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la plus grande partie des pirates Normands fut acquise, en 912, par l'Église, et convertie en vassaux du royaume de France par le don de la province qu'on appela, de leur nom, Normandie. Il ne sera pas inutile de nous occuper un instant de ce fait. Il donne une idée de la manière de procéder de l'Église dans ses conquêtes, et, en même temps, de la manière dont les faibles Rois de ce temps achetaient des fidèles.

S'il y avait eu unité et force dans l'Empire, on eût été éteindre le foyer de la piraterie sur son sol même; on eût exterminé ou soumis les payens du nord. Mais lorsque chaque contrée eut été abandonnée à elle-même, on ne pensa plus qu'à leur fermer l'entrée des fleuves, et à couper le cours des rivières; car c'était là leurs voies militaires, les seules d'ailleurs par lesquelles ces bandes pouvaient se guider dans un pays inconnu, et emporter leurs charges de butin, unique et grossier motif de ces expéditions barbares. On essaya de les arrêter par des fortifications; on construisit aussi plusieurs ponts de pierre. Mais, Paris seul sut résister par le courage de ses prélats, de ses citoyens et de ses comtes. Les autres points fortifiés furent enlevés par la force, rendus par la crainte, livrés par la trahison, ou laissèrent le passage. Ainsi, Rouen fut pris; Nantes, livrée par un comte français; Bordeaux, par les Juifs, etc. On recourut donc à un autre moyen de défense. On livra aux chefs de pirates, des territoires à l'entrée des fleuves, afin qu'ils les défendissent eux-mêmes. Une seule condition leur était imposée, la seule sans laquelle, dans ce temps de foi, il n'y avait pas de traité possible; c'était d'accepter le Christianisme. Ainsi, on leur donna des terres en Frise, en Bretagne, etc. L'établissement des Normands sur les bords de la Seine fut sans doute un effet du même calcul.

Il est probable que Rollon lui-même, en entrant dans la Seine, avait l'intention de former un établissement fixe. Les chroniques racontent que Francon, Archevêque de Rouen, voyant que la ville était hors d'état de se défendre, au lieu de quitter son siége, prit le parti d'attendre les pirates, et que Rollon reçut la ville à compo

sition. Dès ce moment on voit Francon jouer le rôle d'intermédiaire entrelechef Barbare d'une part, Charles-le-Chauve et Robert comte de Paris de l'autre. Néanmoins, les Normands entrèrent dans le sein de la France, en suivant selon leur coutume le cours de la rivière. Mais ils eurent de faibles succès, et éprouvèrent de nombreux revers. Leurs incursions, fâcheuses pour le pays, furent stériles pour eux, car, pas une fois ils ne se retirèrent avec leur butin. Francon profita de ces événemens, auprès de Rollon, et sut s'emparer de son esprit. Il était autorisé, d'ailleurs, à offrir au chef Danois tout ce qui pouvait flatter sa vanité barbare; pour femme, Gisla, la fille de Charles-le-Chauve, et pour parrain, Robert, le redoutable Comte de Paris. En 912, sept ans après sa descente, Rollon fut baptisé par Francon, et reçut le nom de Robert ; une grande partie de son armée suivit l'exemple de son duc. Après avoir prêté le serment de vassalité, il s'occupa tout de suite de convertir sa nation à des mœurs meilleures, en leur donnant un nouveau code de lois, imité des coutumes françaises.

La foi, en effet, n'avait pas encore perdu toute sa vigueur dans le neuvième siècle; elle s'était affaiblie seulement; elle avait pris le caractère du temps: elle s'était faite égoïste. On oubliait les devoirs sociaux, pour ne penser qu'à son salut personnel, et l'on croyait le gagner par des actes d'une dévotion minutieuse. Aussi on voit encore de très-fréquentes donations aux Églises, et de nombreux actes de cette piété étroite, superstitieuse, individuelle, que nous rencontrons si souvent aujourd'hui. On croyait ainsi pouvoir racheter des crimes, ou se sauver soi-même au milieu du naufrage général. Il nous reste presque un demi-volume de diplômes dressés en faveur des Églises. Cependant, grâce à ces faibles restes de croyance, le clergé conserva encore une assez grande autorité. Ainsi, nous avons les actes d'un Concile tenu à Arles en 879, qui décerne la couronne de Roi à Boson; et ceux d'un autre de 890 qui la transmet à Louis, son fils, pour le salut commun des provinces méridionales, lesquelles avaient été, peu de temps auparavant, saccagées par les Sarrasins. L'Église seule, en effet, comprenait encore les devoirs sociaux imposés par le Christia

