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d'indiquer les conditions qui lui promettent un meilleur avenir.

Le commerce bordelais ne veut voir les causes de son malaise, que dans les abus de notre régime fiscal et le défaut de liberté commerciale : évidemment il se trompe; tout n'est pas là.

Sans doute, une liberté d'échange plus large, une surveillance moins tracassière dans le mouvement de nos produits; des rapports avec l'étranger mieux combinés, plus appropriés aux goûts et aux besoins des nations modernes, agrandiraient le cercle de ses opérations, et ce n'est pas d'aujourd'hui que je me prononce en faveur de ce principe si fécond de l'économie sociale (1). Mais à côté de lui, combien d'autres problèmes de la même science, non moins pressans, non moins importans à résoudre, se présentent à l'esprit de celui qui embrasse l'ensemble des phénomènes qui tiennent à la marche, à la vie, au développement des sociétés.

A quelles causes faut-il attribuer l'ancienne prospé rité du commerce de Bordeaux? Comment s'est affaiblie cette prospérité? Par quels moyens la relever?

Voilà les questions que je me propose d'examiner et qui me paraissent embrasser le cercle des difficultés qui ont plongé non seulement la ville de Bordeaux, mais encore les contrées qui l'entourent, dans les plus cruels embarras.

(1) Des causes du malaise industriel et commercial de la France, et des moyens d'y remédier : un vol. in-8°, 1832, ouvrage eouronné à l'unanimité par la Société industrielle de Mulhouse, suivi d'un rapport de M. Ch. Dupin à l'Institut.

A quelles causes faut-il attribuer l'ancienne
prospérité du commerce de Bordeaux?

Indépendamment des avantages de son port, l'un des plus sûrs et des plus commodes des côtes de l'Océan, Bordeaux a dû sa prospérité à l'excellence de ses vins, à la renommée à l'étranger des eaux-devie de l'Armagnac, à la bonne qualité des farines, et à la saveur des fruits de l'Agenais.

Avant et surtout pendant le 17° siècle, les vins français ont eu en Angleterre un immense débit. La consommation en était au moins décuple de ce qu'elle est aujourd'hui, puisqu'elle allait moyennement à 25,000 tonneaux. Le vin de Bordeaux entrait pour la majeure partie dans cette exportation; on recevait en échange, des grains, des métaux, du suif, des cuirs, des bois et du chanvre.

Lorsque l'esprit de fiscalité vint à naître chez nos voisins; lorsque surtout le malencontreux traité de Methuen , pour favoriser le commerce des vins de Portugal, sacrifia les intérêts de la France, une autre source d'écoulement des produits méridionaux s'ouvrit à notre activité.

Le

mença

passage par le cap de Bonne-Espérance comà être exploité, et grâce à l'apathie des Vénitiens qui au lieu de traverser à leur tour l'Océan pour faire leur profit des nouvelles voies commerciales que les Portugais venaient d'ouvrir, s'endormirent nonchalamment dans les eaux de la Méditerranée, le commerce si avantageux de l'Inde

passades villes italiennes et des bords de l'Egypte aux villes de l'Océan. Ainsi Venise, Gènes, Livourne, Alexandrie durent céder la prééminence à Lisbonne, Bordeaux, Londres, Hambourg, Amsterdam. Après Lisbonne, ce fut Bordeaux qui eut long-temps la plus grande part des résultats de cette révolution commerciale. Les vastes établissemens de la France sur la côte de Coromandel et sur les bords du Gange, les comptoirs de Surate, les relations qui s'ouvrirent bientôt avec la Chine et quelques-unes des principales îles de l'archipel indien remplacèrent avec avantage pour lui, les affaires que la nouvelle politique du gouvernement anglais venait d'interrompre (1).

Le commerce de l'Inde fut d'autant plus fructueux que les retours étaient très-faciles : car indépendamment des épices, ce pays arriva encore à fournir à la France pour plusieurs millions d'étoffes de coton, dont on n'avait pas alors, en Europe, étudié la fabrication; de Bordeaux, ces produits se répandaient vers les autres contrées de la France; car, si ce n'est le port de Lorient, que les affaires de la compagnie de l'Inde animaient, le restant des villes maritimes n'avaient pris que fort peu d'extension, car, n'ayant que de faibles produits à exporter, elles ne pouvaient naturellement importer avec avantage.

(1) Sans doute, grâce aux fautes nombreuses et à l'impéritie de la plupart de ceux que le gouvernement français envoya commander dans l'Inde, le commerce de cette partie du monde a fini par être plutôt funeste qu'avantageux à la France; mais il n'en est pas moins vrai que Bordeaux y trouva, pendant un temps, de grands bénéfices.

Lorsque des différens sérieux avec l'Angleterre et la Hollande, lorsque surtout la déplorable maladresse dont les Français ont presque toujours fait preuve dans la conduite de leurs établissemens coloniaux, leur eut fait perdre leur prépondérance en Asie, les Indes occidentales furent une autre compensation pour le port de Bordeaux: il trouva de faciles débouchés dans les établissemens qui furent créés dans le Canada, la Louisiane, l'Acadie, la Guyane, plusieurs petites îles, et avec elles la reine des Antilles, Saint-Domingue, dont Bordeaux déplorera long-temps la perte, et qu'il ne remplacera jamais; car où trouver un sol assez riche et des bras assez nombreux pour lui livrer une production qui souvent a dépassé 200 millions de fr. en sucre, en café, en rhum, en indigo, etc. (1).

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L'excédant des marchandises importées que ne consommait pas la France servait à commercer avec d'autres peuples, notamment avec ceux du Nord de l'Europe autre source d'abondans bénéfices. On le croira sans peine, lorsque je dirai que le commerce bordelais, indépendamment du mouvement de la navigation étrangère, avait à lui seul la masse énorme de cinq à six cents bâtimens.

Ainsi, voilà, pendant trois cents ans, des événe

(1) Ce n'était pas seulement ses vins que Bordeaux pouvait expédier en Amérique, mais encore les farines des contrées voisines, dites de Moissac, dont la qualité supérieure et à l'épreuve des voyages de mer, obtenaient une préférence à-peu-près exclusive. Les fruits secs, et particulièrement les pruneaux communs, appropriés au régime médical des nègres, étaient aussi un objet important d'exportation.

mens de plus en plus avantageux, et qui toujours surviennent avec un étonnant à-propos pour maintenir le commerce de Bordeaux au plus haut degré de prospérité. Malheureusement, depuis lors, c'est une bien autre destinée qui lui est échue, et dont j'ai à mentionner les tristes conséquences.

Comment s'est affaiblie la prospérité du commerce de Bordeaux ?

Les guerres de rivalité commerciale qui signalèrent les dernières années du règne de Louis XV, et troublèrent l'avènement de Louis XVI à la couronne, vinrent les unes enlever, les autres affaiblir sensiblement les derniers établissemens coloniaux que possédait la France. Bientôt après, la terrible insurrection des nègres à Saint-Domingue, détruisit pour le commerce bordelais, non seulement une source inépuisable de profits, mais encore lui enleva d'immenses capitaux placés dans cette île, soit comme prêt dans les mains des colons, soit comme valeur de propriétés immobilières.

La guerre générale qui suivit les premiers événemens de la révolution vint achever de jeter le trouble dans les possessions françaises d'outre-mer, et paralisa toutes les relations à l'extérieur, sans que rien ait jamais compensé pour Bordeaux, les pertes que ce grand dérangement opéra ; il ne resta pas ce qu'il était, et ne put pas, ou ne sut pas devenirautre chose.

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