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Sa taille & fes traits avoient atteint la perfection pendant deux années d'abfence; il ne put la revoir fans l'aimer; fon cœur avoit été libre jusqu'alors; mais à ces mouvemens inconnus qui précèdent toujours les grandes paffions, il fentit que fon amour alloit faite le bonheur ou le malheur de fa vie. Les véritables Amans font timides; ils craignent de déplaire à l'objet aimé par l'aveu de leur paffion; le Chevalier n'ofoit parler de fon amour, mais il étoit peint dans fes yeux. Emilie s'apperçut avec plaifir de l'effet de fes charmes; un fecret penchant l'entraînoit vers le jeune de Lurac: cependant le Marquis avoit fu l'éblouir par des apparences brillantes, & l'intéreffer par ces riens agréables, qui ont quelquefois tant d'empire fur les femmes. Etoit-il abfent? Son cœur paroiffoit fe décider pour le Chevalier; à fon retour il rentroit dans l'incertitude, & le defir de plaire àftous les deux l'empêchoit de faire un choix qui la priveroit d'un amant ; ce n'eft pas qu'elle ne rendît juftice au mérite du Chevalier; elle avoit affez de lumières pour connoître fa fupériorité fur le Marquis; s'il parloit quelquefois devant elle des modes, des ufages, des mœurs, les argumens

captieux de Baltan étoient détruits par les réponses folides & convaincantes de fon rival; Emilie elle-même étoit forcée de l'avouer.

Le Marquis vantoit un jour les charmes d'une vie paffée au milieu des plaifirs, & plaignoit le fort d'une femme que l'amour tiendroit renfermée auprès d'un amant férieux & mélancolique à votre âge, Mademoiselle, difoit Balran, quelle perie pour la fociété! fi quelqu'un réuffissoit à vous donner le goût de la retraite, quel ennui pour vous même! & de combien d'agrémens ne feriez-vous pas privée! Paroillez vous aux fpectacles, dans une affemblée, dans une fète, tous les cœurs volent fur vos pas & rendent hommage à votre beauté; choififfez donc quelqu'un, charmante Emilie, qui, loin de vous priver des plaifirs du monde, foit le premier à les faire naître, & à vous tracer un chemin couvert de fleurs. Balran s'applaudilloit en donnant ce confeil, comme s'il eût été perfuadé que le choix ne pouvoit tomber fur un autre.

Cette philofophie plaifoit à Emilie; elle fourit au Marquis, & regardant le jeune de Lurac; Chevalier, lui dit-elle, n'êtes-vous pas du même avis? Ne trou

vez-vous pas ce tableau charmant? I l'est, fans doute, répondit le Chevalier, mais nous le voyons fous un point de vue différent; il a un côté défagréable que l'on voile à vos yeux, & que je vais Vous découvrir une vie tumultueufe peur avoir des charmes pour beaucoup de femmes; mais elle n'en aura pointpour vous, belle Emilie, fi vous en confidérez les fuites: au printemps de votre âge, le public, à qui vous devez compte de vos actions, a les yeux fur vos moindres démarches; il ne jugera pas fur la pureté de vos intentions, mais for les apparences, &, ajouta til malignement, fur la réputation de ceux qui for. meront votre fociété; votre fagefle ne fouffrira aucune atteinte; mais l'envie faifit les moindres prétextes, & vous lui en fournirez. Une vie douce & tranquille eft préférable à des jours paffés au milieu d'un tourbillon, qui fouvent nous entraîne. Ne fuyez point les plaifirs; mais apprenez à les choifir. Croyez, Mademoifelle, que les perfonnes fages & prudentes ont leurs amufemens; ils vous formeront une cour dont vous m'aurez point à rougir: quelle feroit alors la félicité du mortel qui trouveroit le cha

min de votre cœur; pardonnez, Mademoifelle, à la fincérité d'un ami, mais ce font les fentimens que votre tendre mère m'a infpirés; quelle perte nous avons faite tous deux, belle Emilie! & combien ne dois-je pas la regretter aujourd'hui ? Le faififfement où se trouva le Chevalier l'empêcha de continuer.

Emilie n'entendit pas prononcer le nom d'une mère qu'e le avoit tant aimée, fans la plus vive émotion; quelques larmes coulèrent de fes yeux; elle fe retira dans fon appartement pour s'afAliger en liberté. Toute la nuit fon fommeil fut agité; l'air noble & modeste du Chevalier, fon efprit, fes confeils, fa tendreffe, tout lui parloit en fa faveur; mais le jour affoiblit bientôt des fentimens qui n'avoient qu'effleuré fon cœur.

Le Marquis avoit prévu les réflexions d'Emilie; il n'ignoroit pas qu'un retour fur elle-même nuifoit à fes projets; en homme adroit, & qui connoît l'art de conduire une beauté novice, il eut foin de la diftraire en faifant naître de nouveaux plaifirs.

Le Chevalier adoroit Emilie; mais il s'efforça de déguifer fon chagrin; il craignoit de lui déplaire par une morale qui

ne feroit pas de faifon, tant qu'elle goû teroit celle du Marquis; il avoit confiance dans fa fagelle, & attendoit quelque événement qui lui ouvrit les yeux fur la légéreté de fes démarches.

Emilie étoit imprudente, mais elle étoit fage; elle croyoit aimer le Marquis, plus qu'un autre, parce qu'il s'étoit rendu néceffaire; mais fes vues ne s'étendoient pas plus loin. Tandis que, tranquille au milieu du danger, elle croyoit la conduite irréprochable, & fe livroit à dest confeils pernicieux avec toute la fécurité qu'infpire l'innocence, Balran méditoit fa ruine; l'étude qu'il avoit faite du ca→ ractère d'Emilie lui fit juger qu'il ne parviendroit à fon but que par degrés, & qu'il ne devroit fon bonheur qu'à une Occafion favorable; dès lors il mit tous fes foins à la faire naître. Il avoit à une lieue de Paris une maison de campagne, où l'art s'étoit uni à la nature pour en faire un lieu de délices. Il offrit d'y donner une fère; toute nouveauté avoit des charmes pour Emilie; elle accepta avec joie, & le jour fut pris pour le lende

main.

Les foins du Marquis, la beauté du lieu, la nuit la plus agréable, tout conf

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