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mèrent jusque dans les environs de Paris: en Brie, en Lorraine, en Normandie, en Bretagne, en Languedoc, en Provence, elles parcouraient les campagnes, mettant à contribution les châteaux et les fermes, On les accusait même d'incendies et de meurtres, La terreur en multipliait et en augmentait le nombre au-delà de toute réalité. Partout le peuple était tenu éveillé par la crainte de ces brigands. Cependant, aussitôt qu'ils paraissaient, ou qu'on les annonçait quelque part, si on dirigeait des troupes contre eux, si des volontaires marchaient à leur rencontre, les bandes se dispersaient ou fuyaient, pour se reformer brusquement dans un autre lieu,

Tous ces désastres, si faciles à expliquer dans ce temps d'horrible disette, fournissaient de nouveaux prétextes aux partis pour s'accuser, Le Tiers-état croyait que ces bandes étaient or◄ ganisées et soldées par les aristocrates. L'opposition, au contraire, y dénonçait un effet de la conjuration, qu'elle prétendait formée contre le trône par l'ambition du duc d'Orléans, par Mirabeau ou d'autres. Mais ces troubles occupaient et fatiguaient l'armée; on était forcé de la disperser par petits corps; et, comme elle ne suffisait pas pour mettre en sécurité tous les points du territoire, et qu'on craignait cependant également dans tous, il arriva que successivement dans plusieurs villes, et dans la plupart des villages, toute la bourgeoisie prit les armes, et s'organisa militairement.

Marseille donna le signal au commencement de mai. Des rassemblemens de misérables affamés, qu'on ne manqua pas de dire composés de sept à huit mille brigands étrangers, envoyés tout exprès d'Italie et d'Espagne, après avoir crié inutilement contre le haut prix du pain, menacèrent de piller le lazaret et les magasins. La bourgeoisie effrayée se réunit, du consentement de ses magistrats municipaux eux-mêmes, s'arma, et commença à faire militairement la police de la ville. On baissa le prix des denrées; on arrêta les vagabonds : l'ordre parut renaître. On nomma des juges pour prononcer sur le sort des malheureux qui avaient été arrêtés dans les rassemblemens. Alors le parlement

d'Aix, traitant de rébellion tout ce qui s'était passé, évoqua l'affaire à son tribunal, et menaça la ville de la colère du gouvernement. En effet, le gouverneur de la province dirigeait des troupes sur Marseille. La chambre du commerce et le corps de ville adressèrent au roi une réclamation contre le parlement, où ils expliquaient et justifiaient la conduite des habitans. Cette altercation entre la ville et les autorités de la province ne fit autre chose que dessiner davantage l'insurrection. Toute la jeunesse se forma régulièrement en bataillons. On tira des canons des vaisseaux qui étaient dans le port; on les braqua aux portes de la ville, et l'on se prépara hautement enfin à se défendre contre toute attaque, de quelque lieu qu'elle vînt. La garnison du fort Saint-Nicolas ne prit aucune part à ces mouvemens; elle en resta tranquille spectatrice. Nous verrons plus tard les suites de cette affaire, qui ne fut terminée que l'année suivante. Il suffit de remarquer qu'il en résulta que la population fut organisée militairement, que depuis ce moment elle ne quitta pas les armes, et qu'en juin elle tenait occupés en Provence plusieurs régimens.

Successivement, les événemens du même genre se multipliaient dans les petites villes, et surtout dans les campagnes, mais sans prendre cette forme d'insurrection déclarée, que les prétentions des parlemens lui avaient donnée à Marseille. A Toulon, les troupes refusèrent de marcher dans une émeute causée encore par la cherté du pain. Il fallut recourir à la bourgeoisie. En Bretagne, une fédération se forma sous l'influence des mêmes craintes de pillage. Quarante mille jeunes gens s'inscrivirent. Ils adoptèrent un signe de ralliement. Chacun d'eux portait à la boutonnière un double ruban: l'un vert, sur lequel était empreint le signe 1/3; l'autre, herminé, sur lequel était empreinte une fleur de lis. A ces deux rubans, ils ajoutèrent une branche de lierre et une de laurier. Le but avoué de leur association fut de préserver les propriétés du pillage, et de soutenir les délibérations des Etats-Généraux. Plus tard, et successivement, Reims, Caen, Orléans, Lyon, Nancy, Rouen, se soulevèrent pour les

grains, etc. Il faudrait citer toutes les provinces, s'arrêter dans toutes, pour donner les détails de cette terreur qui, en quelques mois, mit sous les armes la France presque entière.

Des nouvelles de cet armement arrivaient chaque jour à Paris. Mais c'était dans d'autres voies que s'épanchaient l'exaltation et la colère qui en résultaient. Malgré les arrêts du roi, les écrits se multipliaient les assemblées irrégulières des districts ne suffisaient point à l'ardeur politique de la population. On avait établi un forum dans le Palais-Royal: dans le centre du jardin on avait formé une sorte de tente en planches. Là se réunissait une association de jeunes gens, qui délibérait devant tous sur les affaires de l'État. Chaque café était un club. Le jardin était habituellement rempli d'une foule immense, dont chaque point, en quelque sorte, devenait, à tout moment, un nouvel auditoire pour un nouvel orateur. C'était là qu'on distribuait les nouvelles, qu'on discutait le mérite des hommes, qu'on exagérait ses craintes comme ses ressources. Dans tous les groupes, il n'y avait qu'une seule opinion, une seule même osait se montrer; c'était celle qui accusait déjà la cour de conspiration, et les communes de lenteur.

