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lers du Roi à mettre un prince naturellement ami et allié de la France à la tête de l'expédition, pour ne pas laisser la direction de la guerre à une puissance rivale, telle que la Prusse ou l'Autriche. Ce calcul qui ferait honneur à leurs intentions,n'en fait guères à leur jugement diplomatique; car une guerre civile était toujours une calamité qui devait déchirer la France, et dont trop de voisins jaloux et puissans étaient intéressés à profiter. D'ailleurs c'était une erreur grossière d'imaginer que la révolution se fût terminée par la présence de 50 mille hommes sous Paris. Gela eût été tout au plus à espérer en 1789, mais depuis deux ans que les partis étaient en présence ils avaient eu le temps de déployer leurs forces, et l'on ne subjugue pas un pays en fermentation avec une poignée d'hommes.

En admettant même que ce petit nombre de bataillons fussent parvenus jusqu'à la capitale, quel parti eussent-ils pris? se seraient-ils dispersés dans 80 départemens, dont la population exaltée en aurait eu bon marché, ou bien seraient-ils restés blottis sous les murs de Paris? alors l'armée renforcée des volontaires de Marseille, Bordeaux, Rennes, Besançon, Grenoble, obéissant à la voix de l'assemblée ou de quelques meneurs les eût bientôt anéantis.

D'un autre côté, l'Empereur n'approuvant point ces mesures concertées sans sa participa

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tion, ou craignant peut-être les résultats d'une tentative aussi hasardée, préférait un congrès de toutes les puissances, dans l'espoir de faire cesser les troubles intérieurs par l'appareil imposant des forces de l'Europe réunie. D'après ce qui avait été convenu avec M. de Calonne, l'Empereur eut une entrevue à Mantoue, le 20 mai, avec le comte d'Artois qui venait réclamer son assistance au nom de la famille royale opprimée. Léopold communiqua au prince un projet tout rédigé, qui supposait une alliance entre le cabinet de Vienne, l'Empire et les différentes branches de la famille des Bourbons (1). La communication de ce plan, que le comte de Durfort apporta à Paris, ne détourna cependant point Louis de la résolution qu'il avait prise de quitter sa capitale.

Quelque difficile que cette évasion dût paraître, on fondait l'espoir de sa réussite sur la sagacité de M. de Bouillé. Son commandement s'étendait sur toute la Lorraine, et une fois qu'on aurait atteint cette province, tout danger semblait évanoui. Pour diminuer encore les chances de ce trajet, il était convenu de tachemens de cavalerie jusqu'à Châlons; des relais particuliers préparés avec soin devaient accé

pousser

des dé

(1) On trouvera ce plan aux pièces justificatives (no 1). Quant aux circonstances qui l'amenèrent, nous devons renvoyer nos lecteurs aux détails intéressans qu'en donne Bertrand de Molleville,

lérer le voyage et le rendre plus sûr. Lorsque tout fut disposé, le Roi partit dans la nuit du 20 juin, accompagné de la Reine et de ses enfans, prenant la route de Verdun; MONSIEUR suivit celle de Mons.

du Roi à Va

rennes.

Depuis 1789, tous les Français étaient trans- Arrestation formés en gardes nationales, et les municipalités en bureaux de police. Une surveillance active s'exerçait sur tous les voyageurs; soit que les magistrats la redoublassent à cause des mouvemens des troupes chargées d'escorter le Roi, soit l'effet d'un pur hasard, Louis fut reconnu par le maître de poste de Sainte-Menehould et arrêté à Varennes. Aussitôt le tocsin sonne, les gardes nationales accourent, les hussards d'escorte sont investis ou mis en fuite, et le Roi arrêté est reconduit à Paris par une foule d'hommes armés dont le nombre toujours croissant s'élève jusqu'à 10 mille. MONSIEUR, plus heureux, était arrivé sans obstacle à Mons.

Dans cet interrègne de trois jours, la France offrit un grand spectacle. Depuis la frontière de Flandre jusqu'à celle de l'Espagne, depuis le Rhin jusqu'à l'Océan, le premier sentiment de surprise fit bientôt place au calme et à la confiance dans l'assemblée. A Paris tous les emblêmes de la royauté sont effacés; les gardes nationales prennent les armes, et suivies d'une foule de citoyens vont défiler devant les législateurs en leur

prêtant serment. Ceux-ci de leur côté ne perdent pas une minute, mandent les ministres et leur ordonnent de continuer l'exécution des lois, expédient des courriers sur la ligne des frontières pour faire arrêter toute personne voulant sortir du royaume. Enfin ils imposent aux fonctionnaires civils et militaires la prestation d'un serment de fidélité à la nation; puis restant eux-mêmes en permanence pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, ils montrent l'exemple et déploient une grande fermeté.

A la vérité l'absence d'un Roi en tutelle depuis deux ans, et suspendu en quelque sorte de ses fonctions depuis le décret du 21 septembre 1789, ne devait pas changer beaucoup la situation d'un gouvernement déjà accoutumé à se passer de chef, et toute l'importance de cette fuite était rattachée aux avantages que devaient en tirer les royalistes, s'ils eussent réussi à établir l'autorité légitime au quartier-général d'une armée dévouée à leur parti.

Aussi la nouvelle de l'arrestation du Monarque et de son retour fut-elle, pour la majorité de l'assemblée, le signal de la joie la plus vive; c'était une véritable victoire pour les députés ennemis de la cour et de la noblesse; car une réaction eût compromis leur liberté et même leur existence. La sensation contraire se manifesta dans le

parti aristocratique. Gustave forcé de renoncer à son projet pour l'instant, retourna dans ses états, et l'alliance offensive et défensive conclue avec Catherine à Drottingholm, le 19 octobre 1791, prouve assez qu'il avait dessein d'ea tenter de nouveau l'exécution.

du Roi.

L'assemblée avait repris ses travaux; indécise Suspension sur le parti qu'il convenait d'adopter, elle eût bien voulu remplacer le Roi par un conseil de régence, gouvernant au nom du dauphin. Ce moyen semblait le plus propre à prévenir la réaction qu'on redoutait en laissant l'autorité aux anciens conseils de Louis. La suspension du Roi jusqu'après l'acceptation de la constitution, contrastant avec les soins qu'on affectait pour son fils, justifie assez ces conjectures. Toutefois les chefs de parti n'osèrent porter le dernier coup au trône qu'ils avaient sapé, et un reste de respect pour la royauté arrêta les plus enclins à la braver.

Le mois de juillet fut signalé par quelques troubles inquiétans. Bien qu'il eût été fort peu question jusqu'alors d'une faction républicaine, on commençait à s'apercevoir de la tendance des sociétés et des clubs vers les idées démocratiques.

Les passions étaient déchaînées, la liberté, depuis quelques mois, commençait à faire place à la licence; des hommes sans emplois, sans

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