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voit pas mêmes les dehors. Les démar ches les plus hafardées ne lui coûtoient plus rien. Comme elle avoit épuifé toutes les reffources de la volupté, elle ne trouvoit le plaifir que dans le changement, & ce goût la jetoit dans mille intrigues, qui la rendoient la fable da Public. Elle joignoit à une conduite fi coupable le defir d'entraîner dans l'abyfme où elle étoit plongée, celles qui ne la connoiffoient pas allez pour l'éviter. Elle croyoit diminuer fa faute en aug. mentant le nombre des complices; avec une femme de ce caractère, Emilie avoit tout à craindre. La Marquife. . . . fe plaça à table auprès d'elle, &, pendant le foupé, elle l'accabla de carreffes, & ne ceffa de lui parler du Marquis de Balran & d'envier le fort d'une femme qui trou. veroit le chemin de fon cœur. Emilie fe livra fans méfiance au plaifir d'entendre louer un homme qu'elle croyoit aimer; elle laiffa même entrevoir à la Marquife qu'il ne lui déplaifoit pas. L'imprudente Emilie fe retira avec un trouble dont elle ignoroit la caufe; les difcours auffi adroits que pernicieux de la Marquife avoient gliffé dans fon ame les feux du defir; elle fut agitée toute la nuit, & fe leva

fans avoir pris de repos. Le Marquis, inftruit des progrès qu'il avoit fait fur fon cœur, devança le moment où il fe rendoit auprès d'elle.

Emilie étoit encore dans le défordre d'une jeune beauté occupée d'autres foins que de ceux de fa parure; mais que ce défordre étoit féduifant! l'agitation de la nuit avoit répandu fur fon vifage une douce nuance de mélancolie, qui rendoit fa beauté plus piquante; un léger déshabillé voiloit à peine tous fes charmes; à demi-couchée fur un fopha, fa pofition offroit aux yeux des formes arrondies par l'amour. Balran étoit enchan té; elle ne lui avoit jamais paru fi belle; une jeune beauté, parée des attraits de l'innocence, en impofe aux libertins les plus endurcis. Dans fon premier transport le Marquis fut près de fe jeter à fes pieds

de lui demander fa main; mais la réflexion qui le fervoit toujours mal, le rendit à fes premiers defleins. Belle Emilie, lui dit il, ou dérobez tant de chatmes à mes yeux, ou foyez fenfible à l'ar deur du plus fincère amant; regardezvous dans cette glace, voyez ces yeux qui lancent des traits de flamme, ce teint qui efface l'éclat des rofes, cette taille

divine; & jugez fi l'on peut vous voir fans vous adorer, & fi l'on peut vivre faus être aimé de vous. Emilie gardoit le filence; la rougeur de fon front annonçoit le trouble de fon ame; Balran tenoit fes mains ferrés contre les fiennes, fes tranfports faifoient paffer dans fon fang une ardeur jusqu'alors inconnue; fes yeux recevoient de ceux du Marquis une impreffion de tendreffe qui les baignoit de cette douce vapeur qui précède le plaifir; déjà il la prefloit entre fes bras & la couvroit de fes baifers. Emilie vouloit réfifter: mais une force fecrete l'entraînoit malgré elle; elle alloit fuccomber, lorffes yeux, à demi-fermés, fe fixèrent fur un portrait de fa mère, placé vis à vis le fopha; ce regard eft un coup de lumière qui la rend à elle même; elle croit voir le vifage de fa mère s'enflammer de colère, &, dans le moment, elle fent le danger qu'elle vient de courrir; elle s'arrache d'entre les bras de Balran, qui, prenant fes efforts pour les derniers foupirs d'une vertu mourante, vouloit la retenir fur le fopha. Arrêtez, lui dit-elle avec une noble indignation, je connois votre lâcheté & mon imprudence; votre préfence m'eft odieufe; délivrez moi de

que

l'horreur de vous voir; &, fans attendre fa réponse, elle paffa dans un cabinet dont elle ferma la porte. Le Marquis, jugeant qu'il falloit laiffer paffer l'orage, le retira. A peine fut il forti qu'Emilie, rentrant dans la chambre, alla se jeter au pied du tableau, &, toute baignée de larmes, lui adreffa les difcours les plus touchans. O ma mère! s'écria-t-elle, que je fens vivement aujourd'hui la perte que j'ai faite! & combien j'avois befoin de vos confeils pour me guider dans le chemin de la vertu; fi vos regards s'éten dent jufqu'à votre malheureufe fille, qu'elle doit vous paroître coupable! Là Yes (anglors lui coupèrent la parole: mais de quelle douleur ne fut-elle pas péné trée, lorfque réfléchiffant fur fa conduite paffée, elle en vit toute l'imprudence! c'eft alors qu'elle fentit la fincérité des avis du jeune de Lurac, & le regret de ne les avoir pas fuivis : oui, fans doute, difoit-elle, le Chevalier étoit mon feul ami; il m'aimoit fincèrement mais je ne fuis plus digne que de fes mépris.

le

Tandis qu'Emilie s'abandonnoit fans réferve à l'égarement de fa douleur, pauvre Chevalier étoit tourmenté d'une Sèvre violente; il n'avoit pu réfifter au

chagrin de voir Emilie lier un commerce d'amitié avec la Marquife de... Ce dernier coup l'avoit réduit à toute extrémité. Sur le bord du tombeau il adoroit encore celle qui l'y faifoit defcendre; il la nom moit à chaque inftant. Emilie n'apprit le danger où le trouvoit le Chevalier qu'en verfant un torrent de larmes; elle connut alors que les fentimens qui l'agitoient étoient bien différens de ceux que le Marquis lui avoit fait éprouver. Trop aimable Chevalier, difoit-elle, c'est moi qui te plonge le poignard dans le fein; que ne puis je te rappeler à la vie aux dépens de la mienne! maistu fera vengé; oui, cher Amant, je te fuivrai chez les morts; la lumière m'eft odieufe, fi je ne la partage avec toi. C'eft ainfi qu'Emilie exprimoit fa douleur. A chaque inftant elle envoyoit chez le Chevalier. Elle feule avoit causé la maladie, elle feule pouvoit la guérir. Ce vif intérêt fit plus d'effer que tout l'art des Médecins. Le rendre de Lurac crut entrevoir du changement dans les attentions d'Emilie; fes jours, prêts à s'éteindre, fe ralumèrent aux rayons de l'efpérance; mais quelle fur fa joie en apprenant que fa belle maîtrefe avoit reconnu fes erreurs; qu'elle re

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