Page images
PDF
EPUB

pour approuver les décrets qui lui paraissent conformes à l'intérêt général et à la volonté nationale, et les transformer ainsi en lois par sa sanction, ou pour empêcher que ces décrets deviennent des lois jusqu'à ce que la nation, deux fois consultée par deux nouvelles élections de législatures, ait, dans les instructions qu'elle leur aura données, manifesté que les décrets proposés à la sanction lui paraissent mériter de la recevoir. C'est ainsi que nous l'avons placé dans la constitution, non pas simplement comme chef du pouvoir exécutif, mais comme chef suprême de la nation.

» Ce n'est pas un acte de la constitution que nous allons faire le 14 juillet; c'est une grande et solennelle fête nationale que nous allons célébrer avec les plus fermes appuis de la constitution, et dans laquelle, en recevant le serment qu'ils s'empresseront de prononcer, nous ne devons rien nous permettre de contraire à cette constitution qu'ils doivent maintenir. Comment pourrions-nous faire de la confédération des gardes nationales une corporation distincte de la nation, et que l'on regarderait à quelques égards comme lui étant opposée? Comment séparerions-nous la qualité de garde nationale de celle de citoyen? Nous ne pouvons pas distinguer davantage les gardes nationales de l'armée. Qu'est-ce que l'armée? C'est l'assemblage des citoyens qui portent les armes pour protéger les droits de tous et de chacun. La principale partie de l'armée est composée des gardes nationales. Les troupes réglées ne forment qu'une armée supplémentaire, et pour ainsi dire accidentelle, faite pour ménager le temps, la peine et le danger des citoyens qui ont d'autres fonctions à remplir. On peut supposer tel cas, ou de paix absolue ou d'économie extrême, dans lequel on ne conserverait pas ce que les Anglais appellent a standing army, une armée soldée perpétuellement, et où l'on réformerait entièrement les troupes réglées. On ne peut réformer les gardes nationales; ce sont donc elles qui forment l'armée essentielle de la nation: les troupes réglées n'en sont que l'armée accidentelle. Supposer que ces deux armées, ou ces deux branches de la même armée, puissent avoir deux commandans indépendans l'un de l'autre; que le roi, ne soit le chef que de l'armée

accidentelle et réformable, et qu'un autre pât être nommé chef de l'armée essentielle, principale et irréformable de l'Etat, ce serait regarder le roi et l'autorité qu'on lui a confiée comme des accidens.

>> Nous ne pouvons pas avoir une pensée si contraire aux principes et à la lettre de notre constitution; et puisque nous avons déclaré le roi chef suprême de l'armée, nous n'avons pas pu vouloir dire que ce serait de l'armée qu'on peut réformer demain, et dont la réforme le laisserait sans fonctions; que ce ne serait pas de l'armée essentielle de l'Etat, qui doit durer autant que l'Etat même et la monarchie. Je trouve donc inconstitutionnel que le roi soit privé de remplir une fonction dont notre constitution l'a impérieusement chargé. C'est par cette raison que je rejette la rédaction du comité, et que, sans être retenu par aucune considération particulière sur l'expression d'une vérité qui me paraît manifeste et utile, j'adopte entièrement la rédaction de M. l'abbé Maury. >>

Après ce discours on fit lecture des diverses propositions et amendemens. La discussion, très-animée, ramena l'application des principes ci-dessus développés. La question de savoir quelle place devait occuper la famille royale fut celle qui causa le plus de débats; M. Arthur Dillon les termina en faisant adopter, à l'unanimité, l'usage suivi en Angleterre, et d'après lequel le roi désigne lui-même la place de sa famille dans les cérémonies publiques. Enfin, les articles 1,3 et 4 du décret proposé par le comité furent adoptés sans autre changement que la suppression des mots premier citoyen à l'article 4; mais l'article 2, amendé, ne devint plus qu'un article réglementaire. Dans le projet du comité il portait: En toutes cérémonies, etc.; M. Ræderer, vivement combattu par M. Charles Lameth, proposa et obtint que cet article ne serait pas décrété constitutionnellement, et l'on mit : à la fédération, etc. Le voici :

Art. 2. « A la fédération du 14 juillet le président de l'Assemblée nationale sera placé à la droite du roi, et sans intermédiaire entre le roi et lui.

» Les députés seront placés immédiatement tant à la gauche du roi qu'à la droite du président.

» Le roi sera prié de donner ses ordres pour que sa famille soit convenablement placée.

