Page images
PDF
EPUB

espèce de conseil de guerre, composé des principaux et des plus habiles officiers de l'armée, auxquels s'adjoignaient quelques Ecclésiastiques, Évêques ou Abbés: c'était un conseil civil et militaire, en même temps qu'une Cour de justice. Indépendamment, il y en avait un général tous les ans, au mois de mars ou de mai, où toute la nation se réunissait en armes. C'était l'époque choisie pour la publication de toutes les délibérations importantes, arrêtées dans le conseil particulier, soit qu'elles concernassent la législation, la justice ou la guerre. Les acclamations par lesquelles la nation accueillait ces publications ne doivent pas être considérées comme des votes, pas plus que les vivat d'une armée ou d'une population. Ces réunions annuelles étaient en même temps, une revue et une occasion de publicité.

Sous Charlemagne, le plaid subsista; mais le plaid impérial fut un vrai Concile. Il fut régulièrement composé de tous les Évêques ou Abbés, et de tous les commandans de provinces, Ducs ou Comtes. Ce système fut même généralisé. Ainsi, dans chaque Archevêché, il dut y avoir un synode annuel pour les affaires du Clergé. Remarquons ici que l'on trouve dans ces Conciles et dans ces Synodes, dès le commencement de l'Église, et par suite bien avant les rois Francs, cette réunion des droits de législation, d'administration et de justice, qui doit nous étonner, nous qui sommes habitués au règne de la division des fonctions. De même que l'Archevêque avait un tribunal annuel, nous avons vu que le Comte avait son plaid, qui rendait au peuple, placé sous son commandement, les mêmes services que celui de l'Empereur à tous les Français.

Sous les Rois de la troisième race, les plaids qu'on appelait placita, colloquia, etc., subsistèrent: même, ils éprouvèrent un changement analogue à celui du système féodal. Ils continuèrent à être formés de membres du Clergé et de chefs militaires. Mais, comme tous les fiefs étaient devenus héréditaires, ils durent se composer, d'une manière invariable, des représentans des principales vassalités de France, c'est-à-dire des Ducs héréditaires de Bourgogne, de Normandie, des Comtes de

Champagne, de Poitou, etc., et des Archevêques du royaume. Il en était ainsi, en effet, lorsqu'il s'agissait de questions relatives à toute la communauté féodale qui s'appelait France: il était indispensable que le plaid ou parlement réunît le plus grand nombre des hommes qui possédaient les grands fiefs du royaume, c'està-dire ceux qui relevaient de la couronne sans appartenir au domaine royal proprement dit; et cela avait lieu. Aussi l'on trouve que la réunion était formée d'un nombre variable d'Archevêques, d'Évêques, d'Abbés et de Seigneurs (1). Ce ne fut qu'assez tard qu'elle fut réduite à douze membres, dont six choisis dans le clergé, et six parmi les feudataires. C'était dans les assemblées de ce genre qu'étaient agitées les questions relatives à la succession à la couronne, ainsi que les questions politiques et judiciaires relatives à la communauté féodale.

Le Roi avait un fief particulier, celui qui était attaché à la couronne. C'était à l'administration de ce fief qu'étaient consacrées les assemblées du plaid ordinaire du Roi celui-ci était composé de membres du clergé et des principaux Barons du domaine. Ils étaient d'abord désignés par leur rang dans la hiérarchie militaire ou ecclésiastique; plus tard, on y maintint attachés comme conseillers habituels ceux dont l'habileté et la science s'étaient fait distinguer.

Ainsi que le Roi, chaque grand feudataire du royaume avait son plaid: chaque seigneur même du domaine royal avait le sien ; et aussi, pour ces derniers, ce service était devenu une charge considérable, car les réunions étaient fréquentes et occupées de mille sujets, de la police civile, militaire ou financière, des travaux publics, de la voirie, etc.

On appelait Pairs, dans chaque plaid, les membres qui le composaient. En effet, ils avaient droit à ce titrè, puisqu'ils devaient tous relever directement et sans intermédiaires du Seigneur qui les présidait. Aussi le serment féodal comprenait, outre la pro

(1) Voyez à cet égard le mémoire pour les Pairs de France, qui contient une collection des actes des plaids sous les Rois de la troisième race.

[ocr errors]

messe de la fidélité militaire, celui de la fidélité et de la franchise dans le conseil.

Enfin, chaque année, aux fêtes de Pâques, et quelquefois plusieurs fois l'an, le Roi de France tenait cour plénière, ou, en d'autres termes, plaid ou Parlement général. Tous les feudataires du royaume, à moins d'empêchemens graves, étaient tenus de s'y trouver. Là, comme dans les anciens Champs-de-Mai, on traitait des affaires générales de la communauté, et l'on rendait les arrêts judiciaires ou administratifs qui l'intéressaient. Nous avons vu que cette assemblée ne se composait d'abord que de deux ordres, le clergé et la noblesse; nous avons vu aussi comment saint Louis, en y appelant les magistrats représentant les communes, y introduisit le tiers-état. On trouve dans l'histoire de la vie de Philippe-le-Bel comment cette grande assemblée procédait dans ses délibérations: chaque ordre discutait et votait séparément. Ainsi, l'assemblée de 1502 eut à traiter une des questions les plus graves qui pussent être mises en délibération à cette époque. Il s'agissait de décider sur la justice d'une excommunication lancée par le Pape Boniface VIII contre le Roi aussi tous les détails de cette affaire nous ont été à peu près transmis. Chaque ordre adressa séparément sa réclamation au Pape: il est donc probable aussi que chaque ordre délibérait séparément. Ce fut cette même année 1502, que Philippe-le-Bel établit des Parlemens sédentaires à Paris, à Toulouse, et à Rouen sous le nom d'Échiquier, chargés uniquement de fonctions judiciaires, pour prononcer sur les appels qui seraient faits contre les arrêts des magistrats établis dans le domaine de la couronne, tels que Prévôts, Baillis, Sénéchaux, et pour connaître en première instance des causes des Prélats et Barons. Il leur donna le droit de s'assembler selon la nécessité des affaires; de délibérer et décider hors la présence du Roi. Cette institution fut perfectionnée par des ordonnances successives. On pourrait juger de leur première organisation par celle du Parlement de Toulouse, dont on possède le détail : il était composé de deux Présidens et de douze Conseillers, dont six du Clergé et six de la Noblesse. Plus tard,

