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que flattés. D'un autre côté, quels sont les papiers publics qu'on autorise? tous ceux avec lesquels on se flatte d'égarer l'opinion: coupables lorsqu'ils parlent, plus coupables lorsqu'ils se taisent, on sait que tout en eux est l'effet de la complaisance la plus servile et la plus criminelle; s'il était nécessaire de citer des faits, je ne serais embarrassé que du choix.

«Sous le duumvirat Brienne et Lamoignon, n'a-t-on pas vu le Journal de Paris, annoncer comme certaine l'acceptation de différens bailliages, dont les refus étaient constatés par les protestations les plus énergiques? Le Mercure de France ne vient-il pas tout récemment encore, de mentir impudemment aux habitans de la capitale et des provinces? Lisez l'avant-dernier numéro, vous y verrez qu'à Paris, aux assemblées de district, les présidens nommés par la municipalité, se sont volontairement démis de la présidence, et l'ont presque tous obtenue du suffrage libre de l'assemblée, tandis qu'il est notoire qu'ils ont opposé la résistance la plus tenace et la plus indécente, et que sur le nombre de soixante, à peine en compte-t-on trois ou quatre à qui les différentes assemblées aient décerné l'honneur qu'on leur accorde si gratuitement dans le Mercure.

Vous trouverez encore, dans ce même journal, de perfides insinuations en faveur de la délibération par ordre. Tels sont cependant les papiers publics auxquels un ministère corrupteur accorde toute sa bienveillance. Ils prennent effrontément le titre de papiers nationaux; on pousse l'indignité jusqu'à forcer la confiance du public par ces archives de mensonges; et ce public, trompé par abonnement devient lui-même le complice de ceux qui l'égarent.

«Je regarde donc, messieurs, comme le devoir le plus essentiel de l'honorable mission dont vous m'avez chargé, celui de vous prémunir contre ces coupables manoeuvres; on doit voir que leur règne est fini, qu'il est temps de prendre une autre allure: ou s'il est vrai que l'on n'ait assemblé la nation que pour consommer avec plus de facilité le crime de sa mort politique et morale; que ce ne soit pas du moins en affectant de vouloir la régénérer. Que la

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tyrannie se montre avec franchise, et nous verrons alors si nous devons nous roidir ou nous envelopper la tête.

Je continue le journal des États-Généraux, dont les deux premières séances sont fidèlement peintes, quoiqu'avec trop peu de détails, dans les deux numéros qui viennent d'être supprimés, et que j'ai l'honneur de vous faire passer.»

Ce journal fut en effet continué. Mais comme il est infiment moins complet que le Moniteur, nous suivrons les séances dans ce dernier.

Ce fut à l'occasion de cette mesure que la commune de Paris fit, pour la première fois, acte d'intervention dans les affaires générales de son pays.

Les représentans de cette ville qui s'occupaient encore de la rédaction de leur cahier, s'interrompirent, le 7 mai, pour rédiger l'arrêt suivant, qui fut rendu public. « L'assemblée du Tiers-état de la ville de Paris réclame unanimement contre l'acte du Conseil, qui supprime le journal des États-Généraux, et en défend les suites, et qui prononce des peines contre l'imprimeur, sans néanmoins entendre par-là approuver, ni blamer le journal; - elle' réclame en ce que cet acte du Conseil porte atteinte à la liberté publique, au moment où elle est la plus précieuse à la nation; en ce qu'il viole la liberté de la presse réclamée par la France entière; en ce qu'enfin cet acte rappelle au premier moment de la liberté nationale, une police et des réglemens qui avaient été suspendus par la sagesse et la bonté du roi; et en conséquence l'assemblée du Tiers a unanimement résolu que le présent arrêté sèra présenté aux chambres du clergé et de la noblesse, et qu'ils seront invités à se réunir au Tiers, pour faire révoquer ledit acte du Conseil, et pour procurer à l'assemblée nationale la liberté provisoire de la presse.»

Cette pièce, que nous réimprimons textuellement parce que nous croyons que c'est à son point de départ surtout qu'il faut montrer le mouvement révolutionnaire, cette pièce nous révèle plus nettement l'état de l'opinion qu'une multitude d'anecdotes dont nous pourrions encombrer notre narration. Elle nous montre qu'il

existait une puissance d'opinion prête aux derniers excès de la résistance. Nous verrons bientôt qu'il y avait ailleurs une puissance d'intérêts qui se préparait à toutes les violences de la colère et de la conservation. L'assembléc, placée entre ces deux forces, les possédant, en quelque sorte représentées dans son sein, joua un rôle de médiateur. Elle sauva les vaincus de la desruction.

Cependant le 6 mai, le Tiers-état se rendit dans la salle des Menus qui lui avait été réservée pour ses séances particulières, pendant que les deux autres ordres s'assemblaient aussi séparément. Une foule de curieux était attroupée pour le voir entrer; elle y pénétra en grande partie avec les députés. Cette séance fut très-tumultueuse. On commença par donner la présidence à M. Leroux, doyen de l'assemblée, qui choisit six assistans.

