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fossé complétait les moyens défensifs de la forteresse, entourait le bâtiment de toutes parts et l'isolait des jardins.

La grosse tour était affectée au trésor et à l'arsenal de l'ordre, et trois des quatre tourelles des angles servaient de prison aux chevaliers qui avaient enfreint la discipline monastique ou militaire; la quatrième contenait l'escalier. Cette maison devint la principale de l'ordre. L'église, d'une architecture assez grossière, avait été élevée, dit-on, sur le modèle de celle de SaintJean, à Jérusalem. C'est dans cette église qu'avait lieu la réception des Templiers, et qu'eut lieu plus tard celle des chevaliers de Malte. Malgré les édifices et les cultures dont l'enceinte du Temple était chargée, l'esplanade était assez vaste pour permettre à quatre cents hommes, armés de leurs arbalètes et de leurs hallebardes, d'y manoeuvrer librement.

En récompense des travaux gigantesques qu'ils avaient exécutés et des nouveaux moyens de défense qu'ils venaient d'apporter à la grande ville, le roi Philippe III accorda aux Templiers de Paris le privilége de droits juridiques tout à fait indépendants et fort étendus. Leur échelle de justice s'élevait sur l'emplacement qui touche aujourd'hui à la rue du Temple et à la rue des Vieilles-Haudriettes; c'était la marque de la juridiction de la commanderie du Temple. La charte royale datée du mois d'août 1279 leur octroie le droit de moyenne et basse justice depuis la porte Barbette, se réservant la haute justice jusqu'à la porte du Temple, et au regard des lieux qui sont hors la ville, leur donne haute, moyenne et basse justice, depuis la même porte Barbette, tirant au chemin de la Courtille vers la porte du Temple, avec pouvoir de faire porter à leurs gens des armes et les autres attributions nécessaires pour faire exécuter la justice.

En 1792, l'enclos du Temple était loin d'avoir conservé l'étendue qu'il avait à l'époque où il était livré à la culture: la ville de Paris, en s'avançant vers le nord-est, en avait de siècle en siècle rétréci l'enceinte et avait fini par l'environner de tous côtés; mais il formait encore une sorte de petite ville à part;

aussi lui donnait-on quelquefois le nom de Ville-Neuve du Temple, et ses portes se fermaient tous les soirs. Ses rues étroites étaient encombrées d'une nombreuse population, composée en général d'ouvriers et de familles de débiteurs, qui, resserrés sur ce point, faisaient du Temple un quartier mal aéré et triste à la vue. Cependant, depuis que la plus grande partie de l'enclos avait été vendue (en 1779), la nouvelle administration avait entrepris l'assainissement de ce quartier. Quelques chétives baraques détruites, quelques murs inutiles abattus, avaient donné passage à l'air et au soleil. La Rotonde, grande maison ovale, avait été élevée en 1781, et déjà le terrain placé entre elle et la rue du Temple se déblayait peu à peu, pour faire place à la halle au vieux linge que l'on y voit aujourd'hui : étranges magasins, bâtis (en 1809) en lignes parallèles; maisons de friperie, où le pauvre vient s'habiller comme au temps de l'âge d'or, où chaque lambeau de la plus opulente garderobe passe aux épaules du plus mince propriétaire; étonnant bazar, servant de boudoir pour la toilette de la misère.

L'enclos du Temple proprement dit n'avait plus guère, à cette époque, que cent toises environ sur sa plus grande longueur, et autant à peu près sur sa plus grande largeur; le reste était couché sous les pavés et sous les maisons de la grande ville, avec ses baraques, ses jardins et son cimetière. Il y a peu d'années qu'en creusant un nouvel égout dans la rue des Enfants rouges, on a trouvé un cercueil qui renfermait le corps d'un homme revêtu de l'ancienne robe des Templiers. La riche agrafe qui ornait le manteau de ce chevalier fit supposer que l'on venait de découvrir les restes d'un commandeur de l'ordre du Temple.

Dans un des angles de cette enceinte se trouvait le château du Temple, autrement appelé le Palais du Grand Prieur, dénomination ambitieuse appliquée à un hôtel peu élevé et peu étendu qui, bien que placé entre une cour et un jardin, n'avait rien de princier ni de seigneurial. Il a été démoli en 1853.

