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après qu'elles ont été légalement mises en demeure d'y assister. Telle est la disposition de l'art. 41 du C. de pr. civ., et c'est sur cet article que se fondent en général les arrêts qui ont maintenu cette règle. On lit, en effet, dans ces arrêts « que les juges de paix, lorsqu'ils reconnaissent l'utilité de constater l'état des lieux, doivent, aux termes de l'art. 41, ordonner que la visite en sera faite par eux en présence des parties; que cette disposition, qui a pour but de rendre contradictoire toute l'instruction d'après laquelle il sera statué sur l'affaire, est applicable par analogie en matière de simple police et substantielle au droit de défense; qu'il résulte néanmoins du jugement dénoncé que le juge de police a profité de l'intervalle entre les deux audiences où la cause a été successivement appelée devant lui pour s'assurer par lui-même de l'espace que le dépôt de pierres reproché au prévenu laissait libre, sans qu'il apparaisse ni que son transport cut été préalablement prescrit, ni qu'il ait été contradictoirement opéré; en quoi ce magistrat a expressément violé ledit art. 41 et le droit de défense à la Cour de cass. '. >>>

Mais cet article, comme on l'a fait déjà remarquer, n'est pas la véritable ou du moins la seule source de cette règle. Elle n'est qu'une conséquence du caractère même de la procédure qui doit être publique et contradictoire; le juge ne peut se fonder sur des renseignements qui lui sont personnels, sur des éléments qui n'ont pas subi l'épreuve d'un débat; c'est la présence des parties ou leur mise en demeure d'y assister qui fait de la visite un moyen de preuve, parce que leurs explications ont pu en éclairer les résultats, parce qu'ils ont pu les contredire réciproquement. C'est par ce motif qu'un jugement de police a dû être cassé : Attendu que ce jugement déclarait « que c'est sur l'inspection personnelle faite par le juge, sans qu'il soit constaté que les parties y aient été présentes, que le

1 Cass. 14 sept. 1850, rapp. M. Rives. Bull. n. 309; et Conf. cass. 28 sept. 1850, rapp. M. Rives, n. 338; 6 avril et 17 oct. 4838, rapp. MM. Bresson et Rives, n. 97 et 337; 3 août 1849, rapp. M. Rives. n. 190; 3 oet. 1854, rapp. M. Rives. n. 439, etc.

magistrat a fondé l'impraticabilité du chemin ; que les renseignements que le juge se procure, en dehors de l'audience, sur les faits constitutifs des contraventions, ne forment point une preuve sur laquelle il puisse asseoir sa conviction; que la loi n'admet d'autres preuves, que celles qui, produites aux débats, peuvent être l'objet d'une discussion contradictoire '. » C'est par une conséquence de cette doctrine que la Cour de cassation, dans quelques-uns de ses arrêts, a rejeté les visites de lieux faites hors la présence des parties, non plus en invoquant l'art. 41 du C. de pr. civ., mais en invoquant seulement les règles générales du Code d'instr. crim. L'un de ces arrêts porte, en effet : Vu les art. 153, 154 et 161 du C. d'inst. crim.; attendu qu'il résulte de la combinaison de ces articles que la conviction du juge, chargé par la loi de réprimer les contraventions, ne doit se former que par les débats qui ont lieu publiquement devant lu`; qu'ainsi lorsque, dans l'espèce, le juge, au lieu d'ordonner la preuve des faits articulés par le prévenu, a pris sur lui de demander extrà-judiciairement des renseignements dont il a ensuite argumenté dans sa décision, lorsqu'il a tiré des motifs de cette décision d'une visite des lieux par lui faite sans l'avoir contradictoirement annoncée et sans mettre les parties à même d'y assister, il a violé expressément les articles précités : La Cour casse.. » C'est là, suivant nous, le fondement le plus juridique de la jurisprudence.

L'irrégularité des visites de lieux auxquelles le juge a procédé en l'absence des parties ou sans les avoir mises, par un jugement préalable, en demeure d'y assister, n'entache pas néanmoins la procédure d'une nullité absolue. Tous les arrêts qui prononcent cette nullité se fondent sur ce que les jugements annulés avaient pris leurs motifs de décision dans les visites irrégulières; ils déclarent « que le jugement dénoncé, qui n'a été rendu qu'après la visite des lieux, s'est uniquement

* Cass. 13 oct. 1854, à notre rapport. Bull. n. 300.

2 Cass. 41 juin 1842, rapp. M. Romiguières. Bull, n. 150,

déterminé à relaxer le prévenu par des motifs tirés de cette visite effectuée bors la présence des parties, et sans que cellesci eussent été légalement mises en demeure d'y assister'. » De là la conséquence que, si la visite illégale n'a pas fourni au jugement son motif déterminant, s'il n'en fait pas état et s'il s'appuie soit sur les procès-verbaux, soit sur les témoignages, le vice de cette visite, ne produisant aucun préjudice, devient indifférent. Ce point a été reconnu par un arrêt qui rejette le pourvoi du ministère public dans les termes suivants : « Sur le moyen tiré de la prétendue violation de l'art. 41 du C. de proc. civ., en ce que le tribunal de simple police s'est transporté sur les lieux du litige, sans avoir ordonné cette mesure par un jugement préparatoire et sans que les parties aient été présentes à l'inspection qu'il a faite, ni légalement mises en demeure d'y assister :-attendu, en droit, que l'inobservation des formalités substantielles de procédure ne doit entacher de nullité l'instruction qui s'en trouve viciée que lorsqu'elle a pu réellement nuire aux parties; que, dans l'espèce, l'irrégularité, dont le demandeur se ferait grief, n'a point préjudicié à l'action publique, puisque le tribunal de police n'a tiré, de la descente dont il s'agit sur les lieux contentieux, aucun élément déterminant ou décisif de son jugement". » Cette distinction, établie pour circonscrire le nombre des nullités dans une matière qui n'en admet que fort peu, pourrait être critiquée ce n'est plus, dans ce système, l'illégalité de la mesure qui produit la nullité, c'est uniquement le motif que le juge donne à sa décision; il peut se transporter seul sur les lieux et puiser dans son inspection personnelle et isolée tous les éléments de son opinion, pourvu qu'en les énonçant il n'exprime pas leur source et qu'en déclarant les motifs du jugement, il ne déclare pas le lieu où il les a pris. Il importe peu que le transport soit illégal, la jurisprudence ne voit que l'a