M. Malouet. Je fais la proposition d'envoyer aux deux ordres privilégiés, une députation pour les inviter à se réunir aux communes dans le lieu des assemblées générales.

M. Mounier. Je pense qu'une semblable démarche compromettrait l'intérêt des communes ; qu'il n'y a point de danger à temporiser, que peut-être dans ce même moment, les ordres privilégiés délibèrent sur le même objet; et qu'enfin on sera bientôt instruit du résultat de leurs délibérations.

L'avis qui l'emporte est qu'attendu que les pouvoirs ne sont pas vérifiés, les députés ne doivent encore se regarder que comme une agrégation d'individus présentés pour les États-Généraux; individus qui peuvent conférer amicalement, mais qui n'ont aucun caractère pour agir.

Par respect pour ce principe, l'assemblée refuse d'ouvrir des lettres adressées au Tiers-état.

Plusieurs membres remarquent qu'il faut laisser aux ordres privilégiés le temps de réfléchir, soit à l'ir conséquence du système de séparation provisoire, soit à l'absurdité qu'il y aurait à confondre leur vérification et leur légitimation, soit enfin aux dangers d'une scission qui pourrait suivre la résistance des privilégiés.

Vers deux heures et demie, un député du Dauphiné, annonce

qu'il vient d'être instruit que la vérification particulière des pouvoirs a été déterminée par les deux ordres privilégiés.

La séance est levée, et les membres des communes s'ajournent au lendemain neuf heures.

Clergé.

Il est décidé à la majorité de 133 voix contre 114, que les pouvoirs seront vérifiés et légitimés dans l'ordre.

L'avis de la majorité est qu'ils ne peuvent l'être que dans l'assemblée générale, sur le rapport de commissaires pris dans les trois ordres

Cet avis est particulièrement défendu par MM. les archevêques de Vienne et de Bordeaux.

Noblesse.

On fait deux motions: l'une pour la vérification faite par des commissaires pris dans l'ordre de la noblesse, et l'autre par des commissaires pris dans les trois ordres.

Le premier avis est appuyé par ces considérations:

1° Que les députés ayant été nommés dans l'ordre de la noblesse, doivent remettre leurs pouvoirs aux commissaires de cet ordre ;

2o Que la noblesse ne peut pas encore reconnaître la légitimité des pouvoirs des membres des deux autres ordres, ni par conséquent leur remettre les siens;

3° Que l'ordre de la noblesse est seul compétent pour reconnaître les titres d'après lesquels on prétend y être admis;

4o Que la vérification n'est pas d'ailleurs uné opération assez importante pour s'y arrêter si long-temps, et que l'on abrégerait beaucoup en la faisant faire par des commissaires de l'ordre.

Les partisans de l'autre avis soutiennent que c'est aux ÉtatsGénéraux, composés des trois ordres, à vérifier les pouvoirs ; que les élections ayant été sanctionnées par les trois ordres de chaque bailliage, et les députés ayant prêté serment en présence des trois ordres, c'est devant les commissaires des trois ordres qu'ils doivent justifier de leur mandat.

M. le vicomte de Castellane, le duc de Liancourt, le marquis

T. I.

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de Lafayette, les députés du Dauphiné, ceux de la sénéchaussée d'Aix en Provence, et le deputé d'Amont appuient ce dernier avis. Il n'obtient cependant que 47 voix contre 188.

M. Fréteau fait la motion de suspendre toute délibération, jusqu'à ce que la ville de Paris ait nommé ses députés, parce que l'assemblée ne pourra être regardée comme complète, qu'autant que ces députés auront eu le temps physiquement nécessaire pour s'y rendre.

Douze des plus âgés de l'assemblée sont nommés commissaires vérificateurs de pouvoirs.

SÉANCE DU JEUDI 7 MAI.

Communes.

M. Malouet. Je renouvelle la motion que j'ai faite hier d'envoyer une députation vers les deux premiers ordres, et de les engager de se réunir aux communes pour la vérification des pouvoirs. Je pense que rien ne peut légitimer le retard des opérations que la France sollicite, et que les communes doivent se reprocher. tout ce qui peut résulter de désastreux dans le royaume, si, par leur inaction, le mal que l'on est appelé à réparer, devenait sans remède.

Il ne peut résulter aucun inconvénient de la mesure que je vous propose. Son objet est de déclarer aux deux ordres privilégiés que les communes ne peuvent procéder à aucune vérification que dans le sein des trois ordres réunis. Ainsi, il est impossible que l'on en conclue que les communes ont, comme on semble le craindre, l'intention de se constituer; enfin, cette démarche mettra en évidence le désir que nous avons de remplir notre mission, et prouvera que tous les retards ne doivent être imputés qu'au clergé et à la noblesse.

M. le comte de Mirabeau combat cette opinion; il représente que les députés des communes ne peuvent faire aucune députation tant que leurs pouvoirs ne sont pas vérifiés; il fait valoir les avantagès d'une inactivité entière dans de pareilles circonstances.

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