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à vos commettans que vous avez repoussé ce nom de peuple? que si vous n'avez pas rougi d'eux, vous avez pourtant cherché à éluder cette dénomination qui ne vous paraît pas assez brillante? qu'il vous faut un titre plus fastueux que celui qu'ils vous ont conféré? Eh! ne voyez-vous pas que le nom de représentans du peuple vous est nécessaire, parce qu'il vous attache le peuple, cette masse imposante sans laquelle vous ne seriez que des individus, de faibles roscaux que l'on briserait un à un? Ne voyezvous pas qu'il vous faut le nom de peuple, parce qu'il donne à connaître au peuple que nous avons lié notre sort au sien; ce qui lui apprendra à reposer sur nous toutes ses pensées, toutes ses espérances.

Plus habiles que nous, les héros bataves, qui fondèrent la liberté de leur pays, prirent le nom de gueux; ils ne voulurent que ce titre, parce que le mépris de leurs tyrans avait prétendu les en flétrir; et ce titre, en leur attachant cette classe immense que l'aristocratie et le despotisme avilissaient, fut à la fois leur force, leur gloire et le gage de leur succès. Les amis de la liberté choisissent le nom qui les sert mieux, et non celui qui les flatte le plus; ils s'appelleront les remontrans en Amérique, les pâtres en Suisse, les gueux dans les Pays-Bas; ils se pareront des injures de leurs ennemis ; ils leur ôteront le pouvoir de les humilier, avec des expressions dont ils auront su s'honorer. >

La dernière partie du discours de M. de Mirabeau excite beaucoup de murmures. Au milieu du tumulte et des plaintes, M. de Mirabeau s'écrie: Si ce morceau de mon discours est coupable, je ne crains pas de l'avouer ; je le laisse, signé de ma main, sur le bureau.

Lorsque le tumulte est apaisé, on crie de toutes parts: Aux voix! aux voix !

M. Legrand demande à relire son projet d'arrêté. Il obtient du silence avec peine.

M. Galand demande la parole. Chacun se récrie, s'impatiente, tout le monde veut aller aux voix. Il persiste cependant; quelques-uns veulent l'entendre, et il est écouté.

Voici l'extrait du discours de M. Galand.

Je demande qu'on se constitue en assemblée légitime et active des représentans de la nation française. La nation est une et indivisible; le clergé n'est qu'une corporation stipendiaire de la nation pour la servir aux pieds des autels; la noblesse est une corporation de gens illustrés.

A peine a-t-il achevé qu'il reçoit les applaudissemens les plus vifs.

M. l'abbé Sieyes demande de nouveau la parole; il annonce un très-grand changement dans sa motion. Il propose de substituer à la dénomination de représentans connus et vérifiés, le titre d'assemblée nationale.

Cette motion, ainsi changée, paraît à quelques membres exiger une nouvelle discussion. Les autres veulent délibérer sur-lechamp.

On va aux voix pour savoir si on discutera, ou si on délibérera.

La majorité est pour le dernier parti.

Plusieurs membres se retirent. D'autres veulent opiner sans désemparer. La majorité se déclare pour ce parti.

Les débats se prolongent jusqu'à minuit.

M. Biauzat. Messieurs, nous allons nous constituer. Un acte aussi important et aussi solennel doit être fait en plein jour, avec tous les membres, en présence de la nation. Mes sentimens vous sont connus, je déclare que je vote pour qu'on se constitue en assemblée nationale, non pas dans le moment actuel, mais demain je le signerai de mon sang.

Cette observation détermine l'assemblée à se séparer et remettre la décision à demain.

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M. le doyen. Je vais mettre aux voix les différentes motions relatives à la manière dont l'assemblée doit se constituer. On a de

mandé hier que chaque membre apposât sa signature au bas de la délibération, j'ose présenter à l'assemblée quelques réflexions sur cette demande.

La signature, au lieu de fortifier notre résolution, pourrait l'affaiblir; car prise par l'assemblée, elle est censée prise unanimement; au lieu que la signature, si elle n'est pas universelle, montre que la résolution n'a été arrêtée que partiellement. De plus, la signature pourrait devenir un germe funeste de division entre nous, et commencer, en quelque manière, deux partis dans une assemblée dont l'union a fait jusqu'ici la plus grande force. Ces réflexions sont approuvées par l'assemblée, et la demande de signatures n'a pas de suite.

