CHAPITRE III. MONNAIES ÉPISCOPALES DE GENÈVE (1). Les princes-évêques de Genève comptent au nombre des premiers prélats de la chrétienté qui jouirent des droits souverains (2); déjà sous les rois de la Bourgogne transjurane, et, suivant la judicieuse observation de M. Ed. Mallet sur les deniers de Conrad, ils battaient monnaie à coins libres et indépendants; d'autres monnaies signées de l'évêque Adalgodus (3), et par conséquent également frappées sous la dynastie bourguignonne (puisque les deux prélats de ce nom vivaient avant l'évêque Frédéric siégeant déjà en 1031, et que la race royale (1) On peut consulter, sur ces monnaies, les notices suivantes : Lettre à M. de Saulcy sur quelques monnaies du moyen âge trouvées aux environs de Genève, par M. Soret; Revue numismat., 1841. Lettre sur les enfouissements monétaires de Genève et de ses environs, par le même auteur; Mém. de la Soc. d'Hist., t. I, p. 230. Ces deux ouvrages contiennent, relativement aux plus anciennes monnaies de Genève, des renseignements fort intéressants, de même que la Notice sur la monnaie genevoise au temps des rois bourguignons de la première race, et sur quelques monnaies mérovingiennes; mêmes mémoires, t. I, p. 259. Les monnaies de Conrad, d'abord décrites par M. de San Quintino, en 1846, ont fait le sujet d'un travail spécial de M. Ed. Mallet, inséré dans le 5o vol. des mémoires que nous venons de citer, p. 355. (2) Dans sa savante Numismatique du moyen âge, Lelewel dit que l'évêque de Liége obtint de l'empereur Othon la concession des droits monétaires dès 925 (t. II, p. 139); mais que ce droit ne fut mis en usage par les prélats que vers 960, époque où l'évêque de Metz émit quelques monnaies (t. I, p. 136); il ajoute que les plus anciennes épiscopales signées, qui soient parvenues à sa connaissance, sont celles que Gui, archevêque de Reims, frappa de 1033 à 1055 (t. I, p. 199). (3) Le vrai nom de ce prélat paraît être Adalgodus, écrit dans les anciens rôles Aldagaudus et lu Aldagandus. ne s'éteignit que par la mort de Rodolphe, en 1032), viennent confirmer ce point historique important, et prouver d'une manière incontestable l'antiquité des droits de souveraineté et d'indépendance de l'Église de Genève. Dès que l'évêché compta au nombre des membres de l'Empire, ses titulaires perdirent, à ce qu'il paraît, quelques-uns de leurs droits; en particulier ceux relatifs à la monnaie furent atteints, et si l'empereur n'obligea pas nos prélats à placer sur les pièces qu'ils émirent les insignes impériaux, il leur interdit du moins, autant qu'on peut en juger par tous les monuments qui nous restent de cette époque, le droit de les signer. Cette circonstance rend assez difficile l'assignation précise de la date de nos épiscopales; on peut cependant classer toutes ces pièces en quatre catégories distinctes, comprenant, la première les monnaies signées; la deuxième celles du onzième siècle, la troi sième celles des douzième et treizième siècles, et la quatrième celles du quatorzième. 1. Monnaies signées; dixième siècle et commencement du onzième. Comme nous venons de le dire, deux évêques seulement ont signé leurs monnaies : l'évêque Conrad, dont on a retrouvé, en 1843, trois pièces à Rome, dans les ruines de Saint-Paul hors les murs; et l'évêque Adalgodus, dont il reste un demi-denier dans la riche collection numismatique de M. le docteur Coindet, qui a bien voulu nous autoriser à publier cette pièce. Les monnaies connues de Conrad se composent de deux deniers et d'un demi-denier; les premiers portent à l'avers la croix cantonnée de quatre besants (1) avec la légende, † CONRADVS (1) Les dessins de M. de San Quintino présentent les cantons garnis par des croisettes. PL. XXXVII. OU GONRADVS EPS, au revers se trouve le type du temple à cinq colonnes entouré des mots, † GENEVA OU GINEVA CIVITAS. La figure 1 de la planche XXXVII représente celui des deniers que possède le Musée de Genève; l'autre, portant GONRADUS et GENEVA, fait partie du beau médailler genevois de M. LullinDunant; le demi-denier de Conrad offre une empreinte analogue à celle des deniers et porte GENEVA. Le demi-denier d'Adalgodus [fig. 2] a le même avers que les deniers conradins avec la légende, + A(d) ALGODVS EPS, et au revers le temple à quatre colonnes entouré de l'inscription, † GENEVA CIVITAS. 