Au-dessus des bâtiments informes qui lui étaient contigus,

on distinguait une tour très-élevée, de forme carrée, et flanquée de tourelles. C'est cette tour que la commune de Paris destinait à être la prison de Louis XVI et de sa famille pour la première fois le peuple regretta d'avoir démoli la Bastille.

On a vu que Louis XVI arriva au Temple à sept heures du soir. Le Roi se persuada que le palais du Temple serait désormais sa demeure : il en visita les appartements, et se plut à en faire d'avance la distribution dans sa pensée. Tandis qu'il s'abandonnait à cette dernière illusion, Santerre faisait garnir de factionnaires les cours, les portes, les dépendances du Temple; et les personnes du service préparaient, d'après l'ordre des officiers municipaux, le coucher de la famille royale dans la petite tour. Ce n'est qu'après le souper, qui eut lieu à dix heures, que Manuel prévint le Roi de ces dernières dispositions, et offrit de le conduire, lui et sa famille, dans les appartements qui leur étaient provisoirement destinés, jusqu'à ce que la grande tour fût prête pour les recevoir. « En attendant, lui dit-il, vous pourrez habiter le palais pendant le jour et vous y réunir en famille. » Louis ne répondit rien: avec une dignité calme et en apparence indifférente, il répéta à la Reine ce qu'il venait d'entendre; et, à la lueur des lanternes que portaient les municipaux, les prisonniers furent conduits à la petite tour, dans le logement précédemment occupé par le gardé des archives de l'ordre de Malte, M. Berthélemy, logement que nous allons faire connaître, et par une description détaillée et par un plan explicatif.

La petite tour était adossée à la grande, sans communication intérieure, et elle formait un carré long, flanqué de deux tourelles. Précédée de quatre marches extérieures, la porte d'entrée, étroite et basse, s'ouvrait sur un palier auquel, à une certaine distance, attenait l'escalier taillé en coquille de limaçon. Cette porte, jugée trop frêle, fut, dès le lendemain, raffermie par de fortes traverses et garnie d'une grosse serrure apportée des prisons du Châtelet. A gauche en entrant était la loge de deux cerbères à face humaine, chargés par la Commune

de la garde et du service de la porte; l'un se nommait Risbey, l'autre Rocher.

Il n'y avait au rez-de-chaussée qu'une grande pièce qui servait d'entrepôt aux archives, et une cuisine dont on ne fit aucun usage. Le corps de bâtiment avait quatre étages.

Le premier se composait d'une antichambre et d'une salle à manger qui communiquait à un cabinet pris dans la tourelle, où se trouvait une bibliothèque de douze à quinze cents volumes. Cette salle servit de chambre à coucher aux dames Thibaud, Basire et Navarre, pendant le peu de jours qu'elles restèrent au Temple.

L'escalier s'élevait en tournant. Large à son point de départ jusqu'au premier étage, il se rétrécissait en montant au second.

Voici quelle était la distribution du second étage : on entrait dans une antichambre fort obscure, où couchait la princesse de Lamballe. A gauche, la Reine occupait avec sa fille une chambre dont la fenêtre donnait sur le jardin : c'était ordinairement dans cette chambre, moins triste que les autres, que la famille royale passait presque toute la journée. A droite, le Prince royal, madame de Tourzel et la dame Saint-Brice, couchaient dans la même chambre. Il fallait traverser cette pièce pour entrer dans le cabinet de la tourelle, qui servait de garderobe à tout ce corps de bâtiment, et qui était commun à la famille royale, aux municipaux et aux soldats.

La mesure décrétée par l'Assemblée nationale, sur la proposition de la Commune, pour affecter le Temple au séjour de Louis XVI et de sa famille, avait été si inopinée, que rien n'était préparé pour les recevoir. Plusieurs pièces étaient presque entièrement sans meubles, particulièrement celle qui était destinée au Roi, ainsi que le rapporte M. Hue. Ce ne fut que dans les jours suivants qu'on distribua plus également le mobilier de M. Berthélemy; nous pouvons, d'après une note écrite de sa main1, donner un aperçu exact de l'ameublement mis à la disposition de la famille royale.

1 Archives de l'Empire.

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