SÉANCE DU MERCREDI 10 JUIN.

Communes.

M. le doyen a annoncé que la veille, à dix heures du soir, le procès-verbal des conférences a été clos et signé par les huit commissaires du clergé, ceux des communes et par le secrétaire, avec mention de la déclaration de MM. de la noblesse qui n'ont point voulu signer; que ce procès-verbal est exact dans toutes ses parties.

Un membre demande l'impression du procès-verbal de toutes les conférences.

Elle est ordonnée par acclamation.

M. le doyen. J'observe que, par l'arrêté du vendredi précédent, il a été sursis à délibérer sur l'ouverture de conciliation présentée par les commissaires du roi jusqu'après la fin des conférences et la clôture du procès-verbal.

A la vérité, les conférences sont terminées, et le procès-verbal clos; sous ce rapport, il semble naturel d'ouvrir, dès ce moment, la discussion sur le plan conciliatoire; mais le procès-verbal de la conférence de la veille n'a point encore été mis sous les yeux de l'assemblée; il doit préalablement être rapporté; et, par cette raison, l'examen du projet des commissaires paraît devoir être renvoyé au lendemain.

M. le comte de Mirabeau. Les communes ne peuvent, sans s'exposer au plus grand danger, différer plus long-temps de pren dre un parti décisif, et je suis informé qu'un membre de la députation de Paris a à proposer une motion de la plus grande importance.

D'après le désir que l'assemblée témoigne de l'entendre, il demande la parole: elle lui est accordée.

M. l'abbé Sieyes. Depuis l'ouverture des États-Généraux, les communes ont tenu une conduite franche et impassible, elles ont eu tous les procédés que leur permettait leur caractère à l'égard du clergé et de la noblesse, tandis que ces deux ordres privilégiés ne les ont payées que d'hypocrisie et de subterfuge. L'assemblée ne peut rester plus long-temps dans l'inertie, sans trahir ses devoirs et les intérêts de ses commettans.

Il faut donc sortir enfin d'une trop longue inaction.

Le peut-on, sans vérification des pouvoirs? N'est-il pas évident, au contraire, qu'il est impossible de se former en assemblée active, sans reconnaître préalablement ceux qui doivent la composer?

Comment doit être faite la vérification des pouvoirs? L'assemblée a prouvé qu'ils ne peuvent être soumis à un autre jugement qu'à celui de la collection des représentans de la nation. Ce principe, dont la vérité est démontrée à chaque page du procèsverbal des conférences, ne peut être abandonné.

Dans cette position, la noblesse refuse l'ouverture de conciliation; par cet acte, elle dispense les communes de l'examiner; car il suffit qu'une partie rejette un moyen conciliatoire, pour qu'il doive être regardé comme annulé. L'assemblée n'a donc

plus autre chose à faire que de sommer les membres de ces deux chambres privilégiées de se rendre dans la salle des états pour assister, concourir et se soumettre à la vérification commune des pouvoirs.

Après avoir ainsi exposé ses motifs, M. l'abbé Sieyes fait sa motion dans les termes suivans:

• L'assemblée des communes, délibérant sur l'ouverture de conciliation proposée par MM. les commissaires du roi, a cru devoir prendre en considération l'arrêté que MM. de la noblesse se sont hâtés de faire sur la même ouverture.

Elle a vu que MM. de la noblesse, malgré l'acquiescement annoncé d'abord, établissent bientôt une modification qui le rétracte presque entièrement; et qu'ainsi leur arrêté à cet égard ne peut être regardé que comme un refus positif.

› Par cette considération, attendu que MM. de la noblesse ne se sont pas même désistés de leurs précédentes délibérations contraires à tout projet de réunion, les députés des communes pensent qu'il devient absolument inutile de s'occuper davantage d'un moyen qui ne peut plus être dit conciliatoire, dès qu'il a été rejeté par l'une des parties à concilier.

». Dans cet état des choses, qui replace les députés des communes dans leur premiere position, Fassemblée juge qu'elle ne peut plus attendre, dans l'inaction', les classes privilégiées, sans se rendre coupable envers la nation, qui a droit sans doute d'exiger d'ellé un meilleur emploi de son temps.

Elle juge que c'est un devoir pressant pour tous les représentans de la nation, quelle que soit la classe de citoyens à laquelle ils appartiennent, de se former, sans autre délai','en assemblée active, capable de commencer et de remplir l'objet de leur mission.

› L'assemblée charge MM. les commissaires qui ont suivi les diverses conférences, dites conciliatoires, d'écrire le récit des longs et vains efforts des députés des communes, pour tâcher d'amener les classes des privilégiés aux vrais principes. Elle les charge d'exposer les motifs qui la forcent de passer de l'état d'at

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