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et ce corps, réuni à Washington, conquit à NewYorck l'indépendance des Etats-Unis.

Le comte de Guichen, à la tête d'une flotte de 23 vaisseaux, livra deux combats au célèbre Rodney, et si aucun parti ne put s'attribuer la victoire, l'amiral français y eut plus de droits que son adversaire. C'était beaucoup d'avoir lutté, à chances égales, contre la réputation de ce marin et contre des escadres toujours victorieuses. Enfin, malgré l'échec essuyé par la marine espagnole au cap Saint-Vincent, et celui du comte de Grasse à la Dominique, qui empêcha la prise de l'importante colonie de la Jamaïque, la supériorité des alliés se maintint en Europe et en Amérique. Esequebo, Demerari, Surinam,. perdues par les Hollandais, furent reprises par une escadre française, aux ordres de Kersaint; Bouillé prit d'assaut l'ile de Saint-Eustache, et peu de temps après le poste plus important de Saint-Christophe.

Suffren ne fut pas moins redoutable aux Anglais dans l'Inde. Victorieux dans cinq combats, et secondé par Hyder-Ali, sultan de Mysore et par son fils Typpoo; ce grand homme aurait assuré l'indépendance de ces contrées, si on ne l'y eût pas envoyé un peu tard, et s'il eût été renforcé par une partie des moyens immenses, accumulés inutilement devant Gibraltar. Une paix prématurée vint, lui arracher les fruits de la victoire

qu'il avait remportée le 20 juin 1783 devant Gondelour, pour secourir cette place dans laquelle ses alliés étaient assiégés.

Cette paix de Versailles, conclue au moment où il aurait fallu prolonger la lutte et la pousser avec le plus de vigueur, consacra néanmoins l'indépendance des Etats-Unis, la restitution de Minorque et de la Floride à l'Espagne, enfin la remise de Tabago à la France.

Si les hostilités avaient duré un an de plus, et si pour leur donner un but convenable, une partie des forces de terre et de mer, employées à jeter sans succès des bombes contre le rocher de Gibraltar, eussent été envoyées à Suffren pour décider l'affranchissement du continent indien; enfin, si Grasse eût été plus habile ou plus heureux dans l'entreprise sur la Jamaïque, pour la réussite de laquelle on avait rassemblé de si grands moyens, la supériorité des mers et le .commerce du monde eussent été acquis au continent, et acquis probablement pour toujours.

Malgré toutes ces fautes, on obtint, par le traité de Versailles, des avantages qui, avec le temps, auraient conduit les puissances de l'Europe à un véritable équilibre politique et maritime. Tout à cette époque semblait présager le triomphe de ce système si nécessaire au bien-être européen, car au même instant où l'Angleterre était menacée, Catherine avait rendu un service

éminent à la cause commune des nations, en dictant l'acte de la neutralité armée de 1780, et en y faisant accéder les puissances du Nord et la Hollande (1). En persévérant dans une marche qui avait produit de si heureux résultats, on aurait pu espérer de mettre, lors de la première guerre, un terme définitif à la prépondérance anglaise; si la révolution de France n'était pas venue renverser toutes les idées des nations, tous les intérêts de leurs chefs, toutes les combinaisons de leurs cabinets. De ce volcan épouvantable, nous avons vu sortir, au milieu des torrens de sang, la domination universelle des Anglais sur les mers, la conquête de tous les points maritimes et militaires qui peuvent assurer cette domination, l'empire de l'Inde, le monopole du monde, et une influence menaçante sur le continent.

L'examen et le développement des causes importantes qui ont amené de tels événemens, 'seraient des sujets dignes d'exercer la plume des plus grands hommes d'état et des historiens les plus habiles. En attendant, on peut mettre au premier rang de ces causes, l'imprudence et les

(1) Cet acte de Catherine a trouvé beaucoup de détracteurs, sans doute il ne suffisait pas à lui seul pour soutenir les grands principes qui y etaient proclamés. Mais on ne peut se dissimuler qu'il offrait de grands avantages, lorsqu'il pouvait être appuyé par toutes les forces de l'Europe réunie, c'est-à-dire, par 200 vaisseaux de ligne.

erreurs de la noblesse française, les crimes des Jacobins, et enfin, l'ambition d'un homme qui, par ses services et ses talens, pouvait tout réparer, et dont l'exagération a tout détruit.

Il semblait que la lutte honorable dont la France venait de sortir avec succès, dût garantir ce pays des commotions intérieures dont il était menacé par la tendance générale de l'esprit public; elle ne fit au contraire qu'en précipiter le développement.

A peine Louis XVI eut-il terminé victorieusement la guerre d'Amérique, que l'embarras de ses finances provoqua la belle, mais malheureuse résolution de convoquer les états-généraux. Cet embarras du trésor, joint à l'agitation intérieure que l'assemblée de ces états fit éclater en France, furent les premiers symptômes de cette révolution terrible; ce fut probablement aussi la cause qui empêcha le cabinet de Versailles de prendre une part active et prépondérante aux affaires de Hollande en 1787.

Cette époque de l'histoire européenne est une des plus remarquables; elle mérite une étude particulière et approfondie. L'homme qui y joue le rôle principal est le célèbre Pitt.

La guerre d'Amérique lui avait donné une grande supériorité comme chef de l'opposition; son éloquence avait eu plus d'une fois occasion de contre-balancer le système des ministres.

North succomba enfin et fit place au fils de Chatam. Le grand homme d'état qui s'était fait l'apôtre des principes libéraux dans toutes les séances des communes, ne tarda pas à juger que ces principes pourraient devenir entre ses mains une arme menaçante pour ses ennemis. Il savait bien qu'une autorité étendue, lorsqu'elle n'est pas tyrannique, et qu'on n'en fait pas un mauvais usage, donne à un état plus de force et de vigueur. Il pensait sans doute que créer un point d'opposition chez les nations rivales de l'Angletérre, c'était enlever à leurs gouvernemens une partie des moyens de développer.la puissance nationale. L'histoire de son pays aurait suffi pour lui prouver cette vérité; et des dissentions civiles dans un état continental entouré de voisins ambitieux et puissans, devaient avoir bien plus d'influence que dans un état isolé et insulaire. Susciter les Hollandais contre la maison d'Orange, et soutenir alors les prétentions de celle-ci, semblait un moyen assuré de se l'attacher irrévocablement en dépit des intérêts de la république. Provoquer, seconder les mêmes agitations en France, c'était obtenir l'alliance du stathouder pour réprimer le développement des principes qui menaçaient la propre existence de sa maison; c'était armer l'Europe contre la puissance qui avait ébranlé l'Angleterre en 1783.

L'opinion générale est que Pitt fut le premier

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