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doivent seconder les siennes. Quand il n'y a pas harmonie entre le génie qui commande, et les talens de ceux qui doivent appliquer ses conceptions, le succès devient douteux, car les combinaisons les plus habiles sont détruites par les fautes d'exécution. Un bon état-major a d'ailleurs l'avantage d'être plus durable que le gé nie d'un seul homme; il peut remédier à bien des maux, et nous osons affirmer qu'il est la meilleure sauve-garde d'une armée. De petits intérêts de cotterie, des vues étroites, un amour-propre déplacé, s'élèveront contre cette assertion, elle n'en restera pas moins une vérité irrécusable pour tout militaire pensant, et tout homme d'état éclairé (1). Un état-major bien institué sera à une armée, ce qu'un minis

cela

(1) Je n'estime pas qu'un état-major soit bien institué par seulement qu'on exigera des études outrées de la part des jeunes aspirans; on peut être profond mathématicien, bon topographe, dessinateur correct, et mauvais guerrier. Un état-major qui remplirait toutes les conditions, serait à mon gré celui qui jouirait d'assez de considérations et de prérogatives pour offrir un avantage à tous les officiers des autres armes, et qu'on composerait par ce moyen des militaires déjà connus par leur aptitude pour la guerre. Les officiers du génie et d'artillerie cesseront d'être les antagonistes d'une telle institution, en réfléchissant que l'état-major leur offrirait alors un plus vaste champ pour se distinguer, et ne serait désormais qu'une réunion d'officiers de ces deux armes, les plus capables de diriger une opération de guerre, et mis à la disposition du général en chef pour l'aider dans ses travaux.

tère habile est à une monarchie; il secondera le chef lors même qu'il serait en état de tout diriger par lui-même; il préviendra des fautes en lui fournissant de bons renseignemens; il les empêchera quand le général sera inhabile au commandement. Et combien de hauts faits anciens et modernes qui ont illustré des hommes médiocres, ne furent-ils pas préparés par leurs alentours? Reynier fut le premier instrument des victoires de Pichegru en 1794; et Dessoles, comme lui, ne resta pas étranger à la gloire de Moreau (1). Le général Toll ne s'est-il pas associé aux succès de Kutusof; Diebitsch à ceux de Barclay et de Witgenstein; Gneisenau et Muffling à ceux de Blucher? combien d'autres noms ne pourrais-je pas encore citer à l'appui de ces assertions!

Enfin une armée brave et bien organisée, sans bon système de recrutement, est une machine incomplète, la France en a senti les tristes effets sous Louis XV, et les alliés pendant les premières guerres de la révolution. C'est par un tel système qu'on obtient les moyens de réparer ses pertes, sans attendre les ressources tardives d'un

(1) Je ne prétends point placer Moreau au rang des généraux médiocres, j'affirme seulement qu'il fut assez bien secondé par ses shefs d'état-major, pour leur devoir une partie de sa gloire.

Etat de l'armée française.

enrôlement; c'est lui seul qui constitue une ar mée nationale, qui met un état en mesure de proportionner ses efforts aux dangers, et procure une excellente espèce de soldats.

Pour se faire une idée plus précise des événemens que nous allons retracer, il importe donc de jeter un instant ses regards sur l'état intérieur des différentes troupes européennes au moment où la guerre éclata, et nous commencerons par l'armée française, qui fut appelée à y jouer le rôle principal, puisqu'elle eut affaire alternativement et collectivement avec toutes les autres.

De temps immémorial, les Gaules furent habitées par des peuples valeureux : hardis et entreprenans sous les deux Brennus, opiniâtres et fermes contre les attaques de César, on les vit figurer glorieusement comme auxiliaires dans toutes les guerres de Rome. Ils parcoururent le moyen âge avec un égal succès, et s'ils durent céder à l'irruption des Francs, l'amalgame des deux nations ne fit qu'ajouter à leur énergie.

Les guerres de Charlemagne, et les croisades, les invasions de Louis XII, Charles VIII et François 1er, en Italie, enfin la lutte soutenue contre toute l'Europe par Louis XIV, prouvèrent suffisamment ce qu'on peut attendre d'une armée française bien commandée.

La fatale guerre de sept ans,

sept ans, les intrigues de la cour de Louis XV, et plus encore l'esprit de

vertige qui s'empara de toutes les têtes après ces honteuses expéditions d'Hanovre, éclipsèrent en un instant des siècles de gloire, et firent de cette armée un objet de ridicule.

Après la paix de 1762, le ministère français, ne sachant à quoi attribuer ses défaites, alla chercher dans les plus minutieux détails de la discipline et de l'instruction, ce qui n'était que l'effet du mauvais choix des généraux et de la direction fautive des grandes opérations.

On ne réfléchit ni aux dispositions qui font gagner les batailles, ni aux mouvemens stratégiques, c'est-à-dire aux marches considérées comme manoeuvres de guerre; et l'on oublia toutes les combinaisons de la direction et de l'emploi des masses, pour s'amuser aux plus futiles accessoires. On s'imagina que les armées de Frédéric avaient triomphé par la manière de marcher le pas oblique, par la coupe des habits, et par mille absurdités qu'on aurait peine à croire, si les plaisantes discussions de cette époque n'étaient encore présentes à la mémoire, et qu'un ministre ne les eût encouragées.

La France vit paraître un grand nombre d'ouvrages sur la tactique; on se disputa sur des ploiemens et des déploiemens en tiroirs, sur des tranches et des plésions, et sur un ordre prussien et un ordre français dont on ne se faisait pas d'idée exacte; on forma des camps pour juger des avan

tages de ces différens systèmes, et l'on crut trouver le sublime de l'art, dans le mécanisme de l'instruction des pelotons.

On était si fort engoué de tout ce qui ressemblait à la tactique allemande, qu'il suffit à cette époque de porter un nom tudesque, pour faire une fortune militaire. Un certain capitaine Pirch, sorti des rangs de l'armée prussienne, passa pour un émule de Frédéric, sur la simple présentation d'un mémoire dans lequel il donnait des idées pour aligner des bataillons sur les drapeaux; on se crut heureux qu'il daignât accepter un régiment et l'instruire suivant sa méthode.

Le gouvernement donnait ainsi l'exemple de ce scandale national, et il faut en convenir, les Français ne furent que trop enclins à le seconder. Les étrangers flattés de la supériorité qu'on leur décernait, se gardèrent bien de combattre des opinions auxquelles ils trouvaient si bien leur compte, et chacun s'accordait à placer les troupes françaises au dernier rang: encore un pas rétrograde, et elles se fussent trouvées au niveau des soldats du pape.

Cependant la guerre d'Amérique ranima un peu cette émulation, source des plus beaux faits d'armes. Les expéditions de la Grenade, et de Saint-Eustache; les campagnes de Lafayette, de Saint-Simon et de Rochambeau contre les Anglais aux Etats-Unis, terminées par la capitula

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