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quand même vous apprendriez qu'il existe dans chaque province plusieurs familles opulentes. » C'était indiquer de prime abord une route nouvelle à l'économie politique. Déjà M. Sismondi avait frayé cette route dans ses Nouveaux Principes, en signalant les abus du régime industriel anglais qui compte les hommes pour rien ou tout au plus pour des machines; M. Droz, moins sévère pour les Anglais, moins absolu que M. de Sismondi, a vivement revendiqué les droits de l'humanité, et son livre contribuera puissamment à les reconquérir. Il a soigneusement distingué ce que quelques économistes avaient essayé de confondre, les richesses matérielles et le bien être moral; et il a prouvé que les premières ne méritaient ce nom qu'autant qu'elles avaient pour résultat la production du second.

Cette nouvelle définition de la science a été généralement adoptée par tous les écrivains qui ont suivi M. Droz, heureux s'ils eussent pu lui emprunle charme et l'élégante simplicité de son style! C'est par là surtout que brille l'économie politique de l'honorable académicien. Ce livre grave est parsemé de traits piquans, de saillies spirituelles et d'aperçus ingénieux dont l'originalité n'exclut jamais la profondeur. Ses principes y sont exposés avec une lucidité parfaite, appuyées d'exemples bien choisis et revêtus des formes les plus capables de les faire apprécier. S'agit-il de détruire un préjugé vulgaire qui attribue le nom de propriété presque exclusivement à la propriété foncière ! Voici comment s'exprime M. Droz: « S'il existait une propriété

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qu'on dût respecter plus encore que les autres, » ce serait celle des hommes qui ne possèdent que >> leurs bras et leur industrie: gêner leur travail, » c'est leur ôter les moyens de vivre; un tel vol est >> un assassinat. »

On devine sans peine que M. Droz est un partisan prononcée de la liberté de l'industrie et de la liberté du commerce. Il ne partage point les terreurs de plusieurs écrivains modernes, qui ont cru- trouver, dans le retour au système des jurandes et des maîtrises, le seul remède à cette concurrence d'ouvriers qui tend à faire baisser le taux des salaires et à précipiter l'Europe dans un abyme de maux. Les travailleurs des faubourgs de nos grandes villes ne sont pas pour lui des Barbares dont l'invasion prochaine doive être conjurée à tout prix. M. Droz ose les regarder en face, fort de sa généreuse sympathie pour leurs souffrances et persuadé que l'industrie bien organisée est assez puissante pour guérir les blessures qu'elle peut faire, et toutes les douleurs que la croissance manufacturière traîne à sa suite. Le remède aux engorgemens temporaires produits par les développemens souvent démesurés de la fabrication, lui semble tout trouvé dans un accroissement de débouchés ; la liberté du commerce est pour lui comme pour nous, une conséquence nécessaire de la liberté de l'industrie. Aussi est-il d'accord avec les économistes de l'école fondatrice de Smith et de Say, pour attaquer ce grand non-sens qu'on appelle la prohibition.

Nul n'a fait ressortir avec plus d'esprit et de raison les inconséquences et les dangers du système protecteur; nul n'a stigmatisé d'une façon plus originale les prétentions de cette vieille doctrine de la balance du commerce; les douanes ne sont pas épargnées, chemin faisant, par le savant académicien. « Un code de douanes est, selon lui, un receuil assez plaisant. On y apprend de quels droits sont passibles les allumettes, les ananas, les archets de violons. La complication de mesures fiscales et de dispositions commerciales que présentent les douanes, est très-funeste. L'or versé dans les caisses publiques prête sa force aux argumens des monopoleurs; les profits de l'impôt font oublier les misères de l'industrie. » C'est certainement à cette complication que nous devons le maintien d'un régime si incompatible avec les intérêts bien entendus de la production. La plupart des esprits sont uniquement préoccupés de la nécessité de protéger l'industrie nationale, c'est-à-dire certaines fabrications nationales, et faute d'analyser les conséquences qui résultent de cette protection, ils ne peuvent comprendre le dommage qu'elle cause au pays; aussi jamais peut-être la publication de l'ouvrage de M. Droz n'eût été plus opportune qu'aujourd'hui ; ce livre de 1829 a tout le charme de la nouveauté en 1855.

Pour être juste envers cet écrivain si distingué, nous devons reconnaître qu'il n'a pas traité avec sa supériorité accoutumée, la question importante des banques, soit qu'il ait préféré renvoyer ses lecteurs

aux belles analyses de Smith et de M. Sismondi, soit que dans un livre élémentaire il n'ait pas cru convenable de se livrer aux développemens que nécessitait pourtant le sujet. La question des banques est une de celles qui intéressent aujourd'hui au plus haut degré l'avenir du pays. C'est elle qui renferme les premiers élémens de la grande transaction à intervenir entre le capital et le travail; c'est la facilité de se procurer les capitaux qui amènera la seule émancipation possible et durable des travailleurs. Lorsque M. Droz écrivait son ouvrage, les circonstances n'avaient pas donné à cette question la gravité qu'elle a acquise depuis, et que mon excellent ami M. Emile Pereire a si habilement fait ressortir dans une suite d'articles fort remarquables sur les banques.

Au surplus, M. Droz reprend ses avantages dans les chapitres qu'il a consacrés à la distribution des richesses. Ses considérations sur le taux des salaires, sans être entièrement neuves, se distinguent par un caractère de sympathie austère et impartiale pour les classes laborieuses. « La classe qui vit de salaires, dit-il, forme les trois-quarts de la population. Comment parler de prospérité, lorsque tant d'hommes sont dans la gêne et dans la misère? Comment concevoir qu'un état soit heureux, si la plupart de ses habitans souffrent? Aussi long-temps qu'on verra, même dans les pays riches, une multitude d'individus manquer des choses nécessaires, on pourra dire que l'écrivain politique n'a pas découvert les principes qui doivent diriger l'indus

trie, ou que l'administration ne sait pas profiter de ces principes.

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Tout a été dit sur les machines, et malgré les philippiques éloquentes de M. de Sismondi, leurs avantages sont reconnus aujourd'hui bien supérieurs à leurs inconvéniens. M. Droz partage cette opinion, et il l'a défendue par quelques argumens, devenus nouveaux entre ses mains, par la forme animée qu'il a su leur donner. « Supposons, dit-il, une contrée ignorante et pauvre, où il n'existe d'autre établissement d'industrie qu'une fabrique d'étoffes grossières. Si pour perfectionner cette manufacture, on remplace par des machines la moitié des ouvriers, il y aura pour eux un moment de crise qu'il eût fallu leur épargner. Mais traversez ce pays quelques années après. Les ouvriers renvoyés sont parvenus à se procurer du travail, et vous voyez la classe nombreuse vêtue de meilleures étoffes dont le bas prixa répandu l'usage. » M. Droz n'a point indiqué ce que l'économie politique pourrait faire pour rendre moins difficile à ces braves gens la transition de l'état sauvage à l'état industriel, et malheureusement la question est encore indécise comme beaucoup d'autres. C'est la tâche qui est dévolue aux économistes du dix-neuvième sciècle, et puissentils s'en acquitter avec le succès que fait désirer son importance!

M. Droz a examiné la doctrine de Malthus sur le principe de population, doctrine fameuse et qui, malgré ses exagérations, est encore aujourd'hui plus conforme à l'expérience qu'aucune de celles qu'on

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