[ocr errors]

Cependant s'approchait le jour de la fête nationale: ce n'était point un seul homme, un seul nom que l'on allait célébrer; c'était la gloire commune, la conquête de la liberté! Le dévouement et le patriotisme concouraient seuls aux préparatifs de cette grande solennité. La capitale se remplissait des députations de tous les corps et de toutes les villes, qui venaient tour à tour exprimer à l'Assemblée les sentimens de tous les Français, et dans ces divers témoignages de la satisfaction générale se reproduisait sans cesse la plus honorable récompense que puissent ambitionner les représentans d'un peuple libre; c'était ce tribut volontaire et si bien mérité, ce franc et noble tribut de reconnaissance et d'admiration que la nation payait à ses dignes mandataires. La veille du grand jour, le 13 juillet 1790, la salle des séances de l'Assemblée nationale donna déjà une idée du majestueux tableau qui le lendemain allait se déployer dans l'enceinte du Champ-de-Mars; de nombreuses députations de toutes les gardes nationales de France, de toutes les troupes de terre et de mer, occupaient les tribunes et les amphithéâtres, qu'environnait de toute part l'affluence du peuple, avide de voir réunis ses frères de toutes les provinces, et d'applaudir en commun aux immortels législateurs qui rendaient leurs bienfaits communs à toutes les classes. Au milieu de ce beau spectacle, sous les yeux du peuple, sous les yeux de l'armée, sous les yeux de toute la France, les pères de la patrie délibéraient avec calme et sans orgueil, et le peuple, et l'armée, et la France applaudissait. Dans le cours de la séance un discours fut prononcé au nom de chaque députation. Les gardes nationales de France choisirent pour interprète le héros de la liberté : La Fayette avait à peine fini de parler, que l'Assemblée se leva presque unanimement pour voter des remerciemens à toutes les gardes nationales. Sur

la proposition de M. de Castellane, cette motion, partie de tous les cœurs à la fois, devint aussitôt un décret, proclamé en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il est voté des remerciemens aux gardes nationales de France pour l'appui qu'elles ont prêté à la constitution et au maintien de l'ordre public, et pour le patriotisme qu'elles n'ont cessé de déployer. (1)

>>

Nous terminerons cet article par les trois discours qui suivent, en renouvelant le regret que notre tâche ne nous permette pas de suivre l'Assemblée (2) et la France à l'autel de la patrie (3).

Discours prononcé devant l'Assemblée nationale, par M. La Fayette, au nom de toutes les gardes nationales de France. (Séance du 13 juillet 1790.)

<< Messieurs, les gardes nationales de France viennent vous offrir l'hommage de leur respect et de leur reconnaissance.

» La nation, voulant enfin être libre, vous a chargés de lui donner une constitution; mais en vain elle l'aurait attendue si la volonté éclairée dont vous êtes les organes n'avait suscité cette force obéissante qui repose en nos mains, et si cet heureux concert, remplaçant tout à coup l'ordre ancien que les premiers mouvemens de la liberté faisaient disparaître, n'avait été la première des lois qui succédaient à celles qui n'étaient plus.

» C'était, nous osons le dire, un prix dû à notre zèle que cette fête qui va rassembler tant de frères épars, mais

(1) Le zèle soutenu et toujours renaissant des gardes nationales de France ne fait-il pas qu'après trente ans cet honorable décret paraît encore jeune de date?

(2) Sur la proposition de M. Barnave, l'Assemblée avait décrété qu'elle ne prendrait aucune délibération hors du lieu ordinaire de ses

séances.

(3) M. Talleyrand, évêque d'Autun, d'après l'ordre du roi, officia pontificalement à cette auguste cérémonie.

qui, régis à la fois par votre influence et par le besoin impérieux, si cher aux bons Français, de s'assurer de l'unité de l'Etat, n'ont cessé de diriger vers un point commun leurs communs efforts; c'était aussi sans doute un prix dû à vos travaux que cet accord unanime avec lequel ils portent aujourd'hui à l'Assemblée constituante de France leur adhésion à des principes que demain ils vont jurer de maintenir et de défendre!

[ocr errors]

Qui, messieurs, vous avez connu et les besoins de la France et le vœu des Français lorsque vous avez détruit le gothique édifice de notre gouvernement et de nos lois, et n'avez respecté que le principe monarchique, lorsque l'Europe attentive a appris qu'un bon roi pouvait être l'appui d'un peuple libre, comme il avait été la consolation d'un peuple opprimé !

» Achevez votre ouvrage, messieurs, et, déterminant dans le nombre de vos décrets ceux qui doivent former essentiellement la constitution française, hâtez-vous d'offrir à notre juste impatience ce code dont la première législature doit bientôt recevoir le dépôt sacré, et dont votre prévoyance assurera d'autant plus la stabilité que les moyens constitutionnels de le revoir nous serons plus exactement désignés.

» Les droits de l'homme sont déclarés; la souveraineté du peuple est reconnue; les pouvoirs sont délégués; les bases de l'ordre public sont établies: hâtez-vous de rendre à la force de l'Etat son énergie. Le peuple vous doit la gloire d'une constitution libre; mais il vous demande, il attend enfin ce repos qui ne peut exister sans une organisation ferme et complète du gouvernement.

» Pour nous, voués à la révolution, réunis au nom de la liberté, garans des propriétés individuelles comme des propriétés communes, de la sûreté de tous et de la sûreté de chacun; nous qui brûlons de trouver notre place dans vos décrets constitutionnels; d'y lire, d'y méditer nos devoirs, et de connaître comment les citoyens sont armés pour les remplir; nous, appelés de toutes les parties de la France par le plus pressant de tous, mesurant notre confiance à

« PreviousContinue »