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La vertu dans les fers est toujours la vertu.
Sa probité toujours éclaira sa puissance.

Que pour
des cœurs voués au crime, à la vengeance,
Le premier rang ne soit que le droit détesté
D'être injuste et cruel avec impunité;

Pour les cœurs généreux que l'honneur seul inspire,
Ce rang n'est que le droit d'illustrer un empire,
De donner à son roi des conseils vertueux,
Et le suprême bien de faire des heureux.

Toi qui, peu fait sans doute à ces nobles maximes,
Oses ternir l'honneur par le soupçon des crimes,
Tu prends pour en juger des modeles trop bas:
Respecte le malheur, si tu ne le plains pas;
Apprends que dans les fers la probité suprême
Commande à ses tyrans, et les juge elle-même.
Mais c'est trop m'arrêter, et tu pourrois penser
Qu'à briguer ton appui je daigne m'abaisser;
Le trône seul a droit de me voir suppliante.
Je vais...

VOLFAX.

Un ordre exprès s'oppose à votre attente: Du trône dans ce jour tout doit être écarté, Madame; et votre nom n'en est pas excepté.

SCENE VII.

EUGÉNIE, ISMENE.

EUGÉNIE.

D'un tribunal cruel on m'interdit l'entrée!
O mon pere! ô forfait! sa perte est assurée;
Du parricide affreux qu'apprête leur fureur
Mon sang glacé d'effroi me présage l'horreur.

ISMENE.

Ses amis, sa vertu, la voix de la justice...

EUGÉNIE.

Est-il des droits sacrés, si l'on veut qu'il périsse?
Et des amis, dis-tu? Quel nom dans ce séjour!
La sincere amitié n'habite point la cour;

Son fantôme hypocrite y rampe aux pieds d'un maître;
Tout y devient flatteur; tout flatteur cache un traître.
Eût-il gagné les cœurs par ses bienfaits nombreux,
Ose-t-on être encor l'ami d'un malheureux?
De la cour un instant change toute la face;
Tout vole à la faveur, tout quitte la disgrace:
Ceux même qu'il servit ne le défendront pas;
Le jour d'un nouveau regne est le jour des ingrats.
Mais quel affreux silence! et quelle solitude!
Chaque moment ajoute à mon inquiétude.
Instruite de ma crainte, Aglaé ne vient pas;
Allons la retrouver: elle me fuit; hélas!

Je ne le vois que trop, sa tendresse sans doute
Craint de me confirmer le coup que je redoute.

SCENE VIII.

ARONDEL, EUGENIE, ISMENE.

ARONDEL.

Dans ce séjour coupable où tout change aujourd'hui, Où les cœurs vertueux ont perdu leur appui,

Si

par

des sentiments au-dessus du vulgaire

Jusque dans ses malheurs la vertu vous est chere, Qu'en ces funestes lieux par vous je sois guidé; Parlez; daignez m'apprendre où Vorcestre est gardé.

EUGÉNIE.

Généreux étranger, mortel que je révere,

Qui vous rend si sensible au malheur de mon pere?

ARONDEL.

Vous sa fille? ô bonheur!...

EUGÉNIE.

Quelle tendre pitié,

Quel héroïque effort vous conduit?

ARONDE L.

L'amitié.

D'un cœur solide et vrai vantez moins la constance, Le devoir n'a point droit à la reconnoissance;

Le trône est entouré d'un peuple adulateur,

Et l'ami d'un heureux n'est souvent qu'un flatteur.

J'étois de sa vertu l'adorateur fidele;

Elle reste à son cœur, je lui reste avec elle.
Je serois ignoré dans ce séjour nouveau;
Car quoique cette cour ait été mon berceau,
Mes traits changés aux lieux où j'ai caché ma vie
Me rendent étranger au sein de ma patrie:
Mais puisqu'encor propice en ce jour de courroux
Le ciel daigne m'entendre et m'adresser à vous,
Madame, à vos regards je parois sans mystere;
Vous voyez Arondel, l'ami de votre pere.
Tandis qu'on ne l'a vu que puissant et qu'heureux,
J'ai fui de la faveur le séjour fastueux,
Et je n'ai point grossi cette foule importune
Qui venoit à ses pieds adorer la fortune:
Mais lorsque tout s'éloigne, et qu'il est oublié,
Je reviens, et voici le jour de l'amitié.

EUGÉNIE.

O présage imprévu d'un destin plus prospere! Puisqu'il vous rend à nous, le ciel est pour mon pere.

ARONDEL.

Quand, pour lui revenu, j'apportois des secrets
Dus aux soins d'un état heureux par ses bienfaits,
Quoi! je le vois trahi dans ces mêmes contrées
Où je comptois revoir ses vertus adorées!
Quels lâches imposteurs ont causé ses revers?
Tout abandonne-t-il Vorcestre dans les fers?
N'est-il plus à la cour une ame assez hardie
Pour oser s'élever contre la calomnie?

O toi qui dans des temps dont je garde les mœurs
Inspirois nos aïeux, et faisois les grands cœurs,
Vérité généreuse, es-tu donc ignorée,

Et du séjour des rois à jamais retirée?

Nourri loin du mensonge et de l'esprit des cours,
J'ignore de tout art les obliques détours;
Mais, libre également d'espérance et de crainte,
J'agirai sans foiblesse et parlerai sans feinte:
On expose toujours avec autorité

La cause de l'honneur et de la vérité.

Commandez, j'obéis; nul péril ne m'étonne:

Qui ne craint point la mort ne craint point qui la donne.

EUGÉNIE.

Que puis-je décider? vous-même guidez-moi;
Je ne sais que gémir en ces moments d'effroi.
Volfax garde mon pere, il en veut à sa vie;
J'ai vu dans ses discours la bassesse et l'envie.
Ah! si dans cet instant des juges ennemis
Décidoient qu'en secret... Ah! mylord, j'en frémis.
Allons, servez de guide à mon ame égarée:
Du lieu qui le renferme environnons l'entrée;
Et si des assassins lui vont percer le flanc,
Ils n'iront jusqu'à lui que couverts de mon sang.

ARONDEL.

Non; il faut plus ici qu'une douleur stérile.
Forcez des courtisans la cohorte servile;
Confondez l'imposture, éclairez l'équité,
Et jusqu'au trône enfin portez la vérité.

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