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SCENE VII.

VORCESTRE.

Quel sinistre pouvoir, malheureuse Angleterre,
Eternise en ton sein la révolte et la guerre!
Incertain, alarmé dans cet état cruel,

Que n'ai-je tes conseils, ô mon cher Arondel!
Quel désert te renferme, ô sage incorruptible?
Faut-il que la vertu, la sagesse inflexible,
Qui t'éloigne des soins, des chaînes de la cour,
Me laissent si long-temps ignorer ton séjour!
Ciel! je me reste seul: mais ton secours propice
Vient toujours seconder qui défend la justice.
Allons sur un héros faire un dernier effort:

S'il n'est plus qu'un tyran,

allons chercher la mort.

FIN DU PREMIER ACTE.

1

ACTE SECOND.

SCENE PREMIERE.

EUGÉNIE, ISMENE.

ISMENE.

QUE craignez-vous? pourquoi regrettez-vous,

madame,

De m'avoir dévoilé le secret de votre ame?
Ce penchant vertueux, ce sentiment vainqueur
Pour le plus grand des rois honore votre cœur:
La vertu n'exclut point une ardeur légitime;
Quel cœur est innocent, si l'amour est un crime?

EUGENIE.

Cruelle! par quel art viens-tu de m'arracher
Un secret qu'à jamais je prétendois cacher?
D'un cœur désespéré respectant la foiblesse,
Ah! tu devois l'aider à taire sa tendresse.
Mais, à ce nom trop cher que tu m'as rappelé,
Puisqu'enfin malgré moi mes larmes ont parlé,
Remplis du moins l'espoir, l'espoir seul qui me reste,
Jamais ne m'entretiens de ce secret funeste;

Que moi-même à tes yeux je doute désormais
Si tu le sais encor, si tu le sus jamais.

ISMENE.

On soulage son cœur en confiant sa peine;
Pourquoi m'avoir caché...?

LUGÉNIE.

Moi-même, chere Ismene,

Victime du devoir, de l'amour, du malheur,
Osois-je me connoître et lire dans mon cœur?
De lui-même jamais ce cœur fut-il le maître?
Jointe à Salisbury sans presque le connoître,
L'amour n'éclaira point un hymen malheureux,
Dont le sort sans mon choix avoit formé les nœuds.
J'estimai d'un époux la tendre complaisance;
Mais il n'obtint de moi que la reconnoissance;
Et, malgré mes efforts, mon cœur indépendant
Réservoit pour un autre un plus doux sentiment.
De la cour à jamais que ne fus-je exilée!
Par mon nouveau destin en ces lieux appelée,
Je vis... Fiere vertu, pardonne ce soupir;
J'en adore à la fois et crains le souvenir.
Dans ce jeune héros je sentis plus qu'un maître :
Mon ame à son aspect reçut un nouvel être;
Je crus que jusqu'alors ne l'ayant point connu,
Ne l'ayant point aimé, je n'avois point vécu.
Que te dirai-je enfin ? heureuse et désolée,
Maîtresse à peine encor de mon ame accablée,
Trouvant le désespoir dans mes plus doux transports,

Au sein de la vertu j'éprouvois des remords.
C'en est fait; libre enfin je dois fuir et me craindre.
J'ai su cacher ma honte et j'ai pu me contraindre
Tandis que le devoir défendoit ma vertu;

Mais aujourd'hui mon cœur est trop mal défendu.
Te dirai-je encor plus? on croit tout quand on aime.
Oui, depuis le moment que je suis à moi-même,
Cet amour malheureux, et nourri de mes pleurs,
Ose écouter l'espoir et chérir ses erreurs;
Quand je vois ce héros, interdite, éperdue,
Je crois voir ses regards s'attendrir à ma vue;
Je crois... Mais où m'emporte un aveugle transport?
Le ciel n'a fait pour moi qu'un désert et la mort.
Ne puis-je cependant entretenir mon pere?
Pourquoi m'arrête-t-il où tout me désespere?

ISMENE.

Vous l'allez voir ici. Mais pourquoi fuir la cour,
Et rejetter l'espoir qui s'offre à votre amour?
Le trône à vos attraits...

EUGÉNIE.

Que dis-tu, malheureuse!
Quel fantôme brillant, quelle image flatteuse
A mes sens égarés as-tu fait entrevoir?
Garde-toi de nourrir un dangereux espoir:

Tu me rendrois heureuse en flattant ma tendresse;
Mais je crains un bonheur qui coûte une foiblesse.
Allons; c'est trop tarder, abandonnons des lieux
Où j'ose à peine encor lever mes tristes yeux.
Je ne veux point aimer; je fuis ce que j'adore.

J'implore le trépas, et je soupire encore!

La mort seule éteindra mon déplorable amour:
Mais du moins, en fuyant ce dangereux séjour,
Cruelle à mes desirs, à mes devoirs fidele,
J'aurai fait ce que peut une foible mortelle :
Si le reste est un crime, il est celui des cieux,

Et j'aurai la douceur d'être juste à mes yeux.
Tu n'auras pas long-temps à souffrir de ma peine;
La mort est dans mon cœur: suis-moi, ma chere Ismene,
Ton zele en a voulu partager le fardeau,

Ne m'abandonne pas sur le bord du tombeau.
Fuyons. Là, pour briser le trait qui m'a blessée,
Pour bannir ce héros de ma triste pensée,
Souvent tu me diras qu'il n'est pas fait pour moi.
Cache un mortel charmant, ne me montre qu'un roi.
Dis-moi que les attraits de quelque amante heureuse
Ont sans doute enchaîné cette ame généreuse;
Dis-moi que, nés tous deux sous des astres divers,
Il ignore et ma peine et mes vœux les plus chers,
Et qu'il n'existe plus que pour celle qu'il aime.
Je t'aide, tu le vois, à me tromper moi-même:
Peut-être à tes discours oubliant mes regrets...
Je m'abuse... Ah! plutôt ne le nomme jamais.
Pour quels crimes, ô ciel! par quel affreux caprice
Le charme de ma vie en est-il le supplice?
Par la gloire inspiré, par l'honneur combattu,
Mon amour étoit fait pour être une vertu.
On vient; éloigne-toi.

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