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obstacle on vit ce faible monarque s'arrêter ou rétrograder, et faute de prendre pour point d'appui la masse de la nation, source de toute force et de toute puissance, il ne sut triompher ni de l'opposition intéressée des parlemens, ni du coupable égoïsme du clergé, ni des prétentions suranées de la noblesse.

Cependant si l'on peut faire quelques reproches. à ce prince, on ne peut méconnaître, jusques dans ses fautes, la magnanimité qui le caractérise: s'il aima son peuple et consentit à lui donner des institutions nouvelles, dut-il paraître étrange que son amour pour le bien et la justice lui ait fait prendre à cœur les intérêts de cette classe nombreuse qui servait la monarchie depuis sa fondation? l'histoire impartiale ne doit pas oublier que Louis XVI, traité par les exagérés de Coblentz comme un Roi jacobin, fut assassiné par les démagogues pour avoir conspiré contre le peuple; ces deux jugemens, portés par les partis extrêmes, seront le témoignage le plus évident de sa modération et de l'envie qu'il eut de concilier les intérêts de toutes les classes de la nation.

C'est donc aux meneurs exagérés de ces deux partis qu'il faut imputer les maux de la révolution. Nous gémissons avec tous les amis de la France et de l'humanité sur les déplorables excès qui ont ensanglanté ce pays. Nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment d'indiguation en

songeant à ces insensés, dont les discours furibonds, partis du haut de la tribune nationale, ont soulevé tant de passions au dedans et tant de résistances au dehors. Qui pourrait se rappeler sans horreur ces jours de deuil et d'épouvante, où les plus fidèles défenseurs des principes, confondus dans la même proscription avec leurs ennemis, se virent livrés ensemble à la hache révolutionnaire? Si les Français portant aujourd'hui leurs regards au dehors de leurs frontières et par-delà l'océan, peuvent éprouver d'amers regrets, ils doivent aussi trouver quelque consolation à voir consacrer ces mêmes principes pour la conquête desquels ils ont fait tant de sacrifices; et quel que soit le parti auquel ils aient appartenu, les hommes de bonne foi conviendront que ces désastres étaient du moins inutiles, puisqu'on aurait pu obtenir, dès le mois d'août 1789, tout ce qui a été consacré par la charte de 1815.

Partant de ces bases, nous pensons que si les Français se fussent contentés du gouvernement des Vergennes, des Turgot et des Necker, sauf la concession de principes généraux; le tiers-état eût reconquis ses droits ; les nobles, abandonnant quelques priviléges, eussent conservé leurs fortunes, de beaux noms et l'influence naturelle qu'ils assurent dans les affaires. Alors la France, délivrée du démon des discordes, eût sauvé ses belles colonies, sa marine et son commerce; elle eût

maintenu ses heureuses alliances avec l'Espagne, ses traités avec la Russie, l'Autriche et l'Amérique; ramené la Hollande à ses intérêts naturels, et délivré l'Inde. Enfin recueillant tout le fruit de la guerre d'Amérique, elle eût rejeté l'Angleterre au rang dont elle n'aurait jamais dû sortir. La gloire des armées françaises a couvert un moment les ruines de la révolution; mais malgré les occasions qu'elle donna à Carnot et à quelques républicains de déployer une grande énergie, à Bonaparte et à Moreau de développer leurs talens, on ne doit point disconvenir que ses suites, sous le rapport de la politique extérieure, seront un sujet éternel de regrets pour l'Europe entière. On paya chèrement la fatale expérience de cette vérité, que les phrases et les formes ne constituent pas les libertés et les franchises d'un empire; car la France, libre sous Louis XVI, fut couverte au nom des droits de l'homme, d'une nuée de tyrans odieux; et même aux plus beaux jours de l'assemblée constituante, on ne fut guères plus libre que sous le ministère de Turgot, puisque le despotisme de parti avait succédé à celui de caste. Enfin à part quelques principes consacrés, tels que l'abolition des priviléges du 4 août 1789, l'égalité d'impôts, le droit pour les Français qui servent bien leur patrie d'arriver aux emplois civils et militaires, tout ce qui arriva pendant la révolution fut abusif, et ne répondit point à l'attente

qu'on s'en était formée. L'assemblée adopta de bonnes lois partielles, mais ses travaux constitutionnels portant l'empreinte d'une démocratie outrée, préparèrent les événemens désastreux qui suivirent. Les prétentions de la noblesse oligarchique, les abus de toute espèce qui s'étaient introduits, pouvaient être des motifs de réforme, mais pour restaurer le royaume, il fallait bien se garder d'y introduire l'anarchie.

Si ce point de vue, fruit d'une cruelle expérience des hommes et des choses, n'est pas du goût de chaque lecteur, nous aimons à nous persuader qu'il aura l'assentiment de ceux qui ont profondément réfléchi sur les institutions des peuples. Peut-être se sera-t-on trompé quelquefois sur l'application de ces principes; s'il en était ainsi, on trouverait ces erreurs pardonnables en songeant combien il est rare, malgré une impartialité absolue, de voir toujours juste sur des événemens contemporains.

Une dernière réflexion achèvera cette profession de foi, elle est relative aux armées françaises si le tribunal impassible de la postérité a déjà voué à l'opprobre les barbares qui noyèrent le berceau de la république dans des flots de sang, s'il est même difficile qu'il s'arme d'indulgence pour les excès de quelques hommes distingués d'ailleurs par leurs talens; il approuvera d'autant mieux le tribut d'éloges que nous nous som

LIVRE I, CHAP. II.

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pour sauver

mes fait un devoir de payer aux braves qui, sans
s'arrêter à la forme de gouvernement sous la-
quelle gémissait leur pays, se sont dévoués noble-
ment à sa défense; à ceux qui ont eu le courage
de servir les comités et la convention
l'honneur et l'indépendance nationale. Quoique
l'auteur de ces lignes ne soit point français, il ne
se rappellera jamais sans émotion le généreux
enthousiasme dont les soldats de cette époque
furent animés à la voix de la patrie; ce sentiment
commande le respect de tous les siècles.

Afin de remplir aussi bien que possible le cadre étroit de cet aperçu, on ne recherchera point les causes de la révolution au-delà du 18° siècle, il suffira d'indiquer celles qui agirent immédiatement sur son explosion.

France.

Le cardinal de Richelieu avait porté le dernier Etat de la coup à l'anarchie féodale; Louis XIV poussant les choses plus loin, renversa les assemblées nationales, et concentra dans la royauté, tout ce que le prestige de la magnificence, l'amour de la gloire et la force de l'autorité, pouvaient avoir d'empire sur les Français. Sous ses successeurs, la dignité royale fut d'abord décréditée, puis sourdement minée par l'opposition permanente des grandes magistratures. L'antique constitution de la monarchie n'existait plus; on ne trouvait à sa place que des ordonnances tombées en désué

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