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Anarchie.

Conflit des nouveaux

tableau de cette nuit célèbre, dans laquelle on vit une noblesse généreuse, se dépouiller de ses droits les plus chers, et un clergé renoncer à des bénéfices devenus l'objet de tant de réclamations! on frappa des médailles pour perpétuer la mémoire de cet événement, et le Roi fut proclamé le restaurateur de la monarchie. Cependant ces décrets n'atteignirent point leur but; on remarqua même que les nobles de province, mécontens des concessions de cette minorité de leur caste, n'en devenaient que plus ardens ennemis du nouvel ordre de choses, et la haine qu'on leur portait s'en accrut.

La révolution aurait dû se terminer là, car la masse de la nation venait d'obtenir tout ce pouvoirs. que l'esprit du siècle réclamait impérieusement;

des hommes éclairés possédant sa confiance et investis d'une autorité sans bornes pouvaient procéder avec calme et dignité à la rédaction de cette charte constitutionnelle qui faisait l'espoir de tous. Mais l'anarchie s'était déjà introduite dans l'Etat. Montesquieu a dit : « Qu'il est dan» gereux pour les peuples de changer le principe » de leur gouvernement, parce que le ressort de » l'ancien étant brisé, celui du nouveau lui suc>> cède avec lenteur, il s'établit une crise durant >> laquelle la multitude, dégagée des entraves >> des lois anciennes par l'approche des lois nou» velles, brise le contrat social, en sorte que

» la force est substituée à la justice. » Cette sentence du plus grand des publicistes, est en deux mots l'histoire de la révolution.

Outre le comité insurrectionnel dont nous avons parlé, il s'élevait en effet, au milieu de l'effervescence et de l'agitation des partis, des autorités illégales qui devaient un jour porter le dernier coup à la monarchie et dominer jusqu'aux travaux de cette assemblée qui se montrait avec tant d'énergie dans ses débuts. La nomination de Lafayette au commandement d'une milice de 50 mille hommes indépendante de l'autorité royale, venait de créer une puissance effective bien supérieure à celle du gouvernement, qui disposait à peine d'un régiment. Un pouvoir civil formidable s'était institué au milieu de l'agitation. L'assemblée des électeurs de Paris qui aurait dû cesser d'exister après la nomination des députés de la capitale, et dont nous avons signalé l'institution arbitraire, tenait des séances et délibérant au nom des habitans de cette grande cité, s'était saisi d'une influence décisive.

La population de Paris, divisée én 60 districts et en 60 bataillons armés, pouvait recevoir en quelques heures l'impulsion qu'il plaisait aux meneurs de l'assemblée, au comité électoral, ou au général Lafayette de lui imprimer. Cet exemple fut incessamment imité dans tout le royaume;

Partis qui se forment.

trois millions d'hommes armés, habillés et organisés, couvrirent le sol de la France et la transformèrent en un vaste camp, commandé par mille individus et à la disposition de toutes les autorités, hors celle du Roi.

Les districts se composaient de la réunion des citoyens jaloux de discuter sur les affaires publiques; ils avaient leurs présidens qui se trouvaient à la fois magistrats municipaux, et présidens d'assemblées tumultueuses; c'était autant de Forum ou le peuple allait s'exalter contre le gouvernement. On avait placé à la tête de ces sections des hommes distingués par leur éloquence populaire, et Mirabeau s'était attaché à y mettre des agens de son choix. Danton que nous aurons occasion de citer trop souvent présida d'abord le district des Cordeliers.

Une association qui ne tarda pas à étonner l'Europe par son audace et ses forfaits, prit aussi naissance dès ces premiers temps; nous voulons parler des Jacobins. Dans l'origine, cette société se composa d'hommes probes, exaltés peut-être dans leurs idées, mais au moins excusables par la sincérité de leur attachement à la liberté. Des patriotes assemblés pour aviser aux moyens de faire triompher les principes auxquels ils rattachaient toute la grandeur et le bonheur, de leur pays en furent les fondateurs.

Une telle réunion put être utile quand les seuls magistrats s'y rendaient, afin de s'éclairer sur la marche des affaires ou d'y concerter des mesures utiles à la chose publique; mais des intrigans s'introduisirent insensiblement dans ses rangs, Soit qu'ils jugeassent du premier abord toute la puissance qu'une telle arme mettrait infailliblement dans leurs mains, soit qu'ils n'en eussent acquis l'expérience qu'à mesure de leurs progrès; il est certain que les Jacobins à l'instar de nouveaux sectaires, animés de prosélytisme, couvrirent de leurs ramifications les parties les plus reculées de la France et correspondirent régulièrement avec le centre établi à Paris. Une seconde puissance se forma ainsi dans l'Etat, l'esprit de secte l'emporta sur l'esprit public, et peu à peu l'étranger, l'intrigant, le mécontent et le fougueux anarchiste, dominèrent ces réunious tumultueuses, où les avis les plus violens l'emportaient sur le langage de la raison.

Cependant l'assemblée faisait tous ses efforts pour atteindre en quelque sorte les hautes destinées auxquelles elle s'était vue appelée : elle persévérait avec énergie et constance dans ses travaux, dont elle se promettait la restauration du royaume et la rédaction d'une nouvelle constitution qui en assurât le bonheur; elle eût incontestablement atteint ce but si, entraînée par de faux dogmes, elle n'avait çru augmenter lą

Constitutionnels.

liberté publique de tout ce qu'elle ôterait à la prérogative royale.

Le parti qui voulait conserver à la monarchie un reste de majesté et de vigueur, désirait la constitution anglaise avec ses deux chambres. Mais si le Roi, les nobles et le haut clergé voyaient dans l'établissement des pairs, un moyen réel de mettre un frein à l'esprit de nivellement qui se manifestait déjà avec tant de violence; les novateurs, par la même raison, craignaient de perdre leur influence et préféraient une seule chambre parce qu'assurés de la majorité ils étaient certains de gouverner. Un jeu de mots de RabaudSt.-Etienne décida d'une matière si importante et si grave; l'unité de la législation fut décrétée par comparaison avec celle de la divinité.

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Le parti d'Orléans n'était pas le seul qui saisit avec empressement toutes les occasions d'abaisser le pouvoir exécutif; la faction américaine, à la tête de laquelle on peut placer Lameth et Lafayette, comptait des adversaires non moins redoutables pour la cour peut-être plus pure dans ses principes de liberté, elle n'était pas moins exagérée dans l'application qu'elle en faisait. La constitution des Etats-Unis pour laquelle les chefs de ce parti avaient combattu, était à leurs yeux le prototype de tout contrat social bien ordonné; moins on s'en écartait, plus on se croyait près de la perfection. On associait les

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