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d'Angers; le duc de Bourgogne et le duc Eudes qui prétendaient à l'indépendance. Charles se débarrassa facilement de son compétiteur d'Angers, mais il n'en fut pas de même des deux autres ducs.

Une nouvelle invasion des Sarrasins, en 732, vint pacifier pour un moment la France. Eudes et Charles réunirent leurs forces dans ce péril commun, et les Musulmans furent encore une fois vaincus entre Poitiers et Tours. Charles, après cette victoire, rentra aussitôt dans l'œuvre de ramener la France à l'unité; il alla soumettre la Bourgogne, et, en 736, la mort de Eudes lui livra l'Aquitaine. Il se trouvait donc maire et duc de toute la France lorsque le roi dont le nom lui servait de prétexte vint à mourir. Il avait été élu en 722, sous le nom de Thierry, pour successeur de Chilpéric. Charles ne le remplaça point.

Afin d'assurer le pouvoir à ses enfans, lorsqu'il fut arrivé aux derniers mois de sa vie, il les associa au commandement en donnant à Carloman l'Austrasie, à Pepin la Neustrie, la Bourgogne, la Provence, etc., et à Grippon le pays de Laon. Il mourut en 741. Carloman et Pepin, qui étaient enfans du même lit, d'un commun accord dépossédèrent leur frère et appelèrent au trône le dernier rejeton de la race de Clovis, Chilpéric. Ils occupèrent les premières années de leur généralat à faire reconnaître leur suprématie et à ramener à l'obéissance les ducs provinciaux, qui cherchaient à échapper aux obligations de l'unité française. Ils portèrent aussi la guerre en Allemagne avec une violence qui les rendit vainqueurs. L'obéissance n'était pas encore rétablie dans tous les lieux où les chefs de l'armée française avaient droit de commander, lorsque Carloman, fatigué d'un rôle aussi difficile et d'une position aussi disputée, abandonna son commandement à son frère, et alla en Italie se ranger parmi les cénobites du mont Cassin. Pepin resta seul maire du palais sous un roi imbécille. Il pensa à fonder une dynastie, et résolut de l'appuyer sur la seule base solide à cette époque. Il envoya donc au pape Zacharie, qui répondit : « Que celui-là soit roi de nom, qui est roi de fait. En conséquence, en 752, dans une assemblée

réunie à Soissons, et composée des principaux chefs de l'armée et des Évêques les plus influens, Chilpéric fut dépossédé et envoyé dans un couvent, et Pepin fut élu, et sacré par Boniface, archevêque de Mayence. Trois ans après, le pape Étienne, venu à Paris pour demander du secours contre les Lombards, le sacra de nouveau, ainsi que ses fils Carl et Carloman, en prononçant sur leur tête ces mots : Que nul ne touche à l'oint du Seigneur. Ainsi la France, qui avait reçu son nouveau nom et sa première race royale de la volonté de l'Église, reçut encore de ses mains la seconde dynastie de ses chefs.

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En terminant cette esquisse de l'histoire de la race de Clovis, nous ferons remarquer qu'on y trouve une confirmation complète des principes que nous avons émis dans le chapitre premier de ce livre. Tous les événemens furent tels qu'ils devaient se passer dans une armée, non-seulement quant au mode de succession des chefs, mais encore quant à leur influence relative, qui dépendait surtout de leur habileté militaire, et des services qu'ils apportèrent à la chose publique: l'autorité des maires du palais n'eut pas une

autre source.

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Nous possédons un très-petit nombre des actes législatifs de cette race. Outre la loi salique, celle des Ripuaires, celle des Allemands, des Bavarois, etc., il y eut divers décrets portés, soit dans ces assemblées, qu'on appelait placita ou plaids, soit dans les conciles, soit dans les synodes. La collection de Stephan Baluze rapporte le texte de huit décrets de ce genre. Le premier, signé de Childebert, a pour but l'abolition des restes de l'idolâtrie. Le second, porté sous Clotaire Ier, a un but plus général. Au milieu de plusieurs dispositions destinées à assurer l'ordre civil et moral, on remarque celle-ci : si un juge condamne quelqu'un contre la loi, que l'abus soit, en l'absence du roi, réprimé par l'Évêque (art. vr). - La troisième pièce est un rescrit adressé par Gontran aux évêques et juges du royaume. Il se plaint d'abord de la fréquence des actes réprouvés par les canons et la loi; puis il ordonne que tout le peuple soit réuni à l'église le dimanche; que là, l'enseignement pastoral lui soit donné. Il recom

