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mes pour soutenir la liberté des diètes polonaises; et leur armée se préparait déjà à passer le Dniester. Mais le défaut d'art dans l'emploi de ces forces, leur division en vingt corps morcelés, et l'audace heureuse du prince Galitzin, aidée de la rupture des ponts par une crue subite, anéantit les avant-gardes ottomanes, et l'espoir qu'elles avaient déjà donné aux confédérés.

La guerre fut poussée l'année suivante (1770) avec vigueur; une armée aux ordres de Romanzof battit les Turcs à Kagul et s'empara de Bender. Une entreprise, en quelque sorte romanesque, avait été confiée à Alexis Orlof, pour tenter un débarquement en Grèce, où une nation jadis si grande était courbée sous un joug de fer. Toute l'Europe, qui s'intéressait également au sort de cette presqu'île célèbre, attendait avec le même empressement l'issue de cette expédition. La flotte russe passa en effet le détroit de Gibraltar, le débarquement fut effectué, et on s'avança vers Misistra (l'ancienne Sparte). Mais les moyens étaient insuffisans; les libérateurs reprochèrent aux Grecs d'être lents à les seconder, et ceux-ci reprochèrent à Orlof d'avoir manqué de vigueur. Les Turcs furent prompts à se rassembler, reprirent l'offensive, et réduisirent la petite troupe d'Orlof à s'enfermer dans Navarin. Ou s'aperçut, tard, que la patrie des Thémistocle, des

un peu

Léonidas, des Epaminondas n'avait pas même conservé le souvenir de ces grands hommes, et qu'il n'était pas si facile d'attaquer, par une expédition maritime et lointaine, une puissance qui avait une force de résistance hors de toute proportion avec les moyens d'agression. La flotte turque voulut aller au-devant de celle des Russes; mais l'amiral Elphingston la défit complètement, l'attaqua encore dans la baie de Tschesmé, et la brûla. Cette victoire mémorable semblait livrer Constantinople aux vainqueurs : elle fut sans résultat. L'activité du célèbre Hassan Pacha et du baron de Tott répara ce désastre, ou en diminua les effets. Elphingston, subordonné à Orlof et à Spiritof, se plaignit de ce qu'on n'avait pas profité de ses succès.

La flotte russe débuta, dans la campagne de 1771, par un échec, elle fut obligée de lever le siége de Lemnos; malgré cela elle conserva la supériorité dans les parages de l'Archipel. Cette troisième campagne fut signalée par la prise des fameuses lignes de Perekop et par la conquête de la Crimée qui en fut le fruit: ces succès furent dus au prince Dolgoroucky.

Le maréchal de Romanzof, à la tête du corps principal, continuait à battre les Turcs; mais leur armée, semblable à l'hydre de Lerne, paraissait se recréer sous ses coups.

Le grand-visir, après avoir repoussé le général Weisseman de la rive droite du Danube, s'était avancé lui-même sur la gauche et dirigé vers Bukarest, où il remporta quelques avantages; mais ces légers succès ayant été bientôt suivis de deux défaites, il ne put se maintenir, et se retira au pied des monts Balkan. Romanzof de son côté rentra en Moldavie.

Pendant que les armées russes étaient victorieuses sur les rives du Danube, elles avaient comprimé tous les mouvemens des confédérés en Pologne. La France n'avait porté qu'un faible corps de 1500 hommes à leur secours; ce secours commandé par Dumouriez, et ensuite par M. de Viomenil, enfermé dans Cracovie, y soutint un siége opiniâtre, et fut forcé de capituler après une belle défense.

L'empereur Joseph et Frédéric paraissaient rester paisibles observateurs de tous les événemens; mais ils se préparaient à les faire tourner à leur profit. Deux conférences avaient eu lieu entre ces monarques, la première à Neiss, en 1769, la seconde à Neustadt en Moravie. Le but de ces conférences ne peut être jugé jusqu'à présent que par leur résultat. Quelques historiens pensent qu'il y fut résolu de ne pas souffrir que Catherine exécutât paisiblement ses projets. D'autres croient au contraire que le premier démem

brement de la Pologne y fut mis en question.

Le prince Henri de Prusse, frère du roi, avait été envoyé à Pétersbourg vers le même temps: bien des gens pensent que ce fut ce prince qui proposa à l'impératrice le premier partage de la Pologne. Rulhière croit, avec plus de raison, que la czarine jugea, par le ton des négociations de Frédéric et de Joseph, qu'ils voulaient plutôt avoir leur part aux dépouilles que s'y opposer entièrement, et qu'elle leur fit des propositions en conséquence.

Sans rien affirmer sur un point ou l'histoire n'a encore que des conjectures, il est assez probable que l'on séduisit le roi par l'avantage de lier ses provinces de Brandebourg et de Poméranie avec la Vieille-Prusse, en lui cédant cette lisière de la Pologne qu'il était obligé de traverser pour aller de l'un de ses états dans l'autre, et en lui faisant espérer Thorn et Dantzig. Frédéric, qui a décrit tous les événemens de son règne avec un talent supérieur, n'a jamais osé soulever le voile qui couvre encore ce mystère.

Depuis que la France était le jouet de quelques femmes; que ses ministres avaient signé l'étrange alliance avec l'Autriche, en 1758; que ses généraux avaient fait ridiculement la guerre de sept ans; enfin depuis que ses négociateurs avaient signé le traité de 1763: cette puissance, jusque

là si redoutée, qui avait tenu depuis Richelieu la balance de l'Europe, en devint en quelque sorte la risée. Le renvoi du ministre Choiseul avait mis le comble au mal, et le gouvernement français n'était compté pour rien dans les entreprises que l'on méditait. Ainsi le partage de la Pologne fut résolu dès 1771, sans s'inquiéter de l'opposition que la moitié de l'Europe pouvait encore y apporter. Il serait contraire à mon plan d'entrer ici dans le détail des négociations qui amenèrent cet événement, ni de discuter les motifs que les puissances intéressées alléguèrent pour le justifier. J'observerai seulement que Catherine fut assez habile déterminer le roi de Prusse au partage de plusieurs provinces, sans lui accorder néanmoins les places importantes de Thorn et de Dantzig, qui étaient le but constant de l'ambition de ce prince. L'Autriche se fit céder la Lodomerie et la Gallicie orientale, et acquit la por tion la plus considérable en étendue, en richesse et en population.

pour

L'ambassadeur de France à Vienne (Rohan) n'eut même aucun soupçon de cette négociation, et la léthargie du cabinet de Versailles fat complète à une époque si décisive. Un an entier se passa avant que le traité fut exécuté; le gouvernement français ne lui opposa que sa confusion, et Louis XV se contenta de dire. « Ah! si Choi

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