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TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

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SCENE PREMIERE.

ALZONDE, AMÉLIE.

ALZONDE.

PAR de foibles conseils ne crois plus m'arrêter:
Au comble du malheur, que peut-on redouter?
Oui, je vais terminer ou mes jours, ou mes peines.
Qui n'ose s'affranchir est digne de ses chaînes.
Depuis que rappelée où régnoient mes aïeux
J'ai quitté la Norvege, et qu'un sort odieux
A la cour d'Édouard et me cache et m'enchaîne,
Que de jours écoulés, jours perdus pour ma haine!
L'Écosse cependant éleve en vain sa voix

Vers ces bords où gémit la fille de ses rois;

Pour chasser ses tyrans, pour servir ma vengeance, Pour renaître, Édimbourg n'attend que ma présence.

D'un vil déguisement c'est trop long-temps souffrir; Il faut fuir, Amélie, et régner, ou mourir.

AMÉLIE.

Ah! madame, arrêtez; que prétendez-vous faire?
Le conseil du courroux est toujours téméraire :
Dissimulez encore, assurez vos projets,

Et ne quittez ces lieux qu'à l'instant du succès.
Votre déguisement est sans ignominie:
Depuis le jour fatal où la flotte ennemie,
Détruisant votre espoir, traîna dans ces climats
Le vaisseau qui devoit vous rendre à vos états;
Prise par vos vainqueurs sans en être connue,
Sans honte vous pouvez vous montrer à leur vue.
Vous auriez à rougir si vos fiers ravisseurs,
Voyant Alzonde en vous, voyoient tous vos malheurs;
Mais du secret encor vous êtes assurée,
Et la honte n'est rien quand elle est ignorée.

ALZONDE.

Vous parlez en esclave: un cœur né pour régner
D'un joug même ignoré ne peut trop s'éloigner;
Ne dût-on jamais voir la chaîne qui l'attache,
Pour en être flétri c'est assez qu'il le sache.
Le secret ne peut point excuser nos erreurs,
Et notre premier juge est au fond de nos cœurs.
Dans l'affreux désespoir où mon destin me jette
Crois-tu donc que pour moi la paix soit encor faite?
Condamnée aux fureurs, née au sein des exploits,
Et des maux que produit l'ambition des rois;

Fugitive au berceau, quand mon malheureux pere,
Au glaive d'un vainqueur prétendant me soustraire,
Au prince de Norvege abandonna mon sort,
M'éloigna des états que me livroit sa mort;
Pensoit-il qu'unissant tant de titres de haine,
Devant poursuivre un jour sa vengeance et la mienne,
Héritiere des rois, éleve des héros,

Je perdrois un instant dans un lâche repos?
Dans l'asile étranger qui cacha mon enfance
J'ai pu sans m'avilir suspendre ma vengeance,
La sacrifier même à l'espoir de la paix,
Tandis qu'on m'a flattée ainsi que mes sujets
Qu'Edouard, pour finir les malheurs de la guerre,
Pour unir à jamais l'Écosse et l'Angleterre,
Alloit m'offrir sa main, et par ce juste choix
Réunir nos drapeaux, nos sceptres, et nos droits:
Mais par tant de délais dès long-temps trop certaine
Que l'on m'osoit offrir une espérance vaine,
Quand ce nouvel outrage ajoute à mon malheur,
Attends-tu la prudence où regne la fureur?
S'élevant contre moi de la nuit éternelle,
La voix de mes aïeux dans leur séjour m'appelle;
Je les entends encor: « Nous régnions, et tu sers!
« Nous te laissons un sceptre, et tu portes des fers!
« Regne, ou, prête à tomber, si l'Écosse chancelle,
« Si son regne est passé, tombe, expire avant elle:
« Il n'est dans l'univers en ce malheur nouveau
« Que deux places pour toi, le trône, ou le tombeau ».

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Vous serez satisfaits, mânes que je révere;
Vous connoîtrez bientôt si mon sang dégénere,
sang des héros a passé dans mon cœur,
Et s'il peut s'abaisser à souffrir un vainqueur.

Si le

AMÉLIE.

J'attendois cette ardeur où votre ame est livrée;
Mais comment, sans secours, d'ennemis entourée...?

ALZONDE.

Parmi ces ennemis j'ai conduit mon dessein,
Et, prête à l'achever, je puis t'instruire enfin.
Ce Volfax, que tu vois le flatteur de son maître,
Comblé de ses bienfaits, ce Volfax n'est qu'un traître:
De Vorcestre sur-tout ennemi ténébreux,

Rival de la faveur de ce ministre heureux,
Trop foible pour atteindre à ces degrés sublimes
Par l'éclat des talents, il y va par les crimes;
D'autant plus dangereux pour son roi, pour l'état,
Qu'il unit l'art d'un fourbe à l'ame d'un ingrat.
J'emprunte son secours. Je sais trop, Amélie,
Qu'un traître l'est toujours, qu'il peut vendre ma vie:
Mais son ambition me répond de sa foi;
Assuré qu'en Écosse il régnera sous moi,

Il me sert: par sa main, de ce séjour funeste,
J'écris à mes sujets, j'en rassemble le reste.
J'ai fait plus; par ses soins j'ai nourri dans ces lieux
Du parti mécontent l'esprit séditieux;

J'en dois tout espérer. Chez ce peuple intrépide
Un projet n'admet point une lenteur timide;

Ce peuple impunément n'est jamais outragé,
Il murmure aujourd'hui, demain il est vengé;
Des droits de ses aïeux jaloux dépositaire,
Éternel ennemi du pouvoir arbitraire,
Souvent juge du trône et tyran de ses rois,
Il osa... Mais on vient: c'est Volfax que je vois.

SCENE II.

ALZONDE, VOLFAX, AMÉLIE.

VOLFAX.

Trop long-temps votre fuite est ici différée,
Madame: à s'affranchir l'Écosse est préparée;
Tout conspire à vous rendre un empire usurpé;
D'autres soins vont tenir le vainqueur occupé.
Le trouble regne ici. Formé par la victoire,
Le soldat redemande Édouard et la gloire;
Le peuple veut la paix. Au nom de nos héros
Je vais porter le prince à des exploits nouveaux:
Je ne crains que Vorcestre; ame de cet empire,

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range, il conduit tout à la paix qu'il desire. Contraire à mes conseils, s'il obtient cette paix, Je le perds par-là même, et suis sûr du succès; Son rang est un écueil que l'abyme environne: Déja par des avis parvenus jusqu'au trône Je l'ai rendu suspect, j'ai noirci ses vertus; Encore un pas enfin, nous ne le craignons plus.

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