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moteur des troubles de ces deux pays. Il ne nous appartient pas de prononcer sur cette assertion pour ce qui est relatif à la France; mais quant à la Hollande, c'est un fait aujourd'hui reconnu, et le mémoire de Caillard en convaincrait les plus incrédules. Pitt se crut sans doute autorisé à suivre le système que Louis XIV avait adopté dans les dissentions de Jacques et de Guillaume, et dont la France venait de se servir encore envers les Etats-Unis.

Nous sommes loin de croire qu'il ait jamais osé mesurer la profondeur de l'abîme qu'il creusait à la France, et à l'humanité entière. Il a pu désirer les dissentions qui semblaient assurer à son pays une suprématie décidée sur ses rivaux, mais il n'a jamais pu provoquer le meurtre, le brigandage, qui désolèrent la malheureuse France; et s'il en était autrement, son nom mériterait d'être voué à l'exécration de tous les siècles. Laissons d'ailleurs à l'histoire le soin de développer la cause de ces grands événemens, et revenons au simple aperçu des faits.

Depuis que l'Angleterre avait contribué, en 1747, au rétablissement du stathouderat en faveur de la maison de Nassau, la politique de cette maison s'était toujours ralliée à celle du cabinet de Londres. Mais les états-généraux au contraire avaient senti un peu tard tous les dangers d'une trop grande supériorité maritime, et ils tenaient

à l'alliance de la France. Un négociateur habile, M. de Lavauguyon, en avait profité pour conclure le traité de 1785, dans les intérêts réels des deux nations.

La position de Guillaume V était ainsi fausse et pénible, il avait à sacrifier ses intérêts et ses affections à l'intérêt public, alternative déplorable, pour tout chef d'Etat. Son épouse, sœur du roi de Prusse, et dont le caractère altier s'alliait mal à la morgue des capitalistes d'Amsterdam, exerçait sur son esprit un empire absolu; bien différente des princes aimables appelés aujourd'hui à régir les Pays-Bas, elle comptait plus sur la crainte des peuples que sur leur amour.

Malgré le changement survenu dans la constitution, en 1747, jamais assemblée d'une nation n'avait conservé plus de part au gouvernement, que les états de Hollande: mais ce n'était pas assez; dans une république où la richesse était le premier titre de considération, il était difficile qu'on ne jalousât pas l'autorité souveraine; et les dogmes philosophiques répandus à la fin de ce siècle avaient germé depuis trop long-temps en Hollande, pour que les succès des Américains, leur constitution et l'esprit inquiet qui commencait à remuer la France, ne fissent pas une explosion dans les Provinces-Unies.

Des discussions éternelles sur des questions de droit ne pouvaient manquer de donner mille pré

textes d'exciter des troubles. Le crédit que le ministre anglais Harris (Malmesbury) exerçait sur la princesse ne tarda pas à lui en fournir une occasion. Une émeute excitée avait engagé les états à prendre des moyens de répression contre lesquels le stathouder protesta comme attentatoires aux droits du pouvoir exécutif, il s'en plaignit à l'Angleterre et à la Prusse. De part et d'autre on oublia les lois; Guillaume, excité par son épouse, s'arrogeait un pouvoir contesté, et les patriotes voulurent abolir le stathouderat. Les émeutes furent fréquentes et terribles (en 1787). Le ministre anglais était dit-on le meneur de toute cette trame; on peut juger d'où partaient ses premières ramifications. Enfin le stathouder fut déclaré déchu. Sa femme voulant entreprendre un voyage qui avait pour but de préparer une contre-révolution, se vit arrêtée à Velsch-Sluis. Le roi de Prusse s'apprêta à venger par les armes la cause de sa sœur.

Le ministère de Louis XVI s'oublia au point de souffrir la chute d'un parti que son ambassadeur avait pour ainsi dire créé. La France venait de perdre M. de Vergennes, dont l'administration avait été sage; son successeur Montmorin et M. de Brienne, ne possédaient ni le génie ni la fermeté nécessaires dans des circonstances si difficiles. Pour comble de malheur, M. de Lavauguyon, qui avait habilement amené

la Hollande au système d'alliance avec la France, quitta ce pays pour passer à l'ambassade d'Espagne, et se trouva mal remplacé.

Le cabinet de Versailles commit la faute criante de laisser décider du sort de son allié le plus précieux, par une puissance du second rang; il laissa tranquillement faire les Prussiens, au risque de perdre tout crédit chez ses voisins, et de jeter la Hollande entre les bras de ses ennemis. Il n'y avait pas à balancer, la France devait soutenir le parti qui lui était dévoué; elle se borna à de futiles démonstrations. On sait que le duc de Brunswick entra dans les Provinces-Unies, à la tête d'une petite armée prussienne, qui fit non-seulement remettre les choses sur l'ancien pied, mais qui fit même donner au stathouderat, plus de pouvoir qu'il n'en avait jamais eu.

Une alliance de la Prusse, de l'Angleterre et de la Hollande fut le malheureux résultat de cet événement, qui enleva à l'Europe tous les avantages de la paix de 1783, et qui releva les espérances et les prétentions des Anglais.

Le dénouement brusque et imprévu de cette révolution parut d'autant plus étonnant, qu'on avait vu Louis XVI, allié de l'Espagne et de l'Autriche, commencer son règne par une guerre heureuse, et tenir le premier rang parmi les puissances. On ne pouvait guères présumer que quatre ans après, sans motifs, sans combats, il se

laissât humilier par un prince comme FrédéricGuillaume, qu'un historien célèbre appelait le marquis de Brandebourg, avec beaucoup plus de raison qu'on n'avait pu donner ce titre à son prédécesseur.

Dix ans de succès maritimes, militaires, et diplomatiques, furent anéantis par une faute d'un instant; et cette faute doit faire d'autant plus époque dans l'histoire, qu'elle accéléra une révolution dont le ministère de Louis XVI aurait probablement évité l'explosion, en montrant de la dignité, et en détournant, sur d'audacieux ennemis, la tempête qui était prête à éclater dans l'intérieur de la France. L'époque des grandes agitations a toujours été la plus favorable pour diriger les nations vers la guerre, et dans cette occasion ce n'était pas seulement un intérêt, mais un devoir.

Des troubles d'une autre espèce éclatèrent peu après dans le Brabant; l'amour de la patrie en fut le prétexte; les intérêts du clergé en étaient le véritable motif. L'empereur Joseph, animé par un esprit de réforme louable, mais qui brusquait peut-être trop les mesures, porta atteinte aux droits du clergé, dans un pays où il était tout-puissant. La noblesse, également attaquée dans ses prétentions et dans ses intérêts, fit

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