois là-bas, & je hais les ombres, comme je haïffois les hom

mes.

ALCIBIADE.

Pauvre efprit! l'orgueil t'a bien égaré. Tu ne reprochois à tes femblables tant de défauts que pour leur voiler tes propres vices. Tu imitois cet oifeau de finiftre augure, dont la préfence irrite ou effraie tous les autres oifeaux, & qui cherche à couvrir leurs cris par les croaf femens.

TY MON.

J'ignore à qui je dois te comparer. C'eft, fans doute, au Camcléon qui prend toutes les couleurs qu'il veut prendre. On te vit adopter fubitement les ufages, les travers & les vices de tous les peuples qui daignoient te recevoir. Tu changeois de caractère auffi facilement que d'habitation; c'est-à-dire, que tu n'avois ni caractère, ni habitation fixe.

ALCIBIADE.

Nul pays ne me fut étranger, & tout caractère me fut propre. Je fus captiver les efprits & réunir les fuffrages les plus oppofés.

TYMO N.

Il y a dans cette conduite une foupleffe qui reflemble beaucoup à la fraude.

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ALCIBIAD E.

y ent dans tes actions une fingularité hors de toute vraifemblance.

TY MON..

Je ne me démentis jamais.

ALCIBIADE.

J'avois cru pourtant être le feul homme de la Grèce qui eût échappé à ton averfion.

TY MON.

Je fis mieux, je t'aimois en faveur du mal que tu devois caùfer à ta patrie. Je chériffois en toi l'homme qui devoit un jour faire périr tant d'autres hommes. ALCIBIAD E.

Que je te plains de n'avoir jamais fu que hair!

Τ Υ Μ Ο Ν.

Crois moi, toute paffion a fes plaisirs, & la haine a les liens comme l'amour. Elle ne rifque pas de s'affoiblir comme ui. Tout contribue à la fortifier. Il ne faut que jeter un coup d'œil fur l'efpèce humaine; fur l'ingratitude & la duplicité des hommes, la perfidie & l'inconftance des femmes; l'orgueil des grands, la baffefle des petits; la fottife de tous. Il ne faut que voir les intérêts qui les divifent, les complots qui les rapprochent, les cabales qui les élèvent, les

vices

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