L'assemblée arrête que la délibération sera seulement signée du doyen et de deux secrétaires.

Il est fait lecture de cinq motions, sur lesquelles on a à délibérer. La première motion mise aux voix est celle de M. l'abbé Sieyes on ira aux voix successivement sur les autres, si la première ne réunit pas la majorité absolue.

La motion de M. l'abbé Sieyes est admise à la majorité de 491 voix contre 90.

L'assemblée en conséquence arrête la rédaction suivante :

« L'assemblée, délibérant après la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette assemblée est déjà composée des représentans envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes, au moins, de la nation.

› Une telle masse de députation ne saurait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages, ou de quelque classe de citoyens; car les absens qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présens d'exercer la plénitude de leurs droits, surtout lorsque l'exercice de ces droits est un devoir impérieux et pressant.

> De plus, puisqu'il n'appartient qu'aux représentans vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentans vérifiés doivent être dans cette assemblée, il est encore indispensable de conclure qu'il lui appartient, et qu'il n'appartient

qu'à elle, d'interpréter et de présenter la volonté générale de la nation; il ne peut exister entre le trône et cette assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif.

» L'assemblée déclare donc que l'ouvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard par les députés présens, et qu'ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle.

» La dénomination d'assemblée nationale est la seule qui convienne à l'assemblée dans l'état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentans légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils sont envoyés directement par la presque totalilité de la nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu'il soit choisi, n'a le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente assemblée.

» L'assemblée ne perdra jamais l'espoir de réunir dans son sein tous les députés aujourd'hui absens; elle ne cessera de les appeler à remplir l'obligation qui leur est imposée, de concourir à la tenue des États-Généraux. A quelque moment que les députés absens se présentent dans le cours de la session qui va s'ouvrir, elle déclare d'avance qu'elle s'empressera de les recevoir, et de partager avec eux, après la vérification de leurs pouvoirs, la suite des grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France.

» L'assemblée nationale arrête que les motifs de la présente délibération seront incessamment rédigés pour être présentés au roi et à la nation. »

L'assemblée vote une adresse au roi pour lui faire part de cette délibération. Alors des cris multipliés de vive le roi se font entendre.

On annonce une députation de la noblesse; elle est introduite. M. le baron de Montboissier, chargé de porter la parole, fait lecture de deux arrêtés de sa chambre, concernant les difficultés qui se sont élevées sur les députations du bailliage d'Auxerre et du Dauphiné,

M. Bailly.Monsieur, je suis chargé de vous répondre au nom de l'assemblée nationale qui siége dans cette salle commune, que tous les députés de la noblesse ont été appelés et invités à la vérification commune des pouvoirs, et à se réunir à l'assemblée nationale. Elle ne cessera de désirer qu'ils viennent les présenter, et elle le désire particulièrement pour délibérer en commun sur les moyens de soulager la misère publique.

L'assemblée considérant que la première de ses opérations est un serment authentique et solennel, le prête sur-le-champ en ces

termes :

« Nous jurons et promettons de remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont nous sommes chargés.

Ce serment prêté par 600 membres environnés de 4000 spectateurs (le public s'était rendu en foule à cette séance), excite la plus grande émotion, et forme un spectacle des plus imposans.

M. le doyen observe qu'il n'est plus en fonctions. Il est continué provisoirement, ainsi que les secrétaires, et il prête serment en qualité de président.

M. Target présente deux motions sur le parti que l'assemblée doit prendre relativement à la perception des impôts subsistans. M. Chapelier en présente aussi une sur le même objet, et y ajoute des dispositions relatives à la dette nationale et à la cause de la misère publique. Comme ces motions paraissent devoir être réunies, présentant les mêmes objets, M. Target propose de les fondre ensemble; ce que l'assemblée approuve. MM. Target et Chapelier se retirent dans une salle voisine pour les joindre en une seule ; ils rentrent, et la présentent à l'assemblée qui l'adopte en ces termes :

L'assemblée nationale considérant que le premier usage qu'elle doit faire des pouvoirs dont la nation recouvre l'exercice, sous les auspices d'un monarque qui, jugeant la véritable gloire des rois, a mis la sienne à reconnaître les droits de son peuple, est d'assurer, pendant la durée de la présente session, la force de l'administration publique.

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