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tude, un besoin vague de changement et un défaut complet d'harmonie entre les différens ordres de l'état, ou entre les différentes classes de la société.

Les écrits du 18e siècle répandirent de grandes lumières et des vérités bien séduisantes, mais d'autant plus dangereuses, lorsqu'elles sont semées sur un sol volcanique.

La noblesse ayant successivement perdu une partie de ses droits envers la couronne voulut conserver ses priviléges sur la bourgeoisie. Un tiers-état enrichi par l'industrie et par le commerce, éclairé par les écrits contemporains, demanda de son côté à prendre part aux honneurs et aux bénéfices de l'état dont il supportait toutes les charges; bien différent de la multitude du 15° siècle, il ne pouvait être mené comme elle.

La religion, fondée sur un rite suranné et décrédité, au lieu de reposer sur les beaux préceptes de la morale chrétienne, fut bientôt attaquée ouvertement et ne put l'être en vain, quand ses ministres donnaient l'exemple du scandale public.

Le choc de tant de passions ne manque pas de produire un esprit universel de fronde, un mépris presque général pour l'ordre de choses existant. Les parlemens mettent toute leur gloire à lutter sans cesse contre la cour, la petite no

blesse veut rivaliser avec la grande, la robe avec l'épée, la bourgeoisie avec tous ceux dont les vices autorisent ses plaintes et dont les ridicules: sont devenus l'objet de ses risées. La révolution semble dès-lors inévitable.

Un Roi soldat, un Monarque en même temps fort, énergique et magnanime, ou de nouvelles institutions adaptées à l'esprit du temps, semblaient les seuls remèdes à opposer à cette crise et les seuls moyens d'éviter une explosion. Louis était le véritable père de son peuple; mais le prince le moins fait pour le tirer de l'abîme. On pouvait donc aisément prévoir que la France, agitée par des intérêts si divers, ne manquerait pas d'éclater dès que la moindre occasion s'en présenterait; elle ne se fit pas attendre longtemps; le désordre des finances et un déficit de quelques millions vinrent bouleverser l'univers.

Depuis les guerres ruineuses de Louis XIV, les finances se trouvaient dérangées. Le système de Law leur avait porté le dernier coup; celui de l'abbé Terrai avait ébranlé le crédit public sans faire le bien qu'on s'en était promis. La moitié des revenus de l'état était absorbée par l'intérêt de la dette, tandis que l'application d'une somme pareille à la marine, eût suffi pour la recréer et chasser les Anglais des deux In es. On prépar économie n'avoir ni vaisseaux, ni soldats, ni considération, afin de payer plus exac

féra

tement 250 millions aux créanciers de l'état. La guerre d'Amérique, la plus heureuse que la France ait soutenue, occasionna un déficit d'un milliard, et des taxes déjà très-nombreuses, mais mal réparties, ne laissaient aucune espérance de le remplir, à moins de donner de nouvelles bases à la répartition des impôts directs: la plupart des terres, c'est-à-dire celles de la noblesse et du clergé, étaient injustement exemptes, et il s'agissait de les faire contribuer également.

Turgot le tenta avant la guerre, les parlemens et le clergé s'y opposèrent, moins sans doute par intérêt pécuniaire que pour conserver des prérogatives consacrées par d'antiques préjugés : c'était l'orgueil de caste aux prises avec l'intérêt national, et de tous les obstacles que peut éprouver une réforme, le plus difficile à vaincre.

Le vertueux ministre se retira et fut d'abord remplacé par Clugny, ensuite par Necker. Ce dernier dont la destinée fut si extraordinaire était doué d'un esprit supérieur; on lui doit de justes hommages comme administrateur libéral et philanthrope, mais comme ministre de Louis et chargé de veiller aux destinées d'une brillante monarchie, il encourut le reproche d'imprudence.

Dans un siècle où l'esprit de fronde envers l'autorité était une vertu publique, quel qu'en fût d'ailleurs le motif et la forme, il fallait beaucoup de génie et de force pour tenir d'une main

sûre les rênes de l'état : et sans doute qu'alors un Richelieu eût mieux valu qu'un philosophe genevois, pour arracher à tous les partis les concessions nécessaires, et sauver l'immense édifice social confié à ses soins.

que

Le système de Necker était de commander à l'opinion générale, par la publicité des opérations, et l'on ne peut pas plus nier les avantages de cette méthode méconnaître ses dangers dans des temps de troubles. Son compte-rendu appela pour ainsi dire la discussion publique sur les intérêts les plus élevés de l'administration, mais si en le publiant il perdit la confiance de la cour, si elle l'accusa de vouloir se populariser par ambition et aux dépens de l'autorité royale, sa retraite n'en fut pas moins un mal.

M. de Ca

lonne remplace Nec

Necker obligé de quitter le ministère des finances, fut remplacé par M. de Calonne, qui administra ce département jusqu'en 1787; M. de Ver- ker. gennes étant toujours chargé des relations exté

rieures.

La réunion de ces deux hommes semblait assurer une navigation paisible au vaisseau de l'état. Le premier d'un esprit vif, pénétrant, d'une éloquence peu commune, était, il est vrai, souvent entraîné par une imagination trop ardente; mais l'autre, sans être un génie extraordinaire, avait des vues politiques sages, une gravité impertubable et une grande habitude des négocia

Assemblée

tions. Ce dernier mourut malheureusement au mois de février 1787, et fut remplacé par le comte de Montmorin.

Dès-lors le contrôleur des finances resta seul en butte aux menées d'une foule d'ambitieux, qui trouvaient dans la disposition générale des esprits et des affaires, de puissans auxiliaires pour le renverser. Il n'avait point le genre de talent convenable pour lutter contre la masse d'obstacles qui lui étaient opposés; et les vices de son administration mirent le comble à son malheur en ouvrant un vaste champ aux accusations de ses ennemis. Ils lui reprochèrent la dilapidation des deniers que Necker prétendait avoir laissés dans l'état le plus prospère.

Cependant l'esprit de fronde augmente chaque jour, l'opinion publique s'exalte de plus en plus ; les désordres de l'administration vont toujours croissant. Le Roi effrayé par l'impossibilité d'opérer le bien au milieu de tant d'oppositions, désire plaire à tous, et ménager tous les intérêts. Il recommande sans cesse à ses ministres des réformes, plus d'emprunts, plus de nouveaux impôts, plus de résistance des parlemens. Vues assez difficiles à concilier avec la situation de l'état, et qui font plus d'honneur à la philanthropie du Monarque qu'à sa sagacité.

La difficulté de découvrir un moyen de se tirer des notables. d'embarras, ne dispensait pas de l'obligation de le

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