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étrangères. Les troupes russes appelées par un parti étaient restées dans le pays, et dominaient à Varsovie. Enfin le roi Stanislas laissait à l'ambassadeur russe le soin de gouverner son royaume.

Je ne pourrais, sans passer les bornes que je me suis imposées, retracer les vices d'organisation intérieure qui ont causé si long-temps les malheurs de la nation polonaise, en divisant et paralysant les efforts qu'elle a souvent faits pour reprendre le rang qu'elle occupait parmi les nations du premier ordre dans le 15° siècle. Tout le monde sait que le système de la féodalité la plus servile pesait alors sur ces peuples. Le sort, les propriétés, l'honneur de la Pologne étaient remis entre les mains de vingt familles dominantes, et de quelques milliers de familles nobles, moins riches, moins puissantes que les premières, mais qui se craignaient entre elles, et appelaient liberté le droit de n'être gouvernées par personne, ou de l'être selon les caprices et les intérêts particuliers de chaque

coterie.

Les malheurs prolongés de leur patrie, l'anarchie qui la désolait et l'affaiblissait, firent sentir un peu tard à tous les Polonais éclairés, que le système d'une monarchie élective, qui flatte l'amour-propre des hommes, est peu d'accord avec leurs passions, bien moins encore avec leurs intérêts. La position de ce pays entouré d'ennemis

redoutables par leur puissance (1), et dont quel ques-uns l'étaient plus encore par leur politique et leur adresse à profiter de l'inertie du gouvernement, suffisait seule pour assurer sa perte sous un ordre de chose pareil.

Le premier partage, et le danger d'être entièrement subjuguée, éclairèrent tous les partis, et les décidèrent à réformer ces abus qui, malgré leur dévouement et leurs efforts, les menaçaient d'une ruine certaine. Les choses en étaient cependant à un tel point que cette réforme devenait presqu'impossible, puisque la constitution. qu'il fallait renverser était celle-là même que les puissances envahissantes avaient donnée au pays, et qu'elles s'étaient engagées de maintenir à force ouverte. On ne devait pas trouver moins d'obstacles non plus dans l'influence de la czarine sur l'esprit faible de Stanislas et d'une partie des grands du royaume.

La réforme des lois à Varsovie ne pouvant donc s'opérer qu'avec la sanction du cabinet de Saint-Pétersbourg, il fallait renoncer à toute autre voie qu'à celle des armes; et on ne pouvait se flatter de réussir qu'en profitant d'un moment favorable où les forces de la Russie seraient occupées ailleurs. La guerre qui éclata en 1788,

(1) La Russie, l'Autriche, la Prusse, la Turquie.

entre les Russes, les Autrichiens et la Turquie d'un côté, la Russie et la Suède de l'autre, ne tarda pas à en fournir l'occasion.

Cette guerre, provoquée par une déclaration des Turcs, attribuée par M. de Segur à la politique de l'Angleterre et de la Prusse, paraît, suivant M. Castera, avoir été prévue et désirée par Catherine. Il est difficile de décider entre deux assertions aussi différentes. M. de Segur affirme que l'armée russe n'était ni assemblée ni préparée, et que Potemkin fut pris en défaut. Castera dit, au contraire, que la rupture était si fort prévue et désirée, que les troupes avaient déjà filé en grand nombre dans le Cuban, et que les armées de Catherine couvraient la terre depuis Kaminieck jusqu'à Balta (1).

Quoi qu'il en soit, les hostilités commencèrent sérieusement en 1788. Les armes ottomanes, d'abord malheureuses, se maintinrent néanmoins la division extrême des forces des deux empires alliés.

par

Cette guerre fut sanglante, et les succès souvent balancés l'armée autrichienne, disséminée en

(1) L'entrevue de Catherine et de Joseph II à Cherson fait croire que l'impératrice était préparée à la guerre, et que Castera a raison : il paraît au reste que ce fut la connaissance de ses projets d'invasion qui détermina les alliés des Turcs à les exciter à prendre l'initiative, et à ne pas attendre l'exécution de ses desseins.

des

cordon, d'après le système de Lascy, essuya pertes énormes, partie par le fer des Turcs conduits par le grand-visir Jussuf, partie par les maladies. L'arrivée seule du maréchal Laudon ramena un système de concentration plus conforme aux principes, et Belgrade tomba sous ses coups. Les armées russes, entreprenant également sur plusieurs points à la fois, étaient tantôt victorieuses, tantôt repoussées : mais elles conservaient néanmoins leurs forces plus réunies que celles de leurs alliés, et leurs ennemis ne trouvaient point ainsi l'occasion de les entamer. Cependant, conduites par Potemkin, elles perdirent des années à faire inutilement le siége de quelques places qui n'auraient pu tenir quinze jours si elles avaient été attaquées en règle, et qu'après dix mois de siége on fut encore forcé d'enlever d'assaut avec des pertes énormes.

Ces fautes, cette lenteur, sauvèrent l'empire ottoman d'une ruine qui paraissait inévitable, si les deux armées alliées, profitant de leur supériorité dans les batailles, s'étaient décidées à une guerre d'invasion. Ce système paraissait d'autant plus naturel dans cette circonstance, que, suivant toutes les probabilités, son entier succès dépendait d'une victoire sous les murs de Constantinople. A cet effet, les Russes auraient dû franchir ou tourner le mont Balkan avant la saison du rassemblement des grandes forces turques,

l'armée

et marcher sur Andrinople; tandis que autrichienne aurait pris la même direction en appuyant à gauche par Sophie et par Belgrade, Novi-Pazar ou Widdin..Ce mouvement combiné eût probablement décidé du sort de l'empire ottoman en Europe. Pour assurer d'autant mieux sa réussite, la flotte aurait dû venir en même temps jeter l'ancre dans le golfe de Burgas au revers du Balkan, afin de porter, sur ce point important, la base des approvisionnemens de l'armée, aussitôt qu'elle serait arrivée vers Andrinople. Tel est au moins l'aperçu des points stratégiques indiqués par les règles de l'art. J'ignore si les communications directes, et celles de Nikopoli sur Sophie, sont de nature à permettre ce mouvement, et praticables pour du canon; mais j'ai lieu de le croire, et on aurait toujours pu embarquer gros du matériel pour le faire arriver par Burgas. Au lieu d'adopter un système de guerre vigoureux et rapide, les armées des deux empires commirent des fautes graves, se divisèrent sur un front immense et attaquèrent l'ennemi sur les points les plus favorables à la défense.

le

Toutefois les troupes ottomanes, victorieuses des Autrichiens à Statina, durent céder à l'ascendant des armées russes; Potemkin leur enleva Oczakof après des attaques meurtrières et un assaut plus sanglant encore. Vaincues ensuite par Suwarof à Foczany et à Rimnisk (1789), par Po

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