dans le Parlement de Paris, il y avait deux chambres, celle des enquêtes et celle des requêtes, l'une et l'autre composées de plusieurs Présidens et de plusieurs Conseillers, moitié nobles, moitié clercs, tous nommés par le Roi. Philippe-le-Long, successeur de Louis-le-Hutin, en exclut les Évêques.

- Cette institution ne dispensait pas le Roi de tenir des assises extraordinaires, que l'on appela plus tard lits de justice; de réunir encore les Pairs du royaume, ou ceux du domaine féodal de la couronne, pour juger les faits graves de discipline féodale.

Nous croyons que la narration précédente suffira pour faire apprécier nettement comment se sont établis les droits de nos anciens Parlemens, et quels ils étaient. Nous n'avons plus à ajouter que quelques mots pour donner l'intelligence de plusieurs usages secondaires, tels que le droit d'enregistrement qu'ils s'attribuaient.

Les plaids annuels, sous les deux premières races, étaient autant un moyen de publicité qu'un moyen d'ordre et de justice. Pour maintenir tous ces élémens de la prospérité des États, Charlemagne ne pouvant, à cause de l'étendue de l'Empire, réunir tous ses bénéficiaires, employa le moyen des députés royaux, missi dominici. Sous les Princes de la troisième race, on eut recours à l'assemblée générale annuelle ou à la Cour plénière. Lorsque ces réunions cessèrent d'avoir lieu, l'enregistrement au Parlement fut usité comme moyen de publicité.

4

Enfin, les Pairs ne perdirent pas le droit de s'assembler en plaid : ainsi, dans les questions graves, dans les lits de justice, on les vit toujours venir prendre siége avec le Roi.

Nous croyons que du jour où les Parlemens furent devenus sédentaires, et, par suite, où ce titre fut établi pour servir à désigner une Cour de justice, le besoin de distinguer, par un nom nouveau, ces autres Parlemens annuels qui avaient lieu aux Cours plénières du Roi, fit introduire celui d'États-généraux. En effet, il est certain que la réunion à laquelle on donna ce nom sous Philippe-le-Bel, eut lieu selon la forme prescrite dans les ordonnan

ces de saint Louis. Si l'histoire n'a cité que celle de 1302 d'une manière particulière, c'est à cause, sans doute, de l'importance des matières dont elle s'occupa; car ces assemblées avaient dû avoir lieu tous les ans depuis 1256, et tout le prouve. Nous trouvons dans les actes de cette époque maintes confirmations des Establissemens de saint Louis, maintes preuves qu'ils étaient observés. Sans doute, en un demi-siècle, les assemblées devaient avoir subi quelques modifications; on devait s'être appliqué à les perfectionner, afin d'en faire le moyen le plus exact de communication entre le Roi et ses sujets, et réciproquement. Mais nous ne rencontrons dans l'histoire qu'une assemblée qui représente ce que nous entendons aujourd'hui sous le nom d'États-généraux, c'est-à-dire possédant les attributions et les pouvoirs que nous ne nous attendons à trouver sous ce titre, qu'en 1355, sous le Roi Jean. Nous en parlerons bientôt.

On ne peut douter que des modifications aussi graves à la constitution féodale ne dussent soulever de nombreux mécontentemens, surtout parmi ceux dont elles attaquaient le plus directement les priviléges ou les droits. Aussi la noblesse prit-elle occasion de l'excès des impôts qu'avaient nécessités les guerres de Flandre et l'entretien de troupes soldées assez nombreuses, puisqu'elles se composaient déjà d'un corps d'hommes d'armes et d'un corps d'arbalêtriers (1). Ces impôts, qu'on appelait aides pour la guerre, avaient d'ailleurs été étendus jusque sur ses biens et sur ceux du Clergé lui-même. Or, quelque faibles qu'ils fussent, comme ils étaient inusités, ils n'irritaient pas moins le Tiers-État que les deux ordres supérieurs. De là, des tentatives de ligues, des plaintes contre les ministres du Roi qui administraient les finances. Ce mécontentement alla croissant sous les successeurs de Philippe-le-Bel; mais il ne porta fruit que plus tard, lorsque l'avènement de la branche des Valois en donna l'occasion.

En 1317, Philippe V, ou le Long, succéda à son frère Louis-le

(1) Collect. des Ordonn. citées, t. 1, p. 657, art. XXXIV et XXX V.

« PreviousContinue »