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SCENE VI.

CLÉON.

L'affaire est en bon train, et tout ira fort bien
Après que j'aurai fait la leçon à Valere

Sur toute la maison, et sur l'art d'y déplaire:
Avec son ton, ses airs, et sa frivolité,

Il n'est pas mal en fonds pour être détesté;
Une vieille franchise à ses talents s'oppose;
Sans cela l'on pourroit en faire quelque chose.

SCENE VII.

VALERE, en habit de campagne; CLÉON.

VALERE, embrassant Cléon.

Eh! bon jour, cher Cléon! je suis comblé, ravi
De retrouver enfin mon plus fidele ami.

Je suis au désespoir des soins dont vous accable
Ce mariage affreux : vous êtes adorable!

Comment reconnoîtrai-je...?

CLÉON.

Ah! point de compliments;

Quand on peut être utile, et qu'on aime les gens,
On est payé d'avance... Eh bien! quelles nouvelles
A Paris?

VALERE.

Oh! cent mille, et toutes des plus belles:
Paris est ravissant, et je crois que jamais
Les plaisirs n'ont été si nombreux, si parfaits,
Les talents plus féconds, les esprits plus aimables:
Le goût fait chaque jour des progrès incroyables;
Chaque jour le génie et la diversité

Viennent nous enrichir de quelque nouveauté..

CLÉON.

Tout vous paroît charmant, c'est le sort de votre âge;
Quelqu'un pourtant m'écrit ( et j'en crois son suffrage)
Que de tout ce qu'on voit on est fort ennuyé;
Que les arts, les plaisirs, les esprits font pitié;
Qu'il ne nous reste plus que des superficies,
Des pointes, du jargon, de tristes facéties;
Et qu'à force d'esprit et de petits talents,
Dans peu nous pourrions bien n'avoir plus le bon sens.
Comment, vous qui voyez si bien les ridicules,
Ne m'en dites-vous rien? tenez-vous aux scrupules,
Toujours bon, toujours dupe.

VALERE.

Oh! non, en vérité; Mais c'est que je vois tout assez du bon côté: Tout est colifichet, pompon et parodie; Le monde, comme il est, me plaît à la folie. Les belles tous les jours vous trompent, on leur rend; On se prend, on se quitte, assez publiquement; Les maris savent vivre, et sur rien ne contestent;

Les hommes s'aiment tous; les femmes se détestent Mieux que jamais: enfin c'est un monde charmant; Et Paris s'embellit délicieusement.

CLÉON.

Et Cidalise?...

VALERE.

Mais...

CLÉON.

C'est une affaire faite?

Sans doute vous l'avez?... Quoi! la chose est secrete?

VALERE.

Mais cela fût-il vrai, le dirois-je?

CLÉON.

Par-tout;

Et ne point l'annoncer c'est mal servir son goût.

VALERE.

Je m'en détacherois si je la croyois telle.
J'ai, je vous l'avouerai, beaucoup de goût pour
Et pour l'aimer toujours, si je m'en fais aimer,
J'observe ce qui peut me la faire estimer.

elle;

CLÉON, avec un grand éclat de rire.
Feu Céladon, je crois, vous a légué son ame:
Il faudroit des six mois pour aimer une femme,
Selon vous; on perdroit son temps, la nouveauté,
Et le plaisir de faire une infidélité.

Laissez la bergerie, et sans trop de franchise,
Soyez de votre siecle, ainsi que Cidalise;
Ayez-la, c'est d'abord ce que vous lui devez;

Et vous l'estimerez après si vous pouvez:
Au reste affichez tout. Quelle erreur est la vôtre!
Ce n'est qu'en se vantant de l'une qu'on a l'autre,
Et l'honneur d'enlever l'amant qu'une autre a pris
A nos gens du bel air met souvent tout leur prix.

VALERE.

Je vous en crois assez... Eh bien! mon mariage?
Concevez-vous ma mere, et tout ce radotage?

CLÉON.

N'en appréhendez rien. Mais, soit dit entre nous,
Je me reproche un peu ce que je fais pour vous;
Car enfin, si, voulant prouver que je vous aime,
J'aide à vous nuire, et si vous vous trompez vous-même
En fuyant un parti peut-être avantageux?

VALERE.

Eh! non vous me sauvez un ridicule affreux.
Que diroit-on de moi, si j'allois, à mon âge,
D'un ennuyeux mari jouer le personnage?
Ou j'aurois une prude au ton triste, excédant,
Une bégueule enfin qui seroit mon pédant;
Ou, si pour mon malheur ma femme étoit jolie,
Je serois le martyr de sa coquetterie.
Fuir Paris, ce seroit m'égorger de ma main.
Quand je puis m'avancer et faire mon chemin,
Irois-je, accompagné d'une femme importune,
Me rouiller dans ma terre et borner ma fortune?
Ma foi, se marier, à moins qu'on ne soit vieux,
Fi! cela me paroît ignoble, crapuleux.

Vous pensez juste.

CLÉON.

VALERE.

A vous en est toute la gloire:
D'après vos sentiments je prévois mon histoire
Si j'allois m'enchaîner; et je ne vous vois pas
Le plus petit scrupule à m'ôter d'embarras.

CLÉON.

Mais malheureusement on dit que votre mere
Par de mauvais conseils s'obstine à cette affaire:
Elle a chez elle un homme, ami de ces gens-ci,
Qui, dit-on, avec elle est assez bien aussi;
Un Ariste, un esprit d'assez grossiere étoffe ;
C'est une espece d'ours qui se croit philosophe :
Le connoissez-vous?

VALERE.

Non, je ne l'ai jamais vu; Chez moi depuis six ans je ne suis pas venu; Ma mere m'a mandé que c'est un homme sage, Fixé depuis long-temps dans notre voisinage; Que c'étoit son ami, son conseil aujourd'hui, Et qu'elle prétendoit me lier avec lui.

CLÉON.

Je ne vous dirai pas tout ce qu'on en raconte;
Il vous suffit qu'elle est aveugle sur son compte:
Mais moi, qui vois pour vous les choses de sang-froid,
Au fond je ne puis croire Ariste un homme droit:
Géronte est son ami, cela depuis l'enfance,

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