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obéré, une armée découragée, une noblesse récalcitrante; enfin une nation mécontente, et sourdement agitée par les nombreux écrits philosophiques et par les théories qui signalèrent cette période remarquable, et qui, pour avoir été outrées dans leur application, ont eu de si terribles suites (1).

Turgot et Vergennes, ministres du nouveau roi, étaient des hommes habiles; le premier, avec des vues fort estimables, pensait à régénérer l'intérieur et les finances; le second songeait à profiter des occasions qui s'offraient d'abaisser l'Angleterre; il débuta plus heureusement que Turgot dont les projets philanthropiques éprouvaient de fortes oppositions de la part des parlemens.

Dès le commencement du dix-septième siècle, l'Angleterre possédait sur le continent Américain, de vastes provinces situées entre la Floride et le Canada, depuis le 30° degré de latitude jusqu'au 60°. Le sol fertile de ces contrées, leur climat, leur voisinage des riches possessions des Antilles et du Mexique, y avaient attiré de nombreuses émigrations européennes, et la popula

(1) Loin de moi la pensée de blâmer des institutions libérales, lorsqu'elles sont maintenues dans de justes bornes, et modifiées sur les mœurs, les habitudes, les passions des hommes. Ce sont les théories imitées de Rome et d'Athènes dont on a fait un si cruel abus, qui ont entraîné la France et l'Europe entière dans un abîme qu'on a pu croire fermé, mais qui n'est pas encore comblé.

tion, s'élevait déjà, en 1770, à trois millions d'ames dont les deux tiers environ étaient d'origine anglaise. Le nom de Nouvelle-Angleterre qu'on avait donné à ces immenses colonies caractérisait toute leur importance, et si on devait juger de l'accroissement qu'elles prendraient un jour, par la progression rapide de leur premier développement, on aurait pu, avec raison, les considérer comme le berceau d'un nouvel empire britannique.

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Cette nation, répandue dans treize provinces, dont la surface excédait celle des plus grandes puissances européennes (excepté la Russie), vit ses droits attaqués par le régime fiscal des lords Burke et North, et par une législation qui rapportait tout à la métropole, en refusant aux colons les mêmes priviléges et la part au gouvernement dont jouissaient les habitans de la mère trie. Les Américains élevèrent déjà, en 1769, des réclamations qui semblaient justes et auxquelles le ministère anglais opposa la force des baïonnettes; une révolte générale fut le résultat de cet abus de pouvoir, et les hostilités commencèrent dès 1775, entre les Anglais d'Europe et ceux de l'Amérique. L'indépendance fut proclamée le 4 juillet 1776. La guerre commença alors dans toutes les règles, et les succès furent balancés. pendant deux ans entiers.

Le ministère de Louis XVI avait là une trop

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belle occasion de se venger de l'humiliation du traité de Paris, pour ne pas en profiter; on a reproché néanmoins à M. de Vergennes d'avoir inutilement violé le premier principe des gouvernemens monarchiques, en soutenant ouvertement des peuples révoltés. On a dit qu'il suffisait de déclarer la guerre aux Anglais, et de la pousser avec vigueur pour que les Américains s'affranchissent par eux-mêmes du joug britannique; et qu'il devenait inutile de se compromettre en traitant avec eux. Ce raisonnement paraît assez spécieux, mais dans le fait la violation du principe établi n'était que masquée, et l'histoire fournit un trop grand nombre de mesures semblables, pour que la politique de M. de Vergennes soit difficile à justifier.

Le gouvernement français balança pendant quelque temps sur le parti qu'il adopterait, ou plutôt il gagna par des négociations indirectes le temps de faire ses préparatifs. Ces délais lui ont été aussi imputés comme une faute, et il semble en effet que la déclaration de guerre aurait pu se faire dès 1776. Le désastre essuyé par les Anglais aux ordres du général Burgoyne, qui capitula à Sarratoga avec les restes d'une arinée de 10 mille hommes, décida enfin le cabinet de Versailles au traité qui fut signé par les Américains en février 1778, et la guerre fut déclarée à l'Angleterre au mois de mars. Un an après, l'Espague y prit une

part active, et les négociations de M. de Vergennes à ce sujet, quoiqu'elles fussent une suite immédiate du pacte de famille, peuvent être considérées comme une époque honorable de la diplomatie française.

Cette circonstance seule semblait pouvoir rétablir la balance maritime de l'Europe, et si la Hollande, revenue à ses véritables intérêts, fut assez prudente pour en profiter, elle ne fut cependant ni assez habile ni assez ferme pour mettre dans cette balance un poids décisif qui assurât pour jamais l'indépendance des mers.

Les résultats de cette ligue prouvèrent toutes les fautes que les trois nations avaient commises au commencement du siècle. Malgré quelques fausses directions dans l'emploi des forces, la guerre fut glorieuse. Les escadres françaises et espagnoles se réunirent le 25 juin 1779. Cette flotte redoutable, forte de 66 vaisseaux de ligne et d'un nombre proportionné de bâtimens du second ordre, porta la terreur pendant deux mois sur les côtes d'Angleterre, tandis qu'une armée était prête à s'embarquer sur celles de France. Mais au lieu de faire quelque entreprise digne d'un si grand armement, ces flottes errèrent des mois entiers dans le canal de la Manche, sans but déterminé ; elles perdirent ainsi dans cette croisière un grand nombre de malades. Cependant elles dominaient la mer, et l'amiral d'Estaing tenait avec 25 vais

seaux de ligne, la garde assurée des Antilles.

La guerre, commencée sous de si heureux auspices, fut une lutte honorable; mais on n'en tira pas tous les avantages qu'on s'était promis, parce que les opérations ne furent pas toujours bien dirigées on perdit de vue le point décisif, la ruine des flottes et des chantiers ennemis, tandis qu'on occupa des forces immenses à assiéger Minorque et Gibraltar. Si un homme comme Suffren, Lamotte-Piquet ou Duquesne, avait commandé les grands armemens de 1779, c'en eût été fait de la suprématie anglaise.

Néanmoins, le pavillon des alliés se montra avec honneur sur l'Océan et la Méditerranée. D'Estaing conquit Grenade et Saint-Vincent, et seconda les opérations des Américains. La Dominique, le Sénégal, Tabago furent enlevés successivement aux Anglais. Les Espagnols leur prirent Pensacola et toute la Floride occidentale, point de la plus haute importance dans les stations du golfe mexicain, puisqu'il est au centre des communications des Etats-Unis avec le Mexique et autres possessions espagnoles. Minorque fut pris par le duc de Crillon, et, pour le malheur des alliés, Gibraltar fut assiégé sérieusement par terre et par mer : enfin, une escadre française débarqua le général Rochambeau avec un corps d'élite de six mille hommes sur le continent américain,

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