Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Mais l'Amour, mais Vénus, pour prix de ma tendrefle,

Des champs Eliféens m'ouvriront le féjour. Quels concerts enchanteurs! quelle aimable alégreffe,

Sans crainte, fans trifte retour.

Au doux chant des oiseaux, l'on danfe dans la plaine.

L'émail des prés eft peint des plus vives couleurs ;
Et les jeunes Zéphirs, foufflant leur pure haleine,
Rafraîchiffent l'air & les fleurs.

Des Belles, des Bergers le tendre badinage,
S'anime par l'Amour en ce lieu fortuné;
Et qui meurt en aimant erre fur ce rivage,
Le front, de myrte, couronné.

Mais dans la nuit profonde il est un gouffre horrible,

Par le morne Cocyte à jamais entouré.

De Cerbère on entend hurler la voix terrible;
Là Titius eft dévoré.

coupable Ixion! ô malheureux Tantale! L'un tourne dans la roue, & l'autre veut envain S'abreuver à longs traits dans cette onde fatale; Il va boire, elle fuit soudain.

Demeurez en ces lieux, hommes durs, cœurs perfides,

Qui voulez à la guerre enchaîner mes beaux jours; Remplifiez le tonneau des triftes Danaïdes, Noirs enuemis de mes amours.

Toi, Délie, ah, de grâce! ah, fois toujours fidelle!

Que la bonne Myrrha, par des contes plailans,
Affife à tes côtés, Four me prouver fon zele,
Amufe, charme tes inftans.

Bientôt, à la lueur de ta lampe paifible,
Le fommeil doucement fermera tes beaux yeux
Me voici tout-à-coup, j'arrive... eft il poffible?
Seroit-il defcendu des cieux?

Alors, Délte, alors, viens à moi sans parure, Tes beaux cheveux épars, les pieds nuds, l'œil brillant;

Accours tout en défordre, accours, je t'en con

jure!

Quand viendra cet heureux moment!

Par M. Martean.

LE PORTRAIT UTILE, ou l'Erreur d'un moment, Conte moral.

EMILIE venoit de perdre les parens dans

un âge où leur tendreffe eût veillé à fon bonheur; jeune, riche & belle, il lui manquoit une mère fage pour la conduire au milieu des éceuils que fes beillans avantages alloient faire naître fous fes pas. Elle joignoit à la plus jolie figure une caille noble & dégagée; les talens les plus agréables embelliffoient les dons. qu'elle avoit reçus de la nature; 'fon jeune cœur, fans défaut jufqu'alors, étoit fufceptible de céder aux meilleures impreffions mais, fans expérience & fans confeil pour le fermer aux mauvaises, elle pouvoit y fuccomber.

:

Emilie fut reçue dans le monde avec les fuffrages qu'enlève toujours une beauté nouvelle; les grâces & fa jeunesse lui attirerent bientôt une cour brillante. Il exifte dans la capitale un effaim d'Etres inutiles à l'Etat & nuifibles à la Société qui ne fondent leur gloire que fur le déf honneur des femmes, dont la crédulité

fait louvent tout le crime, & qui chériroient encore la vertu, fi le piége où elles font tombées n'avoit été couvert de fleurs. Telle étoit l'efpèce d'hommes qui environnoit Emilie; s'il y avoit quelque diftinction à faire, fes yeux étoient trop foibles pour démêler l'or du faux brillant; mêmes foins, mêmes empreffemens; tous lui juroient qu'elle étoit charmante; qu'ils n'avoient jamais rien vu de fi beau. Cet éloge a des charmes pour une jeune perfonne ; fi fon cœur ne fe décide pas, le defir de plaire & de traiter en fouveraine une foule d'adorateurs, la dédommage des douceurs de l'amour.

Abandonnée à elle même, Emilie fe livra quelque temps aux attraits de la coquerrerie; coups-d'œil, four is, paroles gracieufes, tout fut employé pour étendre les chaînes; mais elle ne vit point, fans émotion, le Chevalier de Lurac & le Marquis de Balran; dès qu'ils parurent fur les rangs, les autres s'éclipsèrent, & laissèrent le champ libre à ces deux rivaux.

Peu d'hommes étoient auffi bien faits que le Marquis de Balran; fa figure répondoit à fa taille; mais, fous de beaux

dehors, il cachoit une ame fauffe; fon cœur, ufé par un grand nombre de paffions, n'étoit plus fenfible aux douceurs d'un amour honnête; accoutumé à juger des femmes par celles qui avoient eu la foibleffe de céder à fes pourfuites, il avoit pour lyftême que la plus vertueufe ne fait pas réfifter aux defirs d'un homme aimable; auffi perfonne n'avoit autant d'art pour dérober aux yeux de l'innocence l'abyfme qu'il creufoit fous fes pas; perfonne ne paroiffoit plus digne d'être aimé jufqu'au moment du triomphe; alors il fe faifoit un jeu cruel du défefpoir de celle qu'il avoit féduite, & joignoit l'indifcrétion à cette indignité.

Le Chevalier de Lurac réuniffoit aux avantages du corps ceux de l'efprit & du cœur; fage, modefte, ami de la vertu, inftruit de tout ce qui peut rendre un homme recommandable, il avoit un air de candeur, dont fes moindres actions portoient l'empreinte ; il connoissoit Emilie depuis l'enfance; fa mère, en mourant, l'avoit recommandé aux foins de celle d'Emilie, & cette amie fincère avoit pris plaifir à jetter dans fon ame les femences de la vertu. Il arrivoit d'Ita lie lorfqu'Emilie parut dans le monde.

« PreviousContinue »