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» Le comité des recherches de l'Assemblée nationale, et tous ceux qui pourraient être établis dans le royaume, seront abolis;

» L'Assemblée nationale, désirant que le souvenir des troubles qui ont désolé le royaume depuis un an soit, effacé, suppliera le roi d'accorder une amnistie générale;

»Le présent décret sera porté au pied du trône par l'Assemblée nationale en corps;

» Le roi sera supplié d'y donner une prompte sanction, en lui assurant qu'il n'est point de Français qui ne soit disposé à tous les sacrifices pour le retour aux vraies maximes; » L'Assemblée, en sortant de chez le roi, ira porter ses respects à la reine....

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(Grands éclats de rire, auxquels l'orateur répond :) » Ce que je propose est bon; l'événement décidera. » Il sera chanté dans toutes les églises et paroisses Te Deum en actions de grâces de la réunion des esprits; le roi sera supplié de se trouver avec son auguste famille à celui qui sera chanté dans la cathédrale de Paris; l'Assemblée y assistera en corps, et espère y voir tous les princes et tous les Français absens. »

L'orateur quitte la tribune, laissant tout l'auditoire dans une grande hilarité. Plusieurs membres demandent le renvoi de ce projet de décret au comité de santé, d'autres au comité d'aliénation.... M. Charles Lameth propose que M. Duval soit envoyé pour quinze jours à Charenton.

M. Alexandre Lameth.

<< Comme il est important que la nation sache d'après quels principes se conduit l'Assemblée, je demande qu'on passe à l'ordre du jour, mais qu'on motive ainsi cette décision:

» L'Assemblée nationale ayant, pour prouver la liberté la plus entière des opinions, entendu jusqu'à la fin la lecture du projet de décret de M. Duval, et, le regardant comme l'effet d'une imagination en délire, a passé à l'ordre du jour.

On applaudit, et on demande à aller aux voix.

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M. Mathieu Montmorency.

« Je voulais exprimer, comme le préopinant, ce que j'avais éprouvé à la lecture du projet de M. Duval; je voulais dire que le délire et la folie pouvaient seuls excuser un projet qui mériterait toute la sévérité de l'Assemblée. On ne peut mieux faire que de passer à l'odre du jour, en témoignant le plus profond mépris pour la motion et son auteur : le terme de mépris paraîtra singulier; mais il peut seul exprimer l'intention de l'Assemblée. J'appuie donc la motion de M. Lameth de passer à l'ordre du jour en le motivant. »

M. Cazalès.

« Avant d'adopter une proposition que j'appuie, je demande que l'Assemblée déclare qu'il est permis à un de ses membres d'en insulter un autre, ou bien qu'elle rappelle à l'ordre MM. Lameth et Montmorency; si elle ne le veut pas, je lui demande acte de son décret ; et moi qui me suis constamment abstenu dans cette tribune de prononcer aucune expression injurieuse, je demanderai la permission d'insulter nominativement. >>

M. Charles Lameth.

« On demande que je sois rappelé à l'ordre; comme je crois qu'il est aussi contraire à l'honneur de faire des injures que d'en souffrir, je déclare que quand j'ai fait la motion d'envoyer M. Duval à Charenton je n'ai voulu que lui donner du ridicule, mais non l'insulter. Il est insensé ou il est coupable. Dans l'époque où nous nous trouvons, au milieu des bruits qui se répandent, je me contente de tourner en ridicule un membre dont on pourrait sérieusement, et peut-être très-utilement, instruire le procès. Dans un moment où l'on cherche à nous intimider par la réunion des parlemens, où le mot de contre-révolution retentit dans toutes les places publiques, il est un peu fort d'en présenter le projet à l'Assemblée nationale! Quand on sait que los agens de la contre-révolution mettent tout en œuvre pour prévenir le roi contre l'Assemblée; quand on veut enlever le roi,

que

le comité des recherchés en est instruit; qu'on publie que l'on en viendra à bout avec cinquante mille hommes; que Rouen est l'endroit où l'on voudrait le placer sous la protection du parlement; quand une réponse du roi, que tout bon français aurait voulu oublier, se trouve dans le préambule du décret proposé par M. Duval, vous craindriez encore de donner du ridicule à ce membre! Les espérances. de nos ennemis sont plus fortes que jamais; nous n'avons pas un moment à perdre; le péril est extrême; il faut la coalition de tous les bons citoyens.

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La discussion continue quelques instans: MM. Maury et Cazalès demandent que M. Duval soit entendu justifier. M. Duval paraît à la tribune; mais les murmures et les éclats de rire l'empêchent de se faire entendre. Un membre opine pour qu'il soit, conduit en prison. M. Mirabeau l'aîné (le comte) rappelle et appuie la motion de M. Alexandre Lameth; et cette motion, mise aux voix et aussitôt adoptée à une grande majorité, forme le décret suivant (29 septembre 1790):

« L'Assemblée nationale ayant, pour prouver la liberté la plus entière des opinions, entendu dans son entier la lecture d'un projet de décret de M. Duval, (d'Espréménil), et considérant ce projet comme le produit d'une imagination en délire, décrète de passer à l'ordre du jour. »

REMPLACEMENT DU PAVILLON BLANC PAR LE PAVILLON TRICOLOR.

