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A la tête de ce parti figurait Mirabeau, connu par plusieurs écrits polémiques et par sa célèbre réponse au garde-des-sceaux à la séance du 23 juin. Cet homme extraordinaire semblait réellement né pour régir un état. Dédaigné par l'ancien gouvernement, on attribua son éloignement des affaires aux désordres qui avaient signalé sa jeunesse et fait naître des doutes sur sa moralité; on lui a imputé le projet d'aspirer au ministère et d'avoir voulu placer la cour dans une situation à ne pouvoir se passer de ses services, et il faut avouer que si on avait eu recours à lui en 1787. en l'investissant du pouvoir immense conféré à M. de Lomenie, il est probable que la révolution n'aurait pas eu lieu. Il serait injuste de dire que Mirabeau n'y ait participé que pour son intérêt particulier; ses principes l'y portaient naturellement. Doué d'un génie vaste et hardi, il voulait de la célébrité; et considérant l'autorité absolue comme un obstacle au développement des grands talens, il désirait à peu près la constitution anglaise, qui, plus favorable aux discussions publiques, lui assurait une influence proportionnée à son mérite, et semblait satisfaire en même temps l'amour-propre des Français; l'envie de jouer un rôle s'allia donc à ce qu'il croyait l'intérêt de son pays.

A côté de lui brillait l'abbé Sieyes, d'une élo

Rappel de
Necker.

quence moins ardente, mais homme d'état profond et dissimulé. Attaché au duc d'Orléans, il avait rédigé les fameuses instructions de ce prince aux bailliages; on sait que ce fut lui qui constitua les députés du tiers en assemblée nationale. Le système de ces deux hommes semblait former le point d'appui désiré par Archimède pour ébranler le monde; il n'en fallait pas tant pour renverser l'autorité vacillante d'un prince qui s'abandonnait alternativement à tous les partis, et ne semblait éviter un écueil qu'afin de se précipiter dans un autre.

Autour d'eux se groupaient Adrien Duport, Latouche, Laclos, tous hommes distingués par leur énergie et leur mérite. L'avocat Target partagea d'abord leur popularité et leur influence; les talens qu'il venait de déployer au barreau avaient enflé sa réputation; on s'aperçut bientôt qu'il est plus facile de déclamer un plaidoyer que de régir un empire.

Le résultat de leurs premières entreprises ayant surpassé ce qu'ils pouvaient s'en promettre, on devait bien s'attendre qu'ils n'en resteraient pas là.

Les événemens se pressèrent dès lors avec plus de violence; le Roi se rendit à l'assemblée et ensuite à Paris pour annoncer le renvoi des troupes et promettre le rappel de M. Necker. Cette

LIVRE 1, CHAP. II.

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entrée dans la capitale présenta un spectacle aussi imposant que nouveau; plus de 100 mille hommes armés, formés en haie depuis Passy jusqu'à l'Hôtel-de-Ville attestaient l'ivresse générale que l'espoir de la restauration inspirait. Disonsle à la louange des Français, les partisans d'une liberté raisonnable formaient à cette époque l'immense majorité de la nation.

des Prin

Le comte d'Artois, ses fils et les princes des Emigration maisons de Condé et de Conti, connus pour être ces. les plus chauds partisans des ordres privilégiés et les chefs du parti aristocratique, quittèrent, non sans courir de grands dangers, le territoire français pour chercher dans l'étranger une sûreté sur laquelle ils n'osaient plus compter. Ils furent suivis de M. de Breteuil que le Roi chargea de pouvoirs et d'instructions secrètes pour les différens cabinets.

Le 16, Bailly fut nommé maire de Paris, et Lafayette, Lafayette commandant de la milice parisienne, gardes nagénéral des qui peu de jours après se trouva organisée et tonales. habillée à l'instar des régimens de ligne.

A la nouvelle des événemens du 14 juillet; les troubles les plus violens se manifestèrent dans les provinces; partout on accusait les nobles de s'opposer à la régénération et à la félicité publique; partout on rappelait les longs griefs qu'on avait contre eux. Plusieurs, à l'imitation des Prin

ces du sang, furent contraints à s'expatrier, laissant leurs habitations à la merci d'une populace exaspérée.

Un accident grave, arrivé dans un château près de Vesoul, devint peu de temps après le signal de la dévastation. Un grand nombre de châteaux furent livrés aux flammes, et la Franche-Comté surtout se distingua par ses violences envers les gentilshommes.

Une disette alarmante venait ajouter à ce sombre tableau.

L'armée ne tarda pas à suivre l'exemple des gardes-françaises; celles-ci sourdement instiguées avaient déjà prouvé au 14 juillet ce qu'il fallait en attendre. Un grand nombre des leurs demanda à passer dans les gardes parisiennes où plusieurs bas-officiers furent placés avec avantage (même comme capitaines), et où les soldats formèrent plusieurs compagnies soldées. Quelque surprise qu'on éprouve en voyant un corps d'élite comme les gardes du Roi, changer ce rôle contre celui de soldats de Lafayette; il faut avouer que cet événement aurait eu son bon côté en donnant à ce général l'autorité nécessaire sur les autres bataillons de gardes nationales, et le mettant en état de s'opposer aux désordres de la populace, si ces compagnies n'avaient pas été elles-mêmes à la disposition des agitateurs. L'exemple qu'elles venaient de donner fut bien

tôt contagieux; c'était à qui abandonnerait les drapeaux du Roi pour se ranger sous ceux de la nation, comme si ces deux mots ne devaient pas être toujours synonymes. La marine même ne resta pas exempte de la contagion, de nombreux désordres eurent lieu dans tous les ports.

Quelques rayons consolateurs venaient de loin en loin éclairer cet horizon couvert des plus affreux nuages. Le retour de Necker et la séance du 4 août furent de ces interstices heureux. Ce ministre avait reçu à Bâle la nouvelle de son rappel; son retour fut un véritable triomphe, et l'i vresse qu'on manifesta, lors de son apparition à l'Assemblée nationale et à l'Hôtel-de-Ville de Paris, contrastant singulièrement avec la position critique de la cour, offre un exemple remarquable des vicissitudes de la fortune. Le citoyen de Genève reprenait pour la troisième fois le timon de l'Etat, plus puissant en apparence que le Roi dont il avait, en quelque sorte, ébranlé l'autorité: mais son illusion fut de courte durée ; idole d'une faction que la victoire avait rendue orgueilleuse, il ne pouvait compter sur son culte qu'en servant ses passions, et sa chute fut inévitable dès l'instant où il se trouva en opposition avec elle.

août. Abo

Le 4 août, l'Assemblée délibérant sur les pro- Séance du 4 positions de MM. de Noailles et d'Aiguillon, dé-lition des putés de la noblesse, prononça l'abolition de priviléges. tous les priviléges. Il fut sublime et touchant le

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