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guère probable qu'il se décidât à passer la Moselle, ayant les Français en face et derrière lui, sans savoir comment il se tirerait d'un pas si difficile.

Nous avouerons cependant que, pour assurer la réussite de cette manoeuvre, il eût été indispensable que l'armée du centre talonnât vivement les Prussiens dans leur retraite, et c'est ce qu'elle ne fit pas. On a vu dans le chapitre précédent, qu'au lieu de descendre le Rhin, Kellermann prit des cantonnemens entre Sarre et Moselle. De son côté, Custine, à peine maître de Mayence, se sentit attiré par l'appât du butin vers Francfort, où sa présence suscita de nouveaux ennemis à la France, sans aucun avantage réel.

Cette ville libre, toute commerçante, n'avait donné aucun sujet de mécontentement aux Français: elle applaudissait même aux principes qui avaient déterminé la révolution, et devait se croire à l'abri d'une incursion. En effet, si la guerre doit nourrir la guerre, c'est aux dépens de l'ennemi et non des neutres. L'incursion de Custine, pardonnable s'il eût été en mesure de se soutenir sur le Mein, était, dans les circonstances où il se trouvait, aussi contraire à la politique qu'aux règles de l'art.

siens repas

Toutefois, ses promenades en Wétéravie répan- Les Prasdirent la terreur en Allemagne : l'armée prus- sent le Rhin

volant.

sur un pont sienne n'en fut pas exempte; et la peur grossissant les objets, le duc de Brunswick en conçut des craintes exagérées. Massenbach assure qu'il fit partir son argenterie en poste pour ses états: et, si ce n'est pas une calomnie, on peut dire qu'il n'était plus, au retour de la Champagne, ce qu'il fut en 1758, quand il passa le Weser et le Rhin (1).

Quoi qu'il en soit, il n'était pas possible que l'armée alliée restât inactive à Luxembourg, quand Mayence se trouvait entre les mains des Français, et Clairfayt déjà rappelé en Belgique. On décida que le prince de Hohenlohe-Kirchberg couvrirait la première de ces places, et que les Prussiens se hâteraient de repasser le Rhin à Coblentz, pour expulser l'ennemi de la rive droite, et reprendre Mayence, aussitôt après avoir reçu des renforts de l'intérieur de la monarchie.

Les Hessois, traînés sur des chariots, prirent les devans, afin de sauver Ehrenbreitstein, s'il en était encore temps le reste de l'armée les suivit, le 25 octobre, et se porta en sept marches à Coblentz, où le passage ne s'effectuant que sur un pont volant, dura douze jours entiers. Le corps des Princes, qui avait été cantonné entre

(1) Voyez Traité des Grandes Opérations Militaires, chap. IX.

Liége et Huy, fut licencié, faute de moyens pour l'entretenir. Une partie des gentilshommes qui le composaient, renforça l'armée de Condé qui passa à la solde de l'Empereur: d'autres formèrent ensuite des corps soudoyés par la Hollande et le cabinet de Londres. Ainsi fut dissoute l'armée qui devait replacer Louis XVI sur le trône de France, et s'évanouirent avec elle les brillantes espérances de la coalition, les projets de vengeance des princes et des nobles émigrés.

Bien des militaires ont blamé cet empressement des coalisés à se disperser dès leur arrivée sous Luxembourg pour apprécier justement ce reproche, il faudrait connaître au juste leurs pertes dans l'expédition de Champagne, ainsi que l'état physique et moral dans lequel ils en sortirent. En évaluant ce qui leur fut enlevé par les maladies à 15 mille hommes, on trouverait que, soustraction faite de la garnison de Luxembourg et du corps de Clairfayt parti pour la Belgique, les forces combinées formaient encore 50 mille combattans. Si, au lieu de courir sur la Lahn, cette masse eût été dirigée sur Bingen, on ne saurait douter qu'elle n'eût placé Custine dans le plus grand embarras, et qu'elle ne l'eût forcé d'évacuer l'Allemagne, pour faire face dans le Hundsruck. L'inactivité de Kellermann autorise à croire que l'opération eût réussi, et siles alliés

ne la tentèrent pas, c'est qu'ils le supposèrent plus fort et plus entreprenant.

Le duc de Brunswick avait à peine repassé le Rhin, que la mésintelligence éclata entre les généraux français tous se rejetaient la faute d'avoir laissé échapper l'armée prussienne. Custine, pour pallier l'inexécution des ordres du gouvernement, accusa Kellermann de n'avoir pas profité de ses avantages, en marchant par Trèves sur Coblentz, où il eût, disait-il, prévenu l'ennemi : cette assertion, lors même qu'elle eût été fondée, était loin de le disculper de la faute qu'il commit lui même, en ne rabattant point sur cette ville, où la bourgeoisie, excédée de la rapacité des agens de l'Electeur, l'attendait à bras ouverts. Kellermann se justifia en observant, qu'après la convention de Verdun et l'arrivée des Prussiens sous Luxembourg, il n'eût jamais pu les prévenir sur le Rhin: que le pays de Trèves étant coupé, boisé, peu fertile et sans chemins praticables à l'artillerie; l'armée, exténuée de son séjour et de ses opérations dans l'Argonne où elle avait souvent manqué de tout, eût difficilement gagné l'ennemi de vîtesse; et, puisqu'elle ne pouvait rien tenter d'important, il valait mieux lui donner quelque repos. A ces moyens de défense, il ajoutait la crainte de provoquer la désorganisation des troupes, en leur donnant de justes motifs de plainte par des en

treprises au-dessus de leurs forces. Déjà, en effet, les volontaires, qui ne s'étaient levés que pour défendre la capitale, la voyant délivrée, demandaient à retourner dans leurs foyers, sans calculer que leur départ, affaiblissant au dernier point l'armée, livrerait de nouveau le territoire français aux alliés qui ne manqueraient pas de reprendre l'offensive.

La plupart des historiens de cette campagne ont trouvé ces raisons fondées; on peut néanmoins appeler de leur jugement, car tous les militaires conviennent que, si l'armée du centre avait encore 30 mille hommes, comme les états officiels l'annoncent, le devoir de son général était de harceler l'ennemi plus vivement qu'il ne le fit. Sa marche compassée cût compromis Custine à. Coblentz, si ce dernier, cédant aux impulsions du génie et aux sollicitations des habitans fut descendu de Mayence, dans l'intention d'exécuter la part qui lui était assignée dans un projet si simple, et dont la réussite promettait de si beaux résultats.

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La mésintelligence survenue entre les généraux, démontre au reste que le seul moyen de frapper un grand coup avec certitude de succès, était que Dumouriez continuât à poursuivre le duc de Brunswick avec toutes ses forces; tandis que Custine eût cherché à le prévenir à Trèves et Coblentz. Or, pour atteindre ce

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