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le cabinet de Vienne avait protégé les efforts de la France, et aidé l'établissement de sa prépondérance maritime sur les Anglais, il aurait ainsi acquis sa part à la liberté du commerce, à l'augmentation des richesses et de la prospérité des peuples du continent; mais, ce qui était bien plus important encore, il aurait dirigé la moitié de la population de la France, dans les colonies lointaines, ce qui eût diminué son activité dans les guerres continentales (1). Enfin si le ministère autrichien avait songé que ses bataillons fussent intervenus dans toutes les affaires coloniales des trois parties du monde, dès l'instant où la prépondérance maritime eût été assurée à une puissance continentale; il est probable qu'on aurait pu le décider à vivre en bonne intelligence avec la France, aussi long-temps que celle-ci se fût bornée à diriger ses efforts vers la supériorité maritime, sans vouloir asservir le continent.

Mais en admettant même, comme on l'a déjà observé, que l'Autriche pût avoir un intérêt plus direct à seconder la cause des Anglais, jamais

(1) On objectera peut-être que la France, réunissant une grande force maritime à sa puissance continentale, aurait été dangereuse pour l'Europe. Je crois que l'exemple de l'Espagne suffira pour prouver que de vastes possessions lointaines et une grande marine énervent les forces sur le continent. La France n'a jamais été plus redoutable pour ses voisins que quand elle a cessé de l'être sur mer et dans l'Inde.

la Prusse, la Hollande, l'Espagne, l'Italie, le Danemark et la Suède, n'auraient dû ́se départir du système d'alliance avec la France, et la Russie même, depuis qu'elle a pris une part si active dans les affaires de l'Europe, en donnant des rois et des lois à la Pologne, devait se convaincre de cette vérité : Qu'il fallait aider la France, à réduire l'Angleterre à un rôle secondaire; qu'alors seulement l'équilibre maritime, la répartition égale du commerce et des colonies existerait (1); parce que la France pourrait être obligée, par une ligue générale sur terre, à respecter les droits des nations; que par ce moyen seul les • colonies appartenantes à chaque peuple eussent pu lui être garanties par toutes les puissances, aussi bien que les principes sacrés du respect des neutres et la liberté du commerce dans tous les comptoirs de l'Inde et de l'Amérique.

En admettant donc ces deux vérités politiques comme les bases autour desquelles viennent se rallier tous les intérêts des nations pendant le 18°

(1) Il paraît que Catherine et son ministre Panin furent guidés par des vues semblables, lorsqu'ils firent l'acte de neutralité armée de 1780, et le traité de commerce de 1787. Les fureurs révolutionnaires vinrent détruire tous les résultats de cet ouvrage. Au reste, je crois devoir rappeler à mes lecteurs qu'il est question ici de la France modérée, entendant ses vrais intérêts, et non de la France conquérante, ou voulant tout asservir. Elle a eu quelquefois cette fureur, mais ses ennemis la lui ont supposée trop souvent.

siècle, il sera facile de s'assurer que, depuis Guillaume III, l'Angleterre seule a marché constamment et par tous les moyens possibles à son but, et qu'elle s'est servie du système de la balance continentale comme d'une pomme de discorde qui devait déchirer l'Europe et lui faire oublier l'intérêt bien plus grand d'une balance maritime. Tous les autres cabinets au contraire ont varié dans leur marche et dans leurs systèmes, tous ont commis plus ou moins de fautes à des époques différentes. La France elle-même a été loin d'en être exempte, Louis XIV le premier fournit des armes à la haine de Guillaume, par son invasion de la Hollande, par ses agressions multipliées envers ses voisins; et la France dut paraître d'autant plus redoutable qu'alors l'Angleterre l'était moins. Si Louis et la Hollande s'étaient entendus à cette époque, on aurait pu poser les bases de liens indissolubles entre les deux nations, et la suprématie insulaire n'eût jamais existé; c'était par une ligue franche et sincère de tous les peuples intéressés, et non par un despotisme continental, qu'il fallait éviter le despotisme maritime.

La Hollande commença par la triple alliance en 1668, ce funeste système de rivalité qui a fondé le pouvoir insulaire, et qui a été la cause première de tous les démêlés impolitiques que la France eut à soutenir ensuite contre les Pro

vinces-Unies. A cette époque il est vrai que la triple alliance pouvait paraître excusable par la situation dans laquelle l'Espagne et la France se trouvaient alors relativement à l'Angleterre ; celleci ne songeait pas même au rôle qu'elle devait jouer de nos jours, elle ne cherchait qu'à se maintenir et s'estimait heureuse d'atteindre au même rang que ses deux rivales.

Cependant si cette considération peut pallier la faute des Hollandais, elle n'est pas sans réplique. Il me semble au moins qu'une alliance avec la France aurait pu remplir beaucoup mieux le but que cette république de marchands devait se proposer; car elle lui aurait assuré ses colonies, son commerce lointain, et son immense commerce d'entrepôt entre le nord et le midi de l'Europe: l'Angleterre par sa position géographique pouvait seule lui enlever ces avantages, et particulièrement le dernier. L'acquisition de quelques morceaux du Brabant, que l'on contestait à Louis XIV, et la cession de la FrancheComté, que l'on exigeait de lui, ne devaient pas faire préférer la haine éternelle de ce prince à des relations d'amitié auxquelles les deux nations ne pouvaient que gagner.

Cette triple union fut le prétexte ou plutôt la cause de l'agression non moins impolitique de Louis XIV, qui ne pardonnait pas à la répu

blique d'avoir voulu lui imposer des bornes. Les drapeaux français furent arborés jusque sur les digues à la vue d'Amsterdam, et si M. de Pomponne était parvenu à rendre Louis raisonnable et à lui faire accepter la paix que le grand pensionnaire de Witt lui offrait, peut-être que le règne de ce monarque aurait fini par un équilibre maritime, et que jamais armée française n'aurait été appelée à envahir de nouveau une république dont l'existence et la prospérité lui étaient avantageuses.

Cette invasion de 1672 valut à Louis les deux guerres acharnées que Guillaume lui fit jusqu'en 1713, et la part active que la Hollande y prit.

La dernière de ces guerres surtout ne peut être expliquée que par l'examen des passions qui la provoquèrent et l'entretinrent. L'Angleterre seule devait y trouver son intérêt. La paix d'Utrecht vint mettre un terme au bouleversement général de l'Europe; la Hollande n'en retira point un avantage proportionné à ses sacrifices, et à l'importance qu'elle avait espéré d'acquérir. Le traité des barrières ne lui en donna pas d'aussi sûres que celles qu'elle aurait obtenues en réunissant ses intérêts à ceux du cabinet de Versailles. Mais si la politique hollandaise, à cette époque trop célèbre, etait susceptible de justification par le caractère de Louis et de son ministre Louvois,

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