2. Monnaies du onzième siècle et commencement du douzième. Nous formerons cette deuxième classe d'une série de deniers d'argent pesant de 20 à 27 grains, et se distinguant de leurs analogues par la forme des caractères généralement bien dessinés, par la hauteur des légendes, par les deux SS placées dans les cantons de la croix, enfin par l'absence de grènetis; nous avons figuré ces pièces sous les numéros 3 et 4. La première est un denier d'argent, pesant 24 grains; cette pièce, bien conservée, indique parfaitement toutes ces particularités de la monnaie du commencement du onzième siècle; à l'avers on voit la croix cantonnée de deux SS avec la légende, + GENEVA CIVTA; au revers la tête en profil de saint Pierre, légende, † SCS PETRVS. Le denier no 4 pèse 24 grains, et se fait remarquer par la forme des S, dont les contours anguleux les font ressembler à des Z, caractère que l'on remarque sur certaines monnaies d'Italie du onzième siècle (1). (1) Voy., dans Lelewel, Numismat. du moyen Age, 3o part., p. 17, et pl. XIV, no 49, une monnaie de l'empereur Henri II (1013-1024), Les trois pièces représentées par les figures 5, 6 et 7 offrent des caractères qui les groupent, et qui fixent pour époque de leur fabrication la première moitié du douzième siècle : la tête de saint Pierre, figurée sur le revers de ces monnaies, se montre avec la chevelure, et quelquefois avec la barbe et la chevelure, genre de représentation où se reconnaissent les réminiscences de l'Orient, importées chez nous au retour des croisades; on sait que, suivant la tradition ecclésiastique de l'Occident, le prince des Apôtres était chauve; c'est ainsi qu'il est figuré sur les anciens deniers épiscopaux de Genève, et c'est encore de cette manière qu'on le retrouve sur les pièces frappées lorsque la mode byzantine déconsidérée fit de nouveau place aux traditions nationales. La croix figurée au droit de ces monnaies offre aussi des caractères qui indiquent une époque d'innovation; sur le no 5, qui est un denier pesant 21 grains, elle est encore, comme sur les pièces antérieures, cantonnée de deux S. Les demi-deniers nos 6 et 7, du poids de 14 et 15 grains, offrent, celui-ci les cantons sans accompagnement, tandis qu'ils sont occupés, dans le no 6, par quatre besants. 3. Douzième et treizième siècles. Les pièces de cette époque sont des deniers et des demideniers en argent, d'un titre généralement bas; dans les monnaies précédentes on remarque une altération dans la forme des caractères, altération d'autant plus grande que ces pièces se rapprochent de l'époque dont nous nous occupons et qui se distingue par des lettres à jambage fort épais et des formes les plus frappée à Venise avec la légende, s. (sanctus) MARCVS VENECIA. Cette forme d'S employée encore en Suède au milieu du onzième siècle, se montre d'abord sur les monnaies anglo-saxonnes du dixième. (Lelewel, part. II, p. 32.) étranges; l'S, en particulier, disloquée est souvent couchée par suite du rétrécissement donné à la hauteur de l'espace légendaire. Le grènetis que l'on remarque et dans les épiscopales signées et dans celles où nous avons signalé l'influence byzantine, sépare toujours dans celles-ci la légende du sujet central; les cantons de la croix offrent un S et un besant; quant à la figure de saint Pierre, elle est tracée de la manière la plus barbare, quoiqu'on y reconnaisse l'intention évidente de représenter la calvitie de l'apôtre. Le n° 8 figure un denier; le n° 9, pesant 15 grains, est probablement un demi-denier; le poids du denier est 21, grains. 4. Quatorzième siècle. La quatrième et dernière classe des monnaies épiscopales se compose de pièces en billon, frappées au quatorzième siècle et probablement en suite des conventions passées soit en 1300 entre l'évêque Martin et le monnayeur Thomas d'Ast (1), soit plus tard entre la monnaierie de Savoie établie à Nyon et l'Eglise de Genève (2). Ces pièces offrent les principaux caractères de celles de la catégorie précédente, à l'exception toutefois de la forme des lettres, qui est plus châtiée et se rapproche, à beaucoup d'égards, de celle des monnaies frappées à Nyon vers 1308, et avec l'autorisation de l'évêque de Genève, par Louis de Savoie, baron de Vaud [fig. 12 (3)]. Les figures 10 et 11 représentent deux de ces épiscopales attribuables à Martin; la première est une pièce pesant 12 grains, et la seconde paraît une (1) Arch. de Genève, Pièces hist., no 138, et Spon, Preuves, no XXVIII. (2) Un acte du 11 mars 1364, relatif à la monnaie de Genève frappée à Nyon, se trouve dans le 2o vol. des Mém. de la Soc. d'Hist. de Genève, p. 381, analyse, p. 286. (3) Voici l'indication des collections où se trouvent les douze pièces |