1 Cass. 28 fév. 1839, rapp. M. Rives. Bull. n. 74; 3 août 1849, rapp. M. Rives, n. 190; 2 mai 1856, rapp. M. Rives, n. 165.

2 Cass. 28 fév. 1846, rapp. M. Rives. Bull. n. 64; et Conf. 22 mars 1838. Dal. 38, 454.

bus qui en est fait; elle ne frappe nullement l'excès de pouvoir commis par le juge, elle ne veut appercevoir que la conséquence qu'il en a déduite; peut-être eut-il été plus logique de frapper la mesure à raison de son illégalité même, et quelle qu'ait été son influence, qu'il est difficile de constater, sur le jugement.

La visite des lieux doit, nous l'avons déjà dit, être ordonnée par un jugement; mais ce jugement, à la différence de celui qui, sur les conclusions des parties, ordonne une expertise, est, en général, purement préparatoire; c'est, en effet, une simple mesure d'instruction; il ne préjuge rien sur le fond; il ne fait point dépendre ses décisions de telle ou telle vérification; c'est une enquête que le juge est toujours libre de faire pour éclairer sa religion. Il a été décidé dans ce sens : que le jugement du juge de police, qui ordonne, avant faire droit, un transport contradictoire sur les lieux, ne préjuge ni explicitement, ni implicitement les questions soumises au tribunal de répression; que, dès lors, ce jugement, purement préparatoire et d'instruction, ne peut être attaqué par la voie du recours en cassation qu'après le jugement définitif. » Cependant, si la visite des lieux avait été ordonnée sur les conclusions des parties, si le juge faisait dépendre son jugement définitif du résultat de son inspection, cette mesure pourrait prendre un caractère interlocutoire.

Ce jugement, d'avant faire droit, est rendu à l'audience, et c'est également à l'audience que doit être rendu le jugement. définitif qui suit la visite des lieux. Un juge de police, étant sur les lieux en présence des parties et se trouvant suffisamment édifié par la vérification qu'il avait faite, avait cru pouvoir prononcer immédiatement son jugement; il s'était fondé sur l'art. 42 du C. de proc. civ. qui porte: « il pourra juger sur le lieu même sans désemparer. » Cette décision, qui atteste le danger des emprunts faits par un Code à un autre Code, a été cassée par un arrêt qui déclare : « que l'art. 24

1 Cass, 28 avril 1854, rapp. M. Nouguier. Bull. n. 127.

du C. de proc. civ. n'est point applicable en matière de police; que la solennité des formes des tribunaux répressifs ne saurait se concilier avec un mode de procéder qui n'assurerait pas à la justice toutes les garanties établies par la loi ; que notamment l'art. 153 du C. d'instr. crim. veut que l'instruction de chaque affaire soit publique à peine de nullité, et que la condition de cette publicité ne pourrait être réalisée sur les lieux telle qu'elle est exigée par la loi; que les jugements du tribunal de police ne peuvent être rendus que dans l'auditoire qui lui est affecté '.

III. La visite du juge, lorsqu'elle est accomplie avec les formes légales, a les mêmes effets que les autres preuves. Le tribunal peut y puiser les éléments de sa conviction et les opposer aux autres actes de l'instruction. Il peut donc, lors même que la contravention est constatée par un procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve contraire, si ce procès-verbal lui paraft insuffisant, prendre dans les résultats de la vérification à laquelle il a procédé une preuve qu'il a le droit d'opposer ensuite à la preuve résultant du procès-verbal. En effet, cette visite, opérée avec les formes légales, est un élément de preuve, et le juge a le droit d'y puiser sa conviction. Comment donc, si les énonciations du procès-verbal ne lui semblent ni assez claires, ni assez complètes pour asseoir son jugement, ne pourrait-il pas les contrôler au moyen d'une preuve que la loi met à sa disposition? Quand il peut d'office, dans la même hypothèse, ordonner soit une audition de témoins, soit une expertise, comment pourrait-il lui être interdit de procéder, en présence des parties, à une visite des lieux qui lui permet d'éclairer sa religion? Dès que cette visite a les effets d'une preuve légale, comment trouverait-elle un obstacle dans un procès-verbal qui ne vaut que jusqu'à preuve contraire?

1 Cass, 17 juillet 1855, à notre rapport. Bull. n. 265, et Conf. cass. 1er prair. an vi, rapp. M. Ritter, n. 408; 9 therm. an I, rapp. M. Borel, n. 283. * Cass. 28 avril 1854, rapp. M. Nouguier, Bull, m. 427.

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