mande aux Évêques d'appeler à eux tout ce qu'ils connaissent d'honnête et de respectable dans le clergé, les seigneurs, les juges, afin que la bonne parole soit répétée dans toutes les chaires; que si les méchans ne se corrigent pas, il les invite à veiller à ce qu'ils soient punis, soit canoniquement, soit légalement. — La quatrième pièce est un pacte entre Childebert et Clotaire, qui contient diverses dispositions pénales contre les crimes particuliers. La cinquième pièce est un décret de Childebert, relatif encore à des crimes particuliers. Ici les peines sont inverses de celles contenues dans la loi salique : le Salique, salicus, est taxé à une amende plus considérable que le Romain. La sixième pièce est un décret du roi Clotaire II. Celui-ci, entre plusieurs dispositions, confirme le droit d'asyle aux Églises; seulement le serf qui s'y retirerait sera rendu ou racheté. — La septième pièce est un édit du même Clotaire, porté dans le concile de Paris en 675. On peut y remarquer les dispositions suivantes : dans les affaires où un ecclésiastique est intéressé, le tribunal doit être composé du juge public et d'un élu de l'église; nul affranchi ne peut être attaqué sur son droit à la liberté qu'en présence de l'Évêque; tous les impôts, census, injustement ajoutés, et contre lesquels le peuple réclame, sont supprimés, etc.- La huitième pièce est un rescrit du roi Sigebert, dans lequel il se plaint que l'Église tienne des synodes sans qu'il en soit instruit. Il ne prétend nullement attenter à la liberté des Évêques ; mais il ordonne qu'on lui fasse connaître le lieu et le but des synodes futurs, afin qu'il sache s'ils ont lieu dans l'intérêt de l'Église ou pour l'utilité de son règne.

On voit par ces exemples que l'époque que nous venons de parcourir ne fut pas moins occupée de l'éducation du peuple que de l'extension de l'Empire. Les décrets et les édits de cé genre durent être fort nombreux, car les assemblées où l'on s'occupait nécessairement de questions de législation furent extrêmement fréquentes. Il y a près de cinquante conciles ou synodes cités en France sous la première race, sans compter les plaids généraux et particuliers.

L'union de l'église aux magistratures civiles, dans les plaids et partout, est un fait constant pendant cet espace de temps, et il est facile d'en trouver la raison. L'obéissance ne pouvait être commandée que par la force ou par la foi. Or, la force des souverains était faible et sans influence, partout où elle n'était pas présente, et surtout dans les cités. Il n'y avait donc que les commandemens sanctionnés par l'église qui pussent obtenir l'assentiment unanime des grands comme des petits. C'était, en quelque sorte, les rois qui sanctionnaient pour l'armée, et les Évêques pour le reste du peuple.

C'est à ce pouvoir de la religion sur les esprits qu'il faut attribuer l'influence des femmes sur les hommes de la seconde race; elles furent leurs prêtres domestiques.

CHAPITRE TROISIÈME.

HISTOIRE DES FRANÇAIS SOUS LA RACE DE PEPIN.

LORSQU'ON examine attentivement l'état de la France à l'époque du sacre de Pepin, on voit qu'elle renfermait et qu'elle manifestait déjà tous les germes dont le développement avait, deux siècles auparavant, amené la fin de l'Empire romain d'Occident. Partout les généraux d'armée, les ducs provinciaux, les comtes des cantons, cherchaient à se créer une indépendance, et à rendre leur titre héréditaire; chacun se laissait aller à son ambition particulière, et s'habituait à sacrifier l'intérêt social au sien propre. Les guerres entre les maires du palais, au milieu desquelles expira la descendance de Clovis, rappellent parfaitement ces guerres entre les chefs militaires de la cour de Ravenne, et ces disputes armées qui signalaient chaque succession impériale. Il est donc juste de dire que la foi catholique sauva la nationalité française; car c'était parce qu'elle était toute puissante sur les esprits, que l'Église put, par l'imposition de ses mains, lui donner un nouveau signe

visible et durable de son unité, en lui donnant une nouvelle dynastie pour la représenter!

Or, l'Église avait, à cette époque, plus que jamais besoin d'un centre puissant de force matérielle. Elle était menacée par une invasion aussi redoutable qu'aucune de celles qui avaient signalé le cinquième siècle. Le Mahométisme, maître d'une partie de l'Asie, de l'Egypte, de l'Espagne, venait faire des courses jusqu'aux portes de Rome. En Italie même, elle avait un ennemi non moins dangereux, le royaume des Lombards ariens. Elle n'avait qu'un seul soldat à appeler contre tant d'assaillans, c'était la France. Serait-il donc étonnant que les Évêques et les Papes Za- . charie et Etienne aient placé Pepin sur le trône, aient travaillé à reconstituer l'unité française, seulement dans l'espérance des services que le Catholicisme devait en effet retirer plus tard de leur bras? Quant à nous, nous croyons que l'élection d'une nouvelle race royale, l'excommunication lancée contre ceux qui oseraient rompre sa succession, et l'institution du sacre, rétabli tout exprès à l'imitation de ce qui se faisait en Judée, et le titre, donné au chef des Francais, d'avocat et de défenseur de l'église; nous croyons que toutes ces choses furent faites avec une intelligence complète et une prévision entière des conséquences qui devaient en résulter.

Pepin, en recevant l'oction, réunit en lui le double caractère de Roi et de membre de l'Église. Ildevint, en quelque sorte, selon l'expression de Mézerai, l'un des Évêques du royaume. Il fut en effet du nombre des personnes sacrées, et dont le meurtre était frappé d'excommunication. Le peuple dut le considérer alors comme prince, également dans l'Église et dans l'armée. Il est probable que lu même eut une pareille conviction; au moins la mit-il dans tous ses actes, et, en cela, il fut imité par ses successeurs: ce furent des chefs de soldats qui agirent en Évêques.

Dès ce jour les rois prirent le titre de rois par la grâce de Dieu. Voici quelques-unes des inscriptions qu'on trouve à la tête des capitulaires ou des lettres de Charlemagne: Charles, par la grâce de Dieu, froi et directeur du royaume des Francs, dévoué dé

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