nisme, et travaillait au salut de tous. Pour confirmer cette assertion, il suffirait de rappeler la conduite du Clergé dans les divers siéges que Paris eut à soutenir contre les Normands; celle de Francon à Rouen. Mais nous possédons des actes qui parlent plus haut, et prouvent plus que ces dévoûmens particuliers. Dans un Synode tenu aux environs de Reims en 881, les Évêques adressent au Roi une supplique qui mériterait d'être traduite pour l'enseignement de ceux de nos jours. Ils l'invitent à s'entourer d'un conseil composé d'ecclésiastiques et de militaires, afin de pourvoir aux besoins de tous. «Que ce pauvre peuple, disentils, qui, depuis tant d'années, souffre des pillages de toutes sortes, et supporte les exactions des Normands, soit enfin soulage. Enfin, Charles-le-Gros, dans un capitulaire, s'adresse aux Évêques pour veiller au salut public. En effet, il nous reste des traces positives qui prouvent que le clergé, dans ses synodes, chercha à faire tout ce que les Rois négligeaient dans l'intérêt général. Ce n'est pas à dire qu'il n'y eût des prêtres indignes; mais il est remarquable qu'ils furent en nombre très-petit, moindre même que dans des temps plus heureux. L'Église d'ailleurs savait et pouvait punir; c'était son peuple, et, d'après les lois, elle avait droit absolu de justice dans son sein. Nous avons quelques textes de jugemens rendus contre des membres du Clergé. Nous ne comptons point comme une faute reprochable, surtout dans notre siècle, le fait de porter les armes. Il y eut des Évêques, des Abbés et des moines qui se distinguèrent dans cette guerre de tous les jours contre les payens normands, hongrois ou sarrasins; car bien souvent les villes, abandonnées ou trahies par leurs Comtes, furent défendues par leur Clergé : au moins il savait périr avec elles.

Ainsi, les derniers mots, les derniers actes publics qui nous sont restés du neuvième siècle, sont encore des preuves de l'activité de l'Église pour le salut de la France. Dans les derniers faits nous la retrouvons encore, ainsi qu'au cinquième, construisant les provinces, agglomérant les peuplades, qui furent appelées de ce nom. De même nous retrouvons, dans les derniers actes de la

vie temporelle du dixième siècle, les signes de la loi militaire qui présida à la naissance de la nationalité française. C'est l'utilité militaire qui crée les chefs et les rois; et la race de Pepin finit comme elle avait commencé. C'est un duc de France, un nouveau Maire, qui commence la nouvelle dynastie qui vient la remplacer.

LIVRE TROISIÈME.

HISTOIRE DE LA FRANCE SOUS LA TROISIÈME RACE.

CHAPITRE PREMIER.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES RÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU DIXIÈME AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

La société sortit du dixième siècle, pourvue d'institutions et de destinées toutes nouvelles. La Loi de la Vassalité héréditaire avait remplacé la Loi de la Vassalité par élection. La population se trouvait partagée en plusieurs groupes qui commencèrent à vivre séparément, et qui n'eurent plus, de français, que leur origine. Chaque point du grand Empire de Charlemagne, bien que doué d'une impulsion qui le poussait à un résultat commun, poursuivit sa tendance avec les formes de son individualité particulière, et devint une nation. L'Italie fut divisée en petites seigneuries féodales; l'Allemagne fut partagée en sept grandes seigneuries. Elle maintint son unité, en conservant un Empereur pour la représenter. Mais celui-ci devint électif, et les électeurs furent les sept grands Seigneurs féodaux, dont la réunion formait le plaid général de la nation Germanique. En France, le pouvoir royal devint héréditaire, et le royaume fut gouverné comme un grand fief. Ainsi, le point de départ et le but furent les mêmes pour tous les pcuples; mais chacun développa le germe déposé dans son sein, avec ses facultés propres. Aussi chaque pays s'avança dans la voie du progrès avec des vitesses inégales.

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