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des Financiers, rien ne lui échappe; & il a tant répété au Peuple: Suvez-vous quel eft votre plus grand malheur? c'est d'être fot & poltron: Il l'a tant redit de mille manières, qu'enfin on n'a plus été ni l'un ni l'autre.

Une foule d'anecdotes particulières acheveroit de prouver qu'un fentiment qui a toujours été dominant chez Voltaire, c'eft Phorreur de l'injuftice & de l'oppreffion y mais c'eft précisément cette partie de P'Hiftoire, ce font ces traits qui peignent l'homme que l'Auteur de la Vie de Voltaire a trop négligés. Il écrit en Philofophe, avec une raifon fupérieure ; il abonde en réflexions judicieuses, en résultats lumineux; il voit de haut les hommes & les chofes, les voit bien, & les fait bien voir; il va toujours repouffant d'une main sûre les nombreux préjugés, les erreurs accréditées que la paffion mit fi long-temps à la mode dans tout ce qui regarde Voltaire; il fubftitue à leur place des vérités qui n'étoient fenties que par ceux qui ont bien connu ce grand homme; mais on défireroit, qu'à l'exemple de Plutarque, il eu: quelquefois defcendu aux détails perfonnels & caractéristiques, & que non content de bien juger fon héros, il nous eût fait vivre avec lui. Cette partie importante de la biographie tient ici trop peu de place; elle refte à traiter, & peut-être n'y a-t-il pas de mal que plufieurs mains paiffent

toucher à ce grand fujet. Mais d'ailleurs on égalera difficilement, du mois pour les idées générales, cet excellent apperçu fur les écrits & la philofophie de Veltaire.

Quoi de mieux va, par exemple, & de mieux exprimé que ce qu'il dit à propos des reproches d'inconftance & d'ingratitude que l'on fit à Voltaire, lorfque, malgré fes liaifons avec le Duc de Choifeul, il approuva, du moins en partie, les opérations du Chancelier Maspeou contre les

Parlemens?

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Les Grands, les gens en place ont des intérêts, & rarement des opinions: » combattre celle qui convient à leurs projers actuels, c'eft, à leurs yeux, fe déclarer contre eux. Cet attachement à la» vérité, l'une des plus fortes paffions des efprits élevés & des ames indépendan"tes, n'eft pour eux qu'un fentiment chimérique. Ils croient qu'un raifonneur, un Philofophe n'a, comme eux, que des opinions du moment, profelfe ce qu'il veut, parce qu'il ne tient fortement » à rien, & doit par conféquent changer de principes, fuivant les intérêts paffa"gers de fes amis ou de fes bienfaiteurs. Ils le regardent comme un homme fair pour défendre la caufe qu'ils ont em» braffée, & non pour foutenir fes principes perfonnels; pour fervir fous eux, " & non pour juger de la juftice de la "guerre. Auffi le Duc de Choifeul & fes

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» amis paroiffoient-ils croire que Voltaire » auroit dû, par refpect pour lui, ou tra» hir ou cacher ses opinions fur des quef» tions de droit public. Anecdote curieufe qui prouve à quel point l'orgueil de la "grandeur ou de la naiffance peut faire oublier l'indépendance narurelle de l'ef» prit humain, & l'inégalité des efprits & » des talens, plus réelle que celle des rangs » & des places".

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Il étoit impoffible que l'Auteur, en appréciant le génie de Voltaire, ne répétât pas en fubftance les idées de ceux qui, les premiers, apprirent à la multitude à rendre à fes écrits la juftice qu'on s'efforça longtemps de lui refufer; ceux-ci mêines eurent un mérite qui étoit à la fois celui de leur caractère & des circonftances; ils combattirent pour le talent en préfence de l'envie; ils établirent la vérité mais l'Auteur, en s'emparant de leurs refultats, fait bien voir qu'ils lui appartiennent auffi & fe les rend propres par la manière de les préfenter.

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Je me permettrai cependant quelques réflexions fur les endroits de fon ouvrage, où mon opinion diffère de la fienne; ils font en petit nombre, & le Public inftruit. jugera.

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» On peut comparer la Henriade à l'Enéide toutes deux portent l'empreinte » du génie dans tout ce qui a dépendu du » Poëte, & n'ont que les défauts d'un

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fujet dont le choix a également été dicté par l'efprit national. Mais Virgile ne vouloit que flatter l'orgueil des Romains & Voltaire eut le motif plus noble de préferver les François du fanatifme, en leur retraçant les crimes où il avoit en

traîné leurs ancêtres ".

Cette dernière obfervation eft vraie; mais la Henriade peut-elle, en effet, foutenir la comparaifon avec l'Enéide? Je ne le crois pas; & le jugement qu'en porte M. de C.... me parcît en total plus philofophique que littéraire. Certainement le premier mérite dans un Poëme eft d'être Poëte, foit par l'invention, foit par les détails; & fous ces deux afpects, l'Auteur de l'Enéide eft bien fupérieur à celui de la Henriade. L'empreinte du génie cft bien autrement marquée dans l'une que dans l'autre, & je ne & je ne ferois pas étonné qu'un grand Poëte, que Voltaire lui même, aimât mieux avoir fait le 2., le 4. & le, 6°. Livre de l'Enéide que la Henriade entière. M. de C.... prétend que ce qui manque à celle-ci eft compenfé par d'autres beautés, par un but moral, par une philofophie: profonde & vraie, &c. Je ne le penfe ps: fans doute ce mérite eft très réel & parti-. culier à l'Auteur; mais en poésie, rien ne peut compenfer le défaut d'imagination ni d'intérêt; & quoique Voltaire ait mis le premier la philofophie fur le Théatre, il ne feroit pas le plus grand Tragique du

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monde entier s'il n'eût pas produit de plus grands effets qu'aucun des Anciens & des Modernes.

L'Auteur a raison de nous dire que l'étude des Sciences agrandir la fphère des idées poétiques & enrichit les ves de nouvelles images; mais devoit - il ajouter : "Sans cette reffource, la poéfie, néceffai»rement refferrée dans un cercle étroit » ne feroit plus que l'art de rajeunir avec » adreffe, & en vers harmonieux, des » idées communes & des peintures épui

fées «? Cela me paroît outré : il eft sûr que les connoiffances phyfiques font pour la poéfie une richeffe de plus; mais fans cette reffource, fon cercle eft encore immense: c'est celui de l'imagination & du génie, dont on ne peut affigner les bornes ; & ce qui le prouve, c'eft que fans le fecours de la Phyfique, on a produir, depuis Voltaire une foule de beautés neuves & du premier ordre, qui font bien loin des idées communes & des peintures épuifces.

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Il prétend que Mérope eft 1 feule Tragédie qui foit touchante fans amour : cente exclufion me paroît injufte; Iphigénie en Tauride eft une pièce très touchanie, & il n'y a point d'amour; on en pourroit même citer d'autres.

La Princeffe de Navarre eft, felon lui, un ouvrage rempli d'une galanterie noble & touchante. J'avoue qu'il ne m'a point paru tel; c'est un mélange de férieux & de BS

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