Discours de Mirabeau l'aîné. (Séance du 21 octobre 1790.)

La tranquillité publique était généralement troublée; la plus coupable insubordination se manifestait dans les armées de terre et de mer. Au milieu de ces désordres le pouvoir exécutif ne déployait aucun des moyens mis à sa disposition : l'Assemblée chargea ses comités diplomatique, colonial, militaire et de la marine, de lui faire un rapport sur ces affligeantes circonstances. Ces quatre comités réunis

proposèrent un décret portant, entr'autres dispositions, que le pavillon blanc serait remplacé par le pavillon tricolor: c'est ce seul point qui nous arrêtera. La discussion dont il devint l'objet fut une des plus orageuses; mais les opposans au projet du comité n'ayant répondu à ses partisaus que par des cris, par des injures (1), nous sommes dispensés de rappeler les débats; nous nous bornons donc au discours suivant de Mirabeau :

Aux premiers mots proférés dans cet étrange débat j'ai ressenti les bouillons du patriotisme jusqu'au plus violent emportement....

(Le côté gauche applaudit: quelques membres du côté droit se prennent à rire; l'orateur leur adresse cette apostrophe:) » Messieurs, donnez-moi quelques momens d'attention; je vous jure qu'avant que j'aie cessé de parler vous ne serez pàs tentés de rire!...

» Mais bientôt j'ai réprimé ces justes mouvemens pour me livrer à une observation vraiment curieuse, et qui mérite toute l'attention de l'Assemblée; je veux parler du genre de présomption qui a pu permettre d'oser présenter ici la question qui nous agite, et sur l'admission de laquelle il n'était pas même permis de délibérer. Tout le monde sait quelles crises terribles ont occasionnées de coupables insultes aux couleurs nationales! Tout le monde sait quelles ont été en diverses occasions les funestes suites du mépris que quelques individus ont osé lui montrer! Tout le monde sait avec quelle félicitation mutuelle la nation entière s'est complimentée quand le monarque a ordonné aux troupes de porter, et a porté lui-même, ces couleurs glorieuses, ce signe de ralliement de tous les amis, de tous les enfans de la liberté, de tous les défenseurs de la constitution! Tout le monde sait qu'il y a peu de mois, il y a peu de semaines, le téméraire qui eût osé montrer quelque dédain pour cette enseigne du patriotisme eût payé ce crime de sa tête !...

(1) Un député, M. Guilhermy, convaincu d'avoir appelé Mirabeau scélérat et assassin, fut condamné par l'Assemblée à garder trois jours les arrêts.

(De violens murmures s'élèvent dans la partie droite; l'autre partie de la salle retentit de bravos et d'applaudissemens.)

>> Et lorsque vos comités réunis, ne se dissimulant pas les nouveaux arrêtés que peut exiger la mesure qu'ils vous proposent; ne se dissimulant pas que le changement de pavillon, soit dans sa forme, soit dans les mesures secondaires qui seront indispensables pour assortir les couleurs nouvelles aux divers signaux qu'exigent les évolutions navales; méprisant, îl est vrai, la futile objection de la dépense, on a objecté la dépense, comme si la nation, si longtemps victime des profusions du despotisme, pouvait regretter le prix des livrées de la liberté ! comme s'il fallait penser à la dépense des nouveaux pavillons, sans en rapprocher ce que cette consommation nouvelle verserà de richesses dans le commerce des toiles et jusques dans les mains des cultivateurs du chanvre et d'une multitude d'ouvriers! Lorsque vos comités réunis, très-bien instruits que de tels détails sont de simples mesures d'administration qui n'appartiennent pas à cette Assemblée, et ne doivent pas consumer son temps; lorsque vos comités réunis, frappés de cette remarquable et touchante invocation des couleurs nationales, présentée par des matelots dont on fait avec tant de plaisir retentir les désordres, en en taisant les véritables causes pour peu qu'elles puissent sembler excusables; lors que vos comités réunis ont eu cette belle et profonde idée de donner aux matelots comme un signe d'adoption de la patrie, comme un appel à leur dévouement, comme une récompense de leur retour à la discipline, le pavillon national, et vous proposent en conséquence une mesure qui au fond n'avait pas besoin d'être demandée ni décrétée, puisque le directeur du pouvoir exécutif, le chef suprême des forces de la nation avait déjà ordonné que les trois couleurs fussent le signe national!...

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» Hé bien, parce que je ne sais quel succès d'une tactique frauduleuse dans la séance d'hier a gonflé les cœurs contrerévolutionnaires, en vingt-quatre heures, en une nuit toutes les idées sont tellement subverties, tous les principes sout tellement dénaturés, on méconnaît tellement l'esprit public,

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