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vent & qui eft en effet le mot propre. Il a mieux aimé s'appuyer de l'autorité de ceux qui ont voulu anoblir le mot de délation, mais qui n'ont pu le faire qu'en le dénaturant. Je perfifte à croire que c'eft donner prife fur foi que de vouloir forcer l'acception naturelle de ces mots où l'on a toujours attaché des idées morales d'une grande importance. Je n'ai pas hésité à combattre fur ce point M. de Mirabeau lui-même, que perfonne n'admire plus que moi, quand il a dit que la délation étoit devenue une vertu. Je fais qu'on peut détourner ainfi oratoirement le fens ordinaire d'un mot, & que c'eft une figure de diction qui appartient au talent. Mais dans des matières fi graves, que tant de gens font intéreffés à obfcurcir, & où l'abus des termes favorife fi aifément la confufion des idées, il faut que le talent même ait le courage de fe refufer le mérite des figures, dès qu'il peut compromettre la vérité. Les figures alors font comme ces armes d'or qui font plutôt une proie pour l'ennemi qu'une défenfe pour celui qui les qui les porte. La raison févère & inflexible eft l'armure de fer, l'armure impénétrable qu'il faut oppofer aux ennemis de la liberté. C'étoit le principe de Démosthène, celui de tous les Orateurs qui employoit le moins les figures, & l'homme le plus terrible qui ait jamais manié la parole.

M. Briffot paroît être de mon avis dans

les caractères que j'ai affignés à la délation; j'aurois défiré qu'il abandonnât entièrement le mot comme la chofe. Laiffons la délation à la tyrannie; la liberté n'a befoin que de dénonciateurs.

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M. Briffot répond avec beaucoup de raifon & de force à M. de Pange, qui prétend que nous devons être tranquilles, qu'aucun danger ne nous menace, que toute alarme eft puérile & criminelle même. » On ne vous "croira point, tout dépofe ici contre vous; » les mouvemens des Etats qui nous en» tourent, des troupes dans la Savoie » des troubles dans la Flandre, qui vont " être la caufe d'une guerre dont la caufe " peut nous gagner, d'une guerre qui va fervir de prétexte au raffemblement de troupes refpectives, raffemblement tou" jours dangereux pour un pays libre, fur» tout quand il n'eft pas hors de crife, furtout quand les Provinces qui avoifinent » lë théatre de la guerre font remplies des » ennemis du bien public. La ligue, prefque publique, de Puiffances qui ne » peuvent avoir pour objet que de nuire à nos intérêts, l'affoibliffement & la nullité de nos Alliés au dedans, l'épuife»ment ou l'enfeveliflement de notre nu» méraire, le difcrédit complet, les rava

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ges du papier monnoie, la décompofi»tion de notre armée, l'effroi général de » tous les états, de toutes les profeffions, » les mécontentemens de tous ceux que la

révolution ruine momentanément, l'i» gnorance générale qui s'afflige trop de "ces pertes momentanées, & qui ne fait » pas voir la profpérité dans le lointain, » le conflit entre tant d'intérêts qui s'agi"tent pour enlever les places dans le nou» vel ordre de chofes, & par-deffus tour l'efprit peftilentiel de l'ariftocratie, qui, » quoique fans armées, fans plan, fans »› argent, n'en agite pas moins les provin»ces; les écrits incendiaires qu'elle dif

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fémine par-tout; fa force dans l'Assem » biće Nationale, qu'elle cherche à dés» honorer ou à diffoudre; les efforts qu'elle " emploie pour tromper le meilleur des "Kois, pour égarer les Peuples, pour fouf» fler la guerre civile au milieu d'un Peuple qui, appelé par fes lumières & fon » courage à la liberté, a une foule immenfe de corrupteurs autour de lui «.

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Ce tableau eft effrayant; il eft fidèle; mais on pent regretter que l'Auteur n'en ait pas montré le revers; car, fi les bons Patriotes s'affligent de nos maux & de nos périls, les mauvais Citoyens font affez aveugles pour en triompher, comme s'ils n'y éient pas expofés eux-mêmes

& peut être plus que les autres. Il faut que la Nation fache voir à la fois, & ce qu'elle a à craindre, & ce qu'elle peur. La méprife fur l'un ou l'autre de ces objets est également dangereufé.

On conferve aujourd'hui, j'ofe le dire,

trop de défiance du pouvoir exécutif. On craint qu'il ne tende à redevenir abfolu: cela eft impoffible. Tous les genres de pouvoirs font armés contre le defpotifme il ne renaîtra pas, & c'est une vérité que je crois générale, que le pouvoir qu'on vient d'abattre eft celui de tous qu'il faut craindre le moins. Ce qu'il faut craindre le plus, c'est l'excès contraire, où naturellement l'efprit humain fe précipite par la première impulfion; c'est l'infubordination & l'indépendance qui produifent & prolongent l'anarchie; c'est l'erreur trop commune qui fait que chacun croit avoir le droit de gouverner, parce qu'il a le droit d'être libre. Je l'ai déjà dit & je le répète c'est la plus funefte de toutes les erreurs; c'eft précisément quand tout le monde gouverne que perfonne n'eft libre. François, gravez bien dans votre efprit, & méditez fans ceffe cette vérité : quand vous ferez auffi foumis à la lei, par refpect & par devoir, que vous l'étiez autrefois au defpotifme par crainte ou par intérêt, alors vous ferez vraiment libres; car fi l'efclavage n'eft autre chofe que l'obéiffance à un homme, la liberté n'est autre chofe que l'obéillance à la loi. Mais il y a cette heureufe différence que l'efclave obéit mieux aux defpotes, en raifon de ce qu'il eft plus vil, & que l'homme libre obéit mieux à la loi, en raifon de ce qu'il cft plus grand. C'eft avec le

fentiment de la plus noble fierté que l'on fe courbe devant la loi ne voyez-vous pas que c'eft un hommage que vous rendez à la volonté générale, qui eft la vôtre, & qu'en lui obéiffant, ce font vos propres droits que vous exercez & que vous confacrez? L'anarchie eft la dernière espérance. de vos ennemis; vous ne pouvez les fervir mieux qu'en la prolongeant. Montrez-leur l'amour de l'ordre : ils tomberont dans le découragement.

Ne craignez point la guerre civile: le Roi feul pouvoit la faice, s'il fe fut éloigné au moment de la révolution. Aujourd'hui il ne le peut pas, & ce qui vaut mieux encore, il ne le veut pas. Le temps des défiances eft paffé. Louis XVI eft enchaîné par fes propres vertus, par fa gloire, par fes fermens : fes fermens: on ne revient pas de fi loin à la face de l'univers onne renonce pas au plus beau titre que jamais mortel ait porté, à celui de Reftaurateur d'un grand Etat, de Chef d'un Peuple libre, pour prendre les titres de parjure & d'ufurpateur; car un Roi qui voudroit régner fur les François autrement que par la loi, ne feroit plus qu'un tyran & un ennemi public. François, foyez juftes envers votre Roi, il a été jufte envers wous. La trahifon & la perfidie ne font pas faites pour un cœur tel que le fien & l'amour que vous lui témoignez & qu'il a fi bien mérité vous répond